Vivre dans un train – Chronique de l’an 2000

J’ai vécu dans un train pendant 13 ans et je n’ai pas mangé durant 13 ans. Je me suis nourri d’informations. Je me suis juste nourri de ce que les gens balancent à tout va en parlant à leur voisin de droite, à leur voisin de gauche, ou à leur voisin de très loin à qui ils parlent très forts car comme il est sûrement très loin dans le monde, il faut y mettre de la voix pour qu’il comprenne tout.

Mais je ne suis pas là pour me plaindre, j’ai adoré mon aventure. Vous me prenez pour un fou mais j’adore ces endroits, train, métro, bus de ville, bus de grandes aventures, je trouve les transports en commun fascinants. Ce n’est pas un lieu qui est fait pour être apprécié, ce n’est pas même un lieu. On y est juste car c’est rapide et moins fatiguant. Chaque personne qui y entre a pour première envie d’y ressortir. Moi j’aime ces moments, j’en profite, ils me font du bien. Je trouve les transports très intéressants dans le sens où, c’est un endroit où les gens téléphonent, parlent, lisent, écoutent de la musique, font des choses pour ne pas s’ennuyer. Et dans tout ça, le plus intéressant reste le téléphone. Car à moins s’imaginer la vie des gens à leur lecture, on ne s’amuse pas trop en regardant un mec lire. Au contraire, quelqu’un qui téléphone va créer une sorte de bulle temporelle dans laquelle il se met. Son activité le force à parler fort, à parler devant tout le monde, mais sans vraiment les apercevoir, comme s’il se sentait seul avec son correspondant lointain. C’est alors là qu’on peut contempler la vie de chacun. Les problèmes sont mis sur la table et sans filtres, car, vraiment, les personnes au téléphone oublient naturellement qu’ils ne sont pas seuls avec la personne au bout du fil. Fascinants lieux que sont les transports en communs, où l’on expose sa vie aux oreilles de tous, sans gêne.

Et on en apprend des choses intéressantes du coup. Du genre une femme qui va vivre dans un sous-marin. Je suppose qu’elle va y découvrir des trucs, peut être même que c’est elle qui a découvert la baleine bleue.

Une femme qui veut quitter son homme, si seulement elle savait que lui aussi, deux trains plus tard. Ils avaient l’air de bien s’entendre pourtant, puis ils avaient la même notion de l’histoire, c’était pas un cliché, personne ne mentait, ils étaient vrais. Elle voulait un chien, mais il était allergique. Il a dit à son pote, c’est un chien ou moi. Après il a fait un petit rire, surement une blague. Il voulait pas rire, il perdait tout et en plus il n’avait pas d’endroit pour revenir chercher ce qu’il avait perdu car le train ne faisait que d’avancer, aucune marque au sol pour sa perte. C’est le principal problème des trains, ils ne sont pas faits pour les problèmes.

Une jeune adolescente qui propose à un jeune adolescent de s’asseoir à côté de lui. Ce jeune adolescent qui accepte gentillement avant que la jeune adolescente ne change d’avis et lui dise qu’elle a trouvé une meilleure place.

Un homme qui a raté son cours de country club à cause de la manifestation féministe. Il râle, il hait les femmes, elles ne sont au monde que pour l’humilier, que pour lui faire sentir qu’il n’a rien à faire ici. Il veut entrer à la police pour défoncer des femens.

Un vieux monsieur qui peste contre la jeune génération car cette jeune génération ne l’a pas laissé passer au passage piéton et qu’il a failli pas monter dans le train dans lequel il est, qu’il aurait pu prendre une heure plus tard en repayant un billet avec toutes les économies qu’il garde enfouies sous son pot de chambre.

Un mec de 50 piges qui n’a pas envie de devenir vieux et qui va en vacances à la mer essayer de rencontrer le 19ème amour de sa vie qui ne lui fera encore pas d’enfants.

Il y avait aussi une fille, qui avait l’air incroyable, je l’ai regardé durant tout le trajet. C’était un bus Nancy-Paris qui passait par Saint Dizier. Elle s’y arrête pour pisser, tout comme j’en ai l’habitude. Elle a même fait une croix quand on est entré à Chaumont, vous savez, celle de Pierre Marie Joseph. Mais je fus très surpris de la retrouver dans mon train, c’était un direct pour Toulouse. Elle s’est assise avec un regard de colère, elle a gardé ce retard pendant au moins 4heures, en regardant le plafond. Puis elle a commencé à appeler quelqu’un. Elle a écouté pendant 5 minutes, et a juste sorti cette phrase : ils ont perdu la guerre, on a juste gagné une bataille. J’ai rarement entendu quelque chose d’aussi pur sortir de la bouche de quelqu’un. Elle s’est arrêtée à Toulouse, et je ne l’ai plus revu. Elle devait préparer un putain de plan, peut être même une révolution, j’aurais bien voulu y participer mais j’avais un train à prendre.

Je ne suis allé nulle part pendant 13 ans, car j’étais dans un train qui ne s’arrêtait jamais de rouler, ou alors, quand il allait au garage, je dormais en rêvant que j’avance à grande vitesse. Pas de lieu, c’est terrible de ne pas avoir de lieu pour écrire une histoire, ou pour signer des feuilles. J’ai dû signer ma déposition d’impôts avec « à presque dans une gare » à chaque fois.  Je comptais faire pareil pour signer cette histoire, mais je vais plutôt dire que cette histoire a été écrite ici.


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Josh – Chronique de l’an 2000

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