On ne part pas – Chronique du wagon-bar

Le train est encore en gare. Il devait partir 5 minutes plus tôt. Je suis du genre en retard. Tous les wagons sont bondés, des gens s’entassent, des sacs tombent dans le passage, des gens se poussent. J’ai des réflexes, je sais que le wagon bar n’est pas pris d’assaut en premier. Donc je gagne un fauteuil dans un train très tendu. En fait il y a une grève imprévue. Un mouvement très suivi, ils en parlaient à la radio. 

Les voyageurs hagards arrivent au wagon-bar. Ils sont en train de comprendre. Il y a du désarroi, des bras qui tombent, des souffles. D’autres voyageurs, qui viennent de trains précédent jamais partis préviennent les autres qu’ils sont désormais compagnons de galère. 

Dans le wagon-bar, les gens commencent à se parler entre eux. Un homme en costume bleu dégaine son téléphone. 

“Mon lapin ? Ça va ? Oui. Dis, je suis toujours en gare là. Le train ne part pas. Je ne sais pas. Je crois que je ne serai pas là pour le dîner. Oh… Je suis désolé.”

Un groupe de jeunes militaires en permission protestent. Une journée de galère pour rentrer, c’est ça en moins sur leur perm’. L’homme en costume bleu et son collègue en costume noir regarde comment ils s’assoient sur leurs sacs. Ils disent à voix basse des trucs qui semblent codés “Lilian a eu un m4 par son n+2” et puis plein de mot anglais. 

Tout le monde voudrait bien acheter des trucs à boire mais le train ne part pas. Il n’y a pas de barman. Le train a été déserté par le personnel. Les militaires commencent à parler avec costume bleu et noir. Au bout d’un moment tout le monde montre les photos de ses enfants sur les téléphones. 

Le paysage, c’est l’Ibis Hotel en face. Je scrute les fenêtres. J’imagine les gens qui viendront y passer un week-end, surement des séminaristes et des infidèles. Le paysage c’est les pubs pour des films américains fluorescents et des chocolats et aussi pour des chocolats fluorescents. Le paysage c’est le jardin public en face. Des balades du temps de l’enfance, et les saisons qui passent sur la mode des feuilles des arbres. 

Le train part dans un sens, une militaire tente de lancer un applaudissement et personne ne suit mais tout le monde manifeste du contentement. Le train fait 4 kilomètres et s’arrête dans les rochers. Puis fait demi tour. Tout le monde dit la phrase “Je n’avais jamais vu ça” et tout le monde rigole nerveusement. 

Une vieille dame passe dans le wagon et hurle “Est-ce que je vais mourir ici ?!”. Une jolie fille passe et vient se planter devant une fenêtre. Tous le monde la regarde. Elle est nouvelle au casting du wagon-bar et son parfum aussi fait partie des nouveaux personnages. Un militaire s’approche d’elle et lui dit “Eh, et si jamais un barman arrive tu voudras boire un jus de fruits avec moi ?”. Elle dit non poliment et s’en va. Les militaires le chambrent. Il dit “au moins ça fait de l’action”. L’un d’eux a tout filmé. 

Une annonce au micro dit de prendre un autre train. Tout le monde court. Le wagon-bar est vide en 2 minutes. Moi je reste là. Scotché au wagon bar. Fatigué. J’écris un peu. Les mêmes passagers reviennent 20 minutes plus tard. Les mêmes personnages. C’est là que je suis descendu du train, après un voyage immobile de 2h. 


Arthur Guillaumot – Chronique du wagon bar

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