L’indien – Chronique du wagon-bar

1.

Il pleut sur la vitre. Je ne sais pas si c’est du plexiglass, je ne connais pas très bien le nom des matériaux. J’aime la couleur du marteau juste à côté, rouge, comme mûr. C’est une grande vitre. Si ce train tombait dans la mer, tout le monde viendrait regarder les poissons depuis ici, c’est sur. Mais ce train n’aura pas l’audace de retourner à la mer. De devenir un sous-marin. 

Une femme, environ trente ans, regarde aussi les gouttes qui roulent sur la vitre. Elle sort son appareil photo. Elle prend une photo. Elle essaye d’être discrète. C’est compliqué. Après plusieurs tentatives, elle lâche un sourire et pose son téléphone sur la table violette du wagon-bar. Elle a acheté un thé juste avant. Elle est bien. Elle sort un livre de son sac à main et deux magazines, au cas où le livre ne soit pas à la hauteur.

Le train, c’est un petit moment confortable entre deux endroits qui bourdonnent.

Dans les transports, par exemple, les gens lisent beaucoup. Ils prennent un temps qu’ils ne s’accordent sans doute pas sur la terre ferme. 

Dans le train on peut faire des plans, dessiner des futurs, penser à après, se rappeler hier, la tête sur la main, en se disant que c’était bien, lire une recette de cuisine pour ne pas acheter les mêmes pâtes fraîches que tous les jours en arrivant en gare. 

Un gamin se roule par terre. Sa mère regarde tout le monde un peu gênée. Il joue aux indiens. Je trouve ça cool. Il y en a plus des masses des indiens. Il tire sur le contrôleur. Pan. Il dézingue la barista. Pan. Il se cache sous la table violette pleine de miettes. Sa mère rougit. Il allume un vieux mec en costard. Pan Pan Pan. L’indien a gagné. Il entame un cri de victoire en se tapotant sur la bouche.

Je lui souhaite de ne jamais se faire capturer par la morosité. 

*

2.

Les passagers ont tous en eux un enfant qui dessine sur la buée des vitres des wagons pleins. Peut-être qu’eux aussi ils imaginent des poissons. Ou des indiens qui tirent sur tout le monde. Les gens vont craquer. Ils ne vont pas tenir ou alors si et ça sera encore pire. Ils serrent les dents. Ils ont des problèmes, pas si graves que ça, mais ils en ont. Et s’ils n’en avaient pas, ça n’irait pas bien non plus. C’est pas ça la vie. 

Je leur souhaite de craquer juste à temps, et de prendre du temps. D’acheter des plantes. Prendre des petits-déjeuners qui durent longtemps. De penser à du lierre qui grimpe sur des maisons en pierre. À des rues en pente quelque part en Argentine, à une mangrove. À une chambre en Asie, à une nuit de solitude à la mer. À des palmiers, à des gens qui font un feu. À des fruits qu’on va bientôt cueillir, peut-être demain. Plutôt que de finir flingués par des chiffres, des horloges, des masques.

Des types passent, prennent des cafés, ne sourient pas, ne regardent rien. Ils portent des cravates offertes à Noël. J’imagine qu’ils ont une femme, des enfants, des parents, peut-être des amis. Est-ce qu’ils font tout le temps cette gueule ? J’imagine qu’ils tentent de se ratrapper avec de l’argent. Ils payent des vacances, pendants lesquelles ils répondent à leurs mails. Ils offrent des maillots de foot et ne vont jamais voir les entrainements. J’essaie de les imaginer en tee-shirt l’été. 

Allô, chérie, oui, je suis désolé d’avoir été nul pendant toutes ces années, non vraiment, tu es une femme formidable et moi je suis tout juste bon à tirer une sale gueule. Mais j’ai renoncé à mon boulot. Partons, avec les enfants, un bateau nous attend. Ne dis rien à personne.” J’aimerai que la conversation du mec qui téléphone trop fort, ça soit ça, et pas une demande de facturation en ligne. Des points, des lignes, plus trop d’horizons. Je vois des cactus, et des poissons qui tentent de se tailler une part. je crois qu’il reste des indiens. 

Profite, petit indien, roule toi par terre et flingue les visages pâles, on finit tous flingués.


A.

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