Couverture : Centre de Rétention Administrative du Mesnil-Amelot – Arnaud Joulois
2020, et une envie de nouer des collaborations de long terme avec des équipes indépendantes, jeunes et passionnées par la culture sous toutes ses formes. Cet article est publié dans le cadre d’une collaboration journalistique entre Première Pluie et Samouraï Coop, une société de production coopérative innovante et décentralisée que j’ai intégré en février dernier. Elle rassemble des profils variés et complémentaires autour de la réalisation de contenus audiovisuels, de médias innovants, et de créations originales. Chaque semaine, je publierai un article culturel spécial, à retrouver sur Samouraï News et sur Première Pluie.
“Comment rester chez soi quand on n’a pas de maison ?” s’interrogeait Samuel, un jeune migrant Éthiopien de la jungle de Calais, dans le micro de Reporterre.
Depuis les mesures de confinement prises par l’Etat français, le sujet des migrants sans-papiers ou régularisés en France inquiète. Des migrants continuent d’être enfermés dans des centres de rétention administrative aux conditions déplorables dues au coronavirus. Les travailleurs sociaux quittent les centres d’hébergement laissant les migrants à l’abandon. Ces derniers font face à une réelle absence d’accès aux droits et aux informations sanitaires, la plupart du temps non-traduites, et à un manque d’apprentissage des gestes barrières. Les permanences juridiques, pour cause d’interdiction de rassemblements, sont suspendues. Et pour les organisations accompagnant les migrants, l’Etat n’agit pas.
Alors, pour en apprendre d’avantage, nous avons échangé avec Héloïse Mary, présidente du BAAM, Bureau d’Accueil et d’Accompagnement des Migrants.
Pauline : Bonjour Héloïse, comment vous définiriez le BAAM ?
Héloïse : Bonjour Pauline. Le BAAM, c’est une association qui aide et accompagne, comme son nom l’indique, au jour le jour les migrants, et surtout qui le fait avec eux, dans le but d’offrir un service le plus large possible, et dans un but d’information globale. C’est-à-dire qu’on ne se contente pas de faire que du conseil juridique, on fait aussi des points sociaux, des points de retour à l’emploi, etc.
Pauline : Quelle est la situation actuelle au sein de votre association, depuis l’apparition du Covid-19 ?
Héloïse : La situation actuelle, c’est qu’on a dû justement mettre fin à toutes nos permanences, que ce soit les permanences sociales, juridiques, sous tous leurs formats, d’aide aux demandeurs d’asile et aussi d’aide aux sans-papiers. Et puis, bien évidemment, on a dû mettre fin aux cours de français, parce qu’ils regroupent trop de monde. On faisait des points de rassemblement trop importants, dans le sens où il y avait, pour une permanence juridique, 50 personnes à la queue-leu-leu à la mairie du 4ème arrondissement, dans un couloir qui doit faire un mètre cinquante de large. Cela me paraît très improbable qu’on continue, d’autant plus qu’on était bien sûr sous-équipés : pas de gel hydroalcoolique, pas de masque, pas de gant, rien. Ni pour les migrants, ni pour nous, ni pour les migrants interprètes qui font partie de l’équipe.
Alors, on a dû arrêter toutes les permanences, puis les cours de français c’est la même chose. Un cours de français, par exemple à Barbès qui est l’école du BAAM qui donne cours tous les jours. C’est 120 personnes dans une salle qui ne fait même pas 50 mètres carrés. Et 120 personnes et un prof, c’est impossible de tenir comme ça. Bien évidemment, on n’a pas été informés par les pouvoirs publics. Ce sont des décisions qu’on a pris de nous-mêmes le vendredi la veille du confinement, le 13 mars, parce que jamais les pouvoirs publics sont venus vers nous pour dire “vous êtes une organisation recevant du public, voici ce que l’on va mettre en place, etc..”. Rien du tout.
Donc, c’est des décisions qu’on a prises assez difficilement, parce que qui dit permanence suspendue, dit difficulté dans l’accès aux droits.
Après, puisque que le BAAM c’est une offre de services, mais aussi une forme de plaidoyers et une association à but politique, notre but a été de faire pression sur les pouvoir publics, notamment sur les préfectures, l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) et la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile), pour arriver à des solutions à peu près correctes en termes d’accueil des migrants. C’est-à-dire qu’il ne faut pas qu’ils accueillent de migrants, puisque ça les met en danger. Jusque là, ça a plutôt bien marché, sauf sur l’ OFPRA qui continue à exiger l’envoi des dossiers sous format postal, même si elle a revu ses délais dans des formats incompréhensibles. Je vous engage à lire la publication de l’OFPRA sur le CoVid-19, on a dû rassembler dix cerveaux pour comprendre là où elle voulait en venir : finalement, elle voulait bien prolonger les délais, mais qu’elle n’était pas sûre, mais qu’elle ferait..
Enfin voilà quoi. Et bien sûr, tout ça n’est pas traduit, mais j’y viendrais après. Et sur les préfectures, on peut encore déplorer Nanterre, qui est ouverte pour certains formats pour les demandeurs d’asile. Donc nous, notre job, c’est de faire pression sur ces pouvoirs publics et ces institutions, pour que ça ferme. Pour que ça ferme et que les migrants ne soient pas pénalisés.
Et notre troisième job, c’est l’accès aux droits et à l’information pour les publics migrants, qu’ils soient demandeurs d’asile ou sans-papiers.
On s’est rendu très vite compte que les pouvoirs publics, les préfectures, et l’Etat notamment n’avaient pas pensé qu’il fallait traduire les informations CoVid-19. Donc tout est en français. Regardez dans les pharmacies, la plupart des gestes barrières ne sont pas traduits.
Moi, j’habite à Château Rouge, il y a à peu près 300 langues réunies à Château Rouge, tout est en français. Ça pose un problème, en fait, que tout soit en français parce que c’est pas comme ça qu’on fait de la prévention. Je suis pas une spécialiste de la santé publique, mais je me dis que finalement la prévention, c’est prévenir tout le monde contre les risques, quelque soit la langue parlée. On a donc dû faire un énorme travail de traduction, et ça a nécessité un énorme travail des interprètes du BAAM bien sûr, mais aussi des associations amies du BAAM pour traduire les attestations d’hébergement, les consignes de santé, des messages pour ceux qui vivent dans les centres d’hébergement spécifiquement. Et tout ça, ça prend du temps.
Par ailleurs, on est en veille constante sur les manoeuvres politiques qu’il y a là. On a fait un dernier post sur ce qu’il s’est passé avec le préfet de Seine-et-Marne qui tout d’un coup se rend compte qu’il “manque des migrants pour cultiver les champs de fraises en France”. Même s’il a repensé sa décision, il s’avère qu’un préfet est un préfet et que quand même il a fortement incité les demandeurs d’asile à aller bosser dans les champs de fraises.
C’est amusant, parce qu’après la polémique des profs, c’est celle des migrants. C’est assez intéressant.
Et puis bien sûr, on continue tous de travailler. Après, il faut pas se leurrer aussi, que ce soit les interprètes du BAAM ou les militants du BAAM, ils ont tous été soumis au confinement bien sûr, mais beaucoup d’entre eux ont développé des formes de CoVid-19 plus ou moins graves. Evidemment, c’est beaucoup plus facile quand tu es un soutien aux migrants, et que tu es bien nourri, que tu as un chez-toi de 50 mètres carrés, que quand tu habites dans un centre d’hébergement et que tu ne peux rien faire. C’est une évidence. Mais malheureusement, des fois aussi, les combattants sont fatigués, comme dirait Macron.
Nous aussi on est un peu en guerre, mais le problème c’est que nous on est en guerre permanente contre un état raciste et policier, donc le virus en plus ça nous a un peu épuisé.
L’idée c’est ça, ça tourne autour de trois points principaux. Un : prendre les mesures d’urgence nécessaires, et d’assurer les suivis sociaux et juridiques de toutes nos permanences. Parce que bien évidemment, on reste joignable au téléphone pour nos suivis, on continue tous les travaux qu’on peut faire sur leurs dossiers à distance. Je ne vous cache pas qu’une permanence juridique à distance, c’est un petit peu compliquée. Tout cela en restant en contact avec eux, ne serait-ce que pour savoir s’ils vont bien, comment ça se passe dans leur centre d’hébergement. Deux : ce travail de plaidoyer et de coups de pression aux instances et aux institutions. Et trois : travail d’accès à l’information et aux droits. C’est en cela que se résume l’activité du BAAM en ce moment.
Pauline : Et justement, les personnes que vous aidez, les migrants, doivent forcément vous donner des retours. Dans quelle situation ils se trouvent actuellement ? Est-ce qu’il y a un sentiment de crainte ? D’abandon ?
Héloïse : Ceux avec qui j’ai parlé sont à la fois inquiets, parce que c’est normal, comme tout le monde, on est tous inquiets. Ils sont inquiets aussi pour leurs proches. Ce sont des personnes qui sont soumises à la distance avec leurs proches, donc ils sont inquiets quand ils les ont au téléphone, puisque que c’est une pandémie mondiale donc ça touche toutes les populations. Par exemple, on a beaucoup de demandeurs d’asile iraniens (ndlr : L’Iran a rapidement été l’un des pays les plus touchés au monde par le CoVid-19) qui sont très inquiets. Donc là, ils sont tous soumis à l’angoisse de la même façon.
Aussi, les migrants voient ce qu’il se passe dans les centres d’hébergement.
Dans la plupart des centres d’hébergement, les travailleurs sociaux ont déserté, donc les migrants sont un peu livrés à eux-mêmes.
Heureusement, on peut saluer leur autonomie, parce vu que l’Europe ne les a pas vraiment aidés à s’installer, ils ont développé des formes de solidarité, d’autonomie qui permettent le fonctionnement et la vie dans les centres d’hébergement, sans coordination finalement des assistants sociaux ni des travailleurs sociaux. Donc ça, c’est quand même spécial, il y a quand même des centres qui fonctionnent en roue libre. C’est-à-dire que c’est les migrants, qui vivent à l’intérieur, et qui continuent de s’autogérer. Heureusement, ils le font très bien localement. Et c’était aussi ça l’importance de traduire toutes les consignes de sécurité. L’autonomie c’est bien, mais pour être autonome il faut avoir le même rapport à l’information.
Sur les migrants qui vivent à la rue, vous savez qu’il y a eu une évacuation du campement d’Aubervilliers dernièrement, avec l’ouverture de gymnases. Les migrants sont inquiets, ils voient bien qu’ils sont 50 par salles et qu’au niveau du confinement, c’est pas ça.
Je vais vous dire un truc un peu horrible, mais on comptera les morts en fait. C’est comme ça que ça va se passer.
S’ajoute en plus à cela, et moi j’ai jamais vu un soignant dans les hôpitaux refuser de prendre en charge quelqu’un, mais c’est vrai que les migrants, notamment pour ceux qui se sont vus imposer des délais de carence, donc les demandeurs d’asile qui bénéficient de la PUMA (Protection Universelle Maladie) vont hésiter. Ils se sont vus imposer des délais de carences de trois mois. Ils vont hésiter avant de se rendre à l’hôpital, non pas parce qu’ils auront peur de ne pas être soignés, mais parce que ça va avoir un coût financier. C’est-à-dire que ce n’est pas la même chose une journée d’hôpital quand on a une couverture maladie ou pas. Et c’est déjà le cas aujourd’hui, on le voit. Donc comme les migrants savent ça, comme ils reçoivent des factures d’hôpitaux qui peuvent être salées quand ils se blessent, ça peut les faire hésiter.
Donc, moi je ne comprends pas très bien pourquoi la France n’a pas fait le choix du Portugal. Le Portugal, en gros, ils ont régularisé toutes les personnes dont les dossiers étaient en cours de traitement. Si déjà la France régularisait toutes les personnes dont le dossier est en cours de traitement, on ferait un bond en avant en termes d’accès aux soins et à la santé fou. Ce qui n’est pas le cas, hein. Alors, c’est pas la solution idéale parce qu’on voyait les titres des journaux en disant “Le Portugal régularise tous les sans-papiers”, alors non, mais il régularise une bonne partie des personnes irrégulières sur son territoire, ou en tout cas donne des titres de séjour temporaire, ce qui est loin d’être le cas en France.
En France, on continue à enfermer les gens. Il y a encore des nouveaux entrants au Centre de Rétention Administrative (CRA) du Mesnil-Amelot.
Le CRA de Vincennes est en feu. C’est-à-dire qu’il y a des grèves de la faim actuellement au CRA de Vincennes. Il y a des nouveaux entrants. Les mesures de confinement ne sont pas appliquées. Le système de soin à l’intérieur des CRA est quasi proche de l’inexistant.
Pauline : Pour vous, comment l’Etat réagit concrètement face à cette situation et quel est votre ressenti, en tant qu’association ?
Héloïse : Notre ressenti, c’est que comme d’habitude l’Etat est incompétent. C’est un fait désormais établi dans la question migrants. Mais non seulement il est incompétent, pour le coup là il est aussi criminel. On a l’habitude de dire que les frontières tuent, mais là les frontières tuent de plus en plus. C’est quand même assez fou. Et en plus il est burlesque.
L’Etat est incompétent, criminel et absurde.
On a quand même un Etat qui continue à enfermer les gens en centre de rétention administrative, alors que les frontières de la France sont “fermées”, donc on ne peut pas expulser.
Donc même dans une logique ultra-autoritaire, ça ne s’explique pas comme décision. C’est incompréhensible, à moins d’être véritablement un Etat raciste, et on peut avoir des doutes sur la question. C’est un vrai sujet : ils prennent des décisions absurdes et très établies en termes de droits des étrangers.
Vous savez il y a eu plein d’audiences devant les juges de la liberté de la détention, pour que les personnes soient relâchées des centres de rétention. Il y a quand même des tribunaux en France qui estiment que “relâcher des gens c’est compliqué, parce qu’ils sont finalement bien plus préservés en centre de rétention”. Evidemment que c’est faux, mais c’est des justifications de tribunaux en France. C’est beaucoup plus confortable évidemment d’être dans le fauteuil d’un juge de la liberté de la détention, que dans un fauteuil d’un centre de rétention administratif.
Nous on a été signataires de pas mal de pétitions. On en a lancé une aussi, parce qu’on est juste écœuré. La réalité c’est ça : il y a un trop plein. En vrai on attend que tout ça se termine et on règlera nos comptes à la sortie, parce que c’est un peu l’idée.
Vous avez été sur un camp récemment ? Il n’y a pas un masque. Dans les centres d’hébergement, il n’y a pas un masque. Le gel hydroalcoolique, c’est parfois les travailleurs sociaux qui l’achètent avec leur monnaie personnelle.
On a l’impression que tout cela est normal, mais en fait non. Les directions de centres d’hébergement, elles reçoivent des financements. Que ce soit des associations ou des entreprises, il y a des financements. C’est-à-dire que les migrants ne sont pas hébergés gratuitement par ces organisations. C’est environ 40€ par personne et par jour. Il est passé où le budget en fait ? Moi je me pose la question. Certe c’est une crise que l’on n’avait pas vraiment prévue, mais alors on ne fait plus rien ? Tout le monde stagne ? On laisse les travailleurs sociaux et les migrants s’exposer ? En plus, ils ne peuvent pas bénéficier de la couverture maladie. Donc on fait quoi ?
Comme il y a une justice à triple vitesse pour les migrants, car ils sont sous le coup d’une justice d’exception. Un migrant, ce n’est pas un justiciable comme les autres. Il a un code qui s’appelle le CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile), qui est particulier. Ils sont aussi soumis à un système de remboursement de soins qui est à deux vitesses.
Pauline : Et pour les migrants qui travaillent, il n’y a à mon avis que très peu de chômage technique ?
Héloïse : A part les migrants qui ont des postes de hautes responsabilités, de compétences, qui leur permettent le télétravail, moi la majorité des migrants que je connais travaillent plutôt sur les chantiers, la restauration, les métiers sous tension. La plupart des migrants que je connais, ils sont livreurs chez Deliveroo. Ils sont auto-entrepreneurs.
En fait, les migrants, c’est les révélateurs XL de la précarité.
Il y en a plein qui sont préparateurs de commandes, qui travaillent à Rungis, qui sont éboueurs. Avec ou sans-papiers. Quand les marchés étaient restés ouverts, qui les installaient ? Qui est vendeur sur les marchés ? Ce sont les migrants. C’est une population que l’on a prolétarisé et précarisé à l’extrême. Donc ils occupent des jobs précaires, mais qui sont du coup importants, primordiaux pour le bon fonctionnement de la société.
Pauline : Comment vous voyez l’avenir vous, en tant qu’association sur le sort des migrants en France ? Et quelles conséquences cette pandémie risque d’avoir sur l’association ?
Héloïse : Nous ça va, mais ce qui risque de se passer, c’est que l’on va avoir un énorme travail à la sortie du confinement. Et puis, la question c’est “quelle sortie ?”. Est-ce qu’on va enfin donner des solutions aussi aux associations de terrain, parce que là.. Moi je veux bien qu’on se déconfine tous, mais comment on va faire nous, et les autres associations qui recevons du public ? C’est-à-dire que moi, je refuse de mettre en danger quelqu’un. Et je suppose que les migrants qui viennent au BAAM refusent qu’on soit en danger aussi. Donc comment cela va se passer à ce niveau-là ?
Nous, on sera là pour se battre de toutes façons. C’est notre habitude. Là, on est sur les starting block. On verra.
Mais, je ne crois pas trop la théorie qui voudrait que ce soit un monde nouveau, tout beau, avec une conscience de son prochain. Moi, le nouveau monde j’y crois pas trop. Je pense que les préfets resteront préfets. L’Etat restera l’Etat, avec les mêmes valeurs de chasse aux migrants. Il ne me semble pas qu’il y ait de révolution à l’Assemblée Nationale. Je ne vois pas de révolution quelconque dans l’air pour le moment.
Merci à Héloïse Mary pour son témoignage.
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Pauline Gauer