Couverture : Apostrophe M
Suite à l’exposition Métro Polis réalisée en mars dernier, Pauline Gauer et Marvin Gomis signent ensemble pour une nouvelle saison. Cette fois-ci, tout débute par un arrêt mondial de la vie courante. Et Métro Polis sans métro, c’est difficile à imaginer. Alors, Métro Polis se réinvente pour un temps, par des mots et des images sous le signe de la vie pendant le coronavirus, dans la rue ou devant les supermarchés. Soyons forts.
Aujourd’hui, je suis allée à la pharmacie. C’est étrange de sortir. Les rues sont vides de monde et pleines de fleurs. Je croise quelques silhouettes aux visages cachés de masques. Une impression d’apocalypse. Aujourd’hui je suis allée à la pharmacie et ça faisait longtemps. Il faut rester chez soi, alors j’y reste. Nous avons acheté des fleurs, un plant de tomate et du basilic que nous avons planté dans le carré de terre sur la terrasse de mon appartement. Je ne suis pas sûre d’avoir le droit de faire ça, mais les insectes ont l’air plus heureux depuis.
Aujourd’hui, je suis allée à la pharmacie et j’ai fait la queue, longtemps. Devant du monde, derrière du monde. Des gens tous différents, des enfants, des parents et d’autres qui ne sont aucun des deux. La file avance un peu. Je suis adossée contre le mur de la pharmacie et sur mon côté droit, je devine la silhouette d’une femme avec des boucles d’oreilles vertes. Je crois que c’est pour ça que je la regarde : le soleil se reflète dans le cristal émeraude accroché à ses lobes et il m’éblouit.
Elle ne cesse de regarder son téléphone, puis sa liste de courses sur un petit papier blanc cassé. J’aime bien les listes de courses, elles en disent plus sur ce que tu es. Elles définissent les saisons, les épreuves de ta vie, les événements. Il y en a de toutes sortes, celles des anniversaires, des soirées d’été, d’une semaine lambda, des vacances en amoureux et des révisions d’examens.
Ce que je préfère, moi, c’est aller au delà de cette liste : se faire plaisir dans le magasin. Acheter quelque chose que tu n’avais pas prévu d’acheter et qui fera plaisir. A toi, aux autres.
Je rentre dans la pharmacie, et la femme aux boucles émeraudes aussi. Je ne sais pas ce qu’elle vient acheter mais moi c’est pour du doliprane et des vitamines. Ça sert toujours. J’espère pour elle que tout va bien, et qu’elle achète aussi du doliprane. Mais ça, je ne le saurais jamais, sauf si je lui demande ou si je l’attends mais je ne voit pas bien pourquoi je ferais ça. En plus, il faut que je rentre. Je dois m’occuper de mes fleurs, et de mon poisson qui se bat avec une fève d’astérix que j’ai mis dans son bocal. Il fait beau pour un printemps confiné. Je vais rester sur ma terrasse aujourd’hui, je crois.
Pauline Gauer