Combien de fois avez-vous pris le train de votre vie ? Peut-être des centaines de fois ou simplement pour un aller-retour ? Le trajet vous a sûrement marqué. Le bruit de la gare, les destinations qui s’enchaînent sur un écran bleu, la foule qui s’agite dans les wagons et le paysage qui défile par la fenêtre.
Il y a quelque chose de beau avec les trains, quelque chose de nostalgique, de romantique. Le genre d’endroit où l’on croise des visages qui nous marquent. Celui des départs tristes et retrouvailles à la nuit tombée. Celui des chocolats chauds des distributeurs et des librairies populaires.
Aujourd’hui, au travers de trois œuvres, Triptyque vous propose de revenir sur ces voyages en solitaire et ces allers sans retour.
En 2003, le photographe et cinéaste français Bernard Plossu présente Train en Espagne, une photographie argentique en noir et blanc. Né au Vietnam, il consacre sa vie à la photographie plasticienne et de mode, faisant des voyages en train sa spécialité. Bernard Plossu raconte les paysages infinis et les rencontres éphémères au travers de mouvements et d’atmosphères figés dans le temps.
“En photographie, on ne capture pas le temps, on l’évoque. Il coule comme du sable fin, sans fin, et les paysages qui changent n’y changent rien. […] J’aime la rapidité du train confrontée à la rapidité de la prise de vue, double vitesse, double intelligence nécessaire.” – Bernard Plossu
Train en Espagne, c’est la beauté d’un visage immobile, dans un wagon mobile, où rien ne s’y passe. Les valises sont en cuir. Fumer n’était déjà plus autorisé. Et la sensation d’être installé sur l’un des sièges de ce train, à contempler la vue, puis le petit écran accroché au plafond, puis de nouveau des arbres et des champs que l’on ne verra plus, ne s’évanouit jamais.

En 1912, le peintre et dessinateur français Albert Marquet peignait Rouen, quai de Paris depuis la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Sur le tableau, il représente le Pont Boieldieu au-dessus de la Seine, un endroit de la ville qui semble l’avoir marqué. C’est un Rouen en pleine industrialisation et mondialisation qui se dessine au travers de constructions multiples, de chantiers et d’ouvriers qui s’animent sur le port.
Ciel nuageux et atmosphère calme, presque austère malgré la teinte rosée de la scène. Albert Marquet renouvelle l’idée du paysage urbain de l’époque, en jouant le contraste entre l’agitation des travailleurs et la quiétude de la scène, vue par le peintre de sa fenêtre.
Au premier plan se dessine la silhouette d’un train à vapeur, principal transport terrestre de marchandises à l’époque. C’est d’ailleurs ce dernier, et la calèche non loin de lui, qui témoignent de l’époque dans cette œuvre. Sans ces détails, la scène pourrait presque sembler d’actualité.

Considéré comme le premier film de l’histoire de la cinématographie et monument historique international, L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat a été réalisé en 1895 par les cinéastes français Louis et Auguste Lumière. Cette séquence de cinquante secondes, en noir et blanc et sans bande son, met en scène l’arrivée d’un train en gare de la Ciotat, ville du Sud-Est de la France, et des voyageurs qui montent et descendent du train.
En 2015, le Youtubeur russe Denis Shiryaev utilise un algorithme d’intelligence artificielle pour restaurer l’image de l’arrivée du train, montant la résolution en qualité 4K et appliquant une vitesse de 60 images par seconde. La scène devient alors plus réaliste que dans la version originale car elle permet de recréer le mouvement des voyageurs à vitesse réelle, initialement filmé en 16 images par seconde. Considérée comme un miracle de technologie, la nouvelle version du premier film de l’histoire par Denis Shiryaev est visionnée plus de quatre millions de fois.
Pauline Gauer