POUBELLE / TRIPTYQUE, LES TROIS OEUVRES DE LA SEMAINE, N°6


A première vue, les déchets ne semblent pas être les objets les plus esthétiques ou inspirants pour la création d’une œuvre d’art. Pour autant, ils sont le reflet des époques et des mœurs des êtres humains. Les emballages, les marques et les goûts témoignent de la vie de chaque individu, en entrant dans l’intimité de ses habitudes.

Cette semaine dans Triptyque, ce sont les poubelles qui sont mises à l’honneur dans des œuvres pleines de sincérité, touchantes voire même nostalgiques. Les trois artistes présentés aujourd’hui ont su détourner cette image sale et nauséabonde des déchets pour recréer des portraits de sociétés, beaux et criants de vérité.


L’exposition qui m’a le plus marquée, c’est celle de Vik Muniz à la Collection Lambert à Avignon, en 2012. Le plasticien brésilien présentait à travers le monde son dernier projet photographique Pictures of Garbage, accompagné de son film documentaire Waste Land, nominé aux Oscars.

C’est en 2008 que Vik Muniz se rend à Rio de Janeiro dans le Jardim Gramacho, la plus grande décharge d’Amérique du Sud. Il fait la rencontre de Tião et d’autres ‘catadores’, les ramasseurs de détritus. Bouleversé par leur histoire et leur vie parmi les déchets, il consacre deux ans de sa vie à leurs côtés pour créer son projet artistique.

Il photographie les catadores dans des poses inspirées d’œuvres célèbres, et les reproduit sur le sol d’un hangar à l’aide d’ordures de la décharge, créant ainsi des fresques immenses illustrant les conditions de vie du bidonville du Jardim Gramacho.

C’est Tião, qui mène une révolution contre le gouvernement brésilien et qui a fondé une association pour aider les catadores, qui sert de modèle à l’œuvre la plus imposante de la série : Marat assassiné, inspirée du fameux tableau de Jacques-Louis David.

Après le succès de sa série photographique et du documentaire Wasteland, Vik Muniz a reversé tous les fonds récoltés de la vente de ses œuvres à ses modèles ainsi qu’aux autres catadores.


En février dernier, Pascal Rostain et Bruno Mouron, deux des plus grands paparazzis de la presse française depuis les années 1980, présentaient leur exposition Paparazzi, au cœur des poubelles de stars.

A la fin des années 1980, ils sont inspirés par un article du Monde écrit par un professeur d’université en sociologie. Selon lui, nos poubelles seraient le reflet de nos modes de consommation et de nos comportements sociaux. Les deux paparazzis ont alors l’idée de “faire les poubelles” des célébrités, en commençant par celle de Serge Gainsbourg en 1988. Puis, ils se mettent à fouiller les poubelles de dizaines de célébrités françaises et américaines, “le matin avant le passage des éboueurs”. C’est une nouvelle façon d’entrer dans l’intimité de ces personnalités publiques, d’analyser leurs envies et même leurs pensées.

“Tu ne peux pas aller plus loin dans l’intimité. Tu rentres dans le tube digestif des gens. Depuis le temps qu’on nous traitait de fouille-merde, on est allés au bout de la logique.” – Pascal Rostain

Une fois les déchets récupérés, Pascal Rostain et Bruno Mouron les disposent étalés sur un fond noir, telles les preuves d’une scène de crime ou une nature morte entre Pop Art et Nouveau Réalisme.

Brigitte Bardot, 1989, Pascal Rostain et Bruno Mouron
(vu le nombre de produits alimentaires pour animaux, il n’était peut-être pas nécessaire de préciser)
Steven Spielberg, 1990, Pascal Rostain et Bruno Mouron

Arman est un peintre, sculpteur et plasticien franco-américain connu pour ses “accumulations”. Quand l’artiste commence à travailler avec des ordures, nous sommes en 1959, au milieu des Trente Glorieuses. C’est l’émergence de la société de consommation et Arman voit dans ces poubelles le reflet et la preuve de la vie d’une société. Un regard finalement prémonitoire sur les années de gaspillage et de surconsommation à venir.

Dans sa série Poubelles, qui présente des collectes de détritus mises sous verre, Poubelle des Halles sort du lot. On y retrouve des notes sur du papier, des emballages plastique, des bouts de bois et un ticket pour une soirée au théâtre. C’est l’image que l’artiste donne de cet endroit de Paris, un haut lieu de passage et de consommation. Un portrait démystifié, anonyme et intime de la société parisienne.

Arman raconte à de nombreuses reprises que le plus dur dans la création de cette série, c’est le regard de jugement des passants lorsqu’il fouillait les poubelles pour rassembler ses déchets. Une fois la récolte terminée, l’artiste remplissait les boîtes en verre en se souciant de chaque détail et presque à ras-bord, un moyen de témoigner de la consommation à outrance. C’est d’ailleurs en octobre 1960 qu’il réalise l’exposition “Le Plein”, clin d’œil à ses accumulations artistiques.

Poubelle des Halles, Arman


Pauline Gauer

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