Interrompue par la pluie est une chronique proposée par Emma Bojan, dans l’averse, notre podcast bi-hebdo. Voici la première chronique diffusée dans l’averse, le 20 septembre dernier.
Vous pouvez écouter Interrompue par la pluie, dans l’averse ici, sur Spotify, ici sur Deezer, ici sur Apple podcasts à 23min14.
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Paris, Mardi 19 août 2020,
19h28, ciel gris, presque orageux, au bord de l’apocalypse, mais assez lourd pour que ça soit rassurant. En fait, ce ciel porte en lui la charge émotionnelle de ma soirée. Le genre de moments que je redoute le plus et en même temps ce sont ces moments qui donnent un sens à ma vie.
Alors au fil de ma marche, je me questionne sur ce à quoi ça va ressembler. Est-ce qu’il va y avoir des blancs ou des moments de gêne ? Ou si c’était l’homme de ma vie ? Bon, arrête tes conneries Emma. C’est rare de rencontrer l’homme de sa vie sur Tinder. Enfin, Alexia et Paul se sont rencontrés sur Tinder et ils sont restés 5 ans ensemble. Mais bon, il l’a quand-même vraiment prise pour une conne violent. Ils étaient en vacances chez ses parents à elle je crois, à la mer. Et genre miskina, dès qu’elle faisait une sieste, il allait chopper des petites zouzs de Tinder sur la plage. Chaud. Je crois que plus c’est gros, plus ça passe.
Bon allez ! Emma, n’essaie pas de changer de sujet. Ça y est, je commence à regretter d’avoir dit oui, parce qu’en fait, je stresse. Le pire, c’est pas le début. Au début, tu vois, il y a le confort de l’ignorance. Au début, on aura tout un panel de sujets à explorer. Mais la fin… La fin quand on va se dire au revoir. S’il me plaît, c’est sur, il faudra que je fasse un truc pour le chopper.
Bon euh, allez, chaque chose en son temps. En fait, moi, c’est ça mon problème. J’ai du mal à… enfin, j’arrive pas à…
Est-ce que je viens d’avoir mes règles, là, tout de suite ? C’est pas possible, c’était il y a deux semaines. Ohla, oh, pourtant je sens un truc dans ma culotte actuellement.
Putain, c’est relou, si j’ai mes règles, là, j’ai rien sur moi… Bon, chaque chose en son temps.
Et plus je marche, plus mon cœur se met à se battre. Il se bat en fait, vraiment. Je veux dire, il se bat, et se sépare en deux camps. L’un pour et l’autre contre le moment que je m’apprête à vivre.
Pied gauche, je suis méga bonne ce soir. En vrai ça va le faire.
Pied droit, t’imagines c’est un de ces psychopathes qui emmène les filles chez lui, les congèle, les découpe, les mange, les vomit et les remange ?!
Pied gauche, eh, une vie toute entière se résume à un geste fou. Go, girl, go !
Pied droit, fait chier, j’ai pris les chaussures les plus glissantes du monde. Là, si je tombe, je crois que je ne me relève plus jamais. Trop de fierté.
Pied gauche, t’imagines je tombe, ma robe se soulève et j’ai mes règles sur la route ?
Pied droit, il commence à fariner ou je rêve ?
Pied gauche, j’aime trop cette expression, fariner. À chaque fois que je l’emploie on me dit qu’elle existe pas et que c’est moi qui invente des choses.
Pied droit, du coup à chaque fois je dois me justifier en disant que je dis farine parce qu’il ne pleut pas assez pour dire “il pleut”.
Pied gauche, ah ça y est, je peux dire “il pleut”, parce que là il pleut.
Pied droit, et si je ne peux pas discerner un pet discret d’un pet pas discret tout à l’heure ?
Pied gauche, franchement, dans le doute, je les retiens tous.
Pied droit s’en va, et pied gauche le suit. Pied droit et pied gauche me propulsent sur un bout du sol comme une vulgaire plaque d’égout. Je fais désormais partie de la voirie française. Moi, mes Converses glissantes, mon seum et mon dégoût pour tout ce qui m’entoure. Absolument TOUT, et surtout la chaleur du béton moite.
Finalement, je ne suis pas restée longtemps au sol. Je me suis levée au bout de 3 secondes. Cette expérience m’aura prouvée que 3 secondes suffisent pour rebrousser un chemin et envoyer un message à ce cher Gabriel, 22 ans, Paris :
“Ecoute, je suis désolée, mais en fait, j’ai les symptômes du Covid.
Donc ça m’angoisse un peu voilà, je préfère faire un test, demain première heure.
Mais une prochaine fois. Je suis désolée, bonne soirée Gabriel.”
Foutue pluie.
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Emma Bojan / Interrompue par la pluie / Illustration : Marvin Gomis
Concept créé en mode Yes life avec Arthur Guillaumot.
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