Depuis le début de la pandémie, de nombreuses personnes disent faire des rêves de plus en plus étranges et complexes, surtout pendant les périodes de confinement. En effet, notre corps étant enfermé dans un espace clos et restreint, notre esprit semble divaguer dans des scénarios de liberté et d’aventure.
Mais les rêves sont aussi une source d’inspiration pour les artistes au fil des époques, permettant d’imager les pensées subconscientes de notre esprit. Cette semaine dans Triptyque, les rêves de trois artistes sont mis à l’honneur, entre folie, cauchemar et expérience.
C’est en 1944, pendant son exil aux Etats-Unis, que le célèbre peintre espagnol Salvador Dalí, peint l’impressionnante huile sur toile Rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une pomme grenade une seconde avant l’éveil.
Dans un style surréaliste, Dalí peint le paysage du Port Lligat en Espagne, puis deux pommes grenades, deux tigres et une rascasse tenant de dévorer l’un d’entre eux, un fusil, une abeille et un éléphant aux longues pattes semblables à celles d’un insecte. Au centre de l’œuvre, à la manière des statues grecques, l’artiste peint le corps nu de Gala Dalí, sa femme dont il est fou amoureux.
Rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une pomme grenade une seconde avant l’éveil, un nom à rallonge pour exprimer les étapes du rêve étrange de Gala, où le bourdonnement d’une abeille provoque chez elle le rêve d’une piqûre.

A la fin des années 1960, le photographe américain Arthur Tress se lance dans l’enregistrement audio des rêves et cauchemars des enfants, un sujet qui le passionne. C’est seulement en 1972 que l’artiste commence à photographier ces jeunes au centre de leurs histoires. Beaucoup de ces rêves sont des cauchemars de noyade, de chute, de poursuite par des monstres, d’humiliation et de prise au piège.
Boy in Flood Dream, Ocean City, New Jersey, une photographie apparaissant dans le livre The Dream Collector sorti en 1972, met en scène un jeune garçon accroché au toit d’une maison qui s’est échouée sur le rivage après une inondation. A partir de l’histoire de l’enfant, Arthur Tress a su créer un paysage désolé digne d’un rêve sans logique, et transmettre au spectateur un sentiment de solitude et d’abandon.

Avec l’apparition du spiritisme à la fin des années 1840, naît la surprenante pratique de la “photographie spirite”, illustrant la “cristallisation d’esprits”, les fantômes et les spectres. Née dans un désir de capturer l’invisible, cette pratique inspire la photographie des fluides au tout début des années 1900, avec la photographie de pensée, ou psycho-photographie.
Le maître en la matière, c’est le photographe et militaire français Louis Darget. Pendant plus de trente ans, il réalise des milliers d’expériences à partir de divers procédés afin de capturer les pensées.
“Lorsque l’âme humaine produit une pensée, elle envoie des vibrations à travers le cerveau, le phosphore qu’elle contient commence à rayonner et les rayons sont projetés.” – Louis Darget
Louis Darget considérait que la pensée était lumineuse et phosphorescente, donc susceptible de s’imprimer sur une plaque photographique sensible. Pour réaliser Le rêve d’aigle de Madame Darget, en 1904, le photographe avait placé la plaque métallique sur le front de sa femme pendant une nuit entière afin de capturer l’image de son rêve. Au réveil, après avoir développé la plaque, Louis Darget y découvre la forme d’un aigle. C’est pour lui un succès dans sa démarche de capturer les rêves, bien que cette dernière fut plus tard définie comme une fraude par l’Académie française des Sciences.

Pauline Gauer