La fois où j’ai vendu Versailles

J’étais encore au lycée. Je ne sais pas si ça change quelque chose pour vous. Moi, c’est ce qui m’a évité la prison. J’avais 16 ans, comme dans la prose du Transsibérien. Je n’avais pas assez de sept gares et mille et trois tours. En somme, je voulais le monde, la maille et le mieux.

Je vais vous raconter la fois où j’ai vendu Versailles. Versailles, la ville. Pas la ville dans une boule en neige qui coûte 3 euros. Pas non plus le pavillon de chasse marécageux. Non, la ville qui brille et qui met des pulls sur les épaules. Le jour où elle va voter royaliste. Avant de mater une rediff’ de Stéphane Bern. Cette ville. 

C’était après un cours de maths houleux où j’avais failli mourir assassiné par un prof fou, dont je reparlerai sans doute. Je me demandais comme tout le monde : Comment faire pour arrêter l’école / Tout en gagnant beaucoup d’argent. Bref, je rêvais de me tatouer U.S.A sur les fesses. Et comme je ne trouvais pas, j’ai fait comme tout le monde qui a au moins une chemise blanche dans son dressing : j’ai monté une arnaque. Pas une arnaque compliquée en plus. 

L’idée, c’était de vendre une ville. J’ai cherché sur Ecosia pour savoir si on pouvait vendre une ville en plus. Je ne voulais pas que ça me retombe dessus. Et je n’ai rien trouvé. Donc je l’ai fait. Pour faire simple, j’ai pris la ville qui pouvait me rapporter le plus. Pas la plus grosse, mais disons la plus brillante de l’extérieur. J’ai choppé de belles photos. Et j’ai rédigé et publié une annonce sur Le Bon Coin. (pour ce placement, j’ai reçu un fauteuil un peu cassé)

L’annonce disait : 

Pour des raisons personnelles, que rien ne m’oblige à communiquer ici, je suis dans l’obligation de me séparer de cette charmante ville. En parfait état, mais léger dysfonctionnement : elle penche systématiquement à droite. Si vous tapez dessus ça doit pouvoir s’équilibrer. Tout est très propre, les enfants sont bien peignés, les chiens se retiennent de faire leurs besoins dehors. Vendu dans son uniforme : un pull en laine posé sur un polo. Les dorures sont intactes, les mentalités n’évoluent pas non plus.

Pour ce qui est du prix, l’avantage, c’est que je pouvais la vendre moins cher que ce qu’elle valait vraiment. 1 milliard me suffirait amplement. Le prix de départ était donc de 10 milliards, pour que les acheteurs pensent faire l’affaire du siècle. 

L’annonce publiée, j’ai d’abord reçu quelques propositions pas sérieuses ainsi que des menaces d’habitants de la ville. Mais une nuit j’ai eu une vraie touche. Et j’ai sorti le poisson de l’eau. (Je vous raconte bientôt la fois où j’ai présenté une émission de pêche)

L’acheteur avait fait fortune dans le pétrole. J’ai fait comme un club de foot : j’ai dit oui tout de suite. On négociait en anglais. Je me souviens que je passais tout sur Google Traduction. Il faut dire qu’à l’époque ma prof d’anglais était en arrêt maladie éternel (elle avait cassé une roulette de sa valise à roulette). Finalement, j’ai vendu la ville 17 milliards d’euros. L’acheteur était mauvais en anglais aussi je pense.

J’ai reçu l’argent dès qu’il est arrivé dans la ville. J’avais posé ma journée de lycée (j’avais le droit à RTT) pour venir lui faire visiter la ville. Je faisais coucou aux habitants, je portais les bijoux de toutes les filles de classe, et j’avais payé une boulangère pour qu’elle rentre dans mon jeu quand je disais que j’étais l’ancien propriétaire. 

Dans le train du retour, j’ai fait comme dans le tuto comment devenir un mec dangereux : j’ai croqué ma puce de téléphone pour ne pas qu’il me retrouve. 

Pendant 6 mois, personne n’a réussi à remonter jusqu’à moi. C’est l’avantage de venir de Langres. Entre-temps, avec l’argent, j’ai refait l’internat. J’ai acheté les Lakers pour qu’ils jouent dans le gymnase à côté du lycée et plus en NBA. Les Lakers de Langres. Je me déplaçais dans la ville en hélico et j’avais fait venir des lions ours. Ils vivaient dans la ville. 

Et puis après j’ai eu un procès mais le juge a estimé que c’était marrant. Le mois suivant les députés ont voté une loi qui interdisait de vendre une ville sur Le Bon Coin. Un peu comme une loi des States qui interdit de tirer sur des baleines depuis un 4×4. Dans des siècles, ça fera marrer tout le monde. Ils ont repris ce que j’avais acheté et tout a repris son cours normal. Après j’ai fait d’autres business.

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Arthur Guiomo / Mémoires // Photo de Une Diego Zebina

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