Photo de couverture : Le 20 novembre, les forces de l’ordre évacuent la jungle de Hospital, à Calais / Pauline Gauer
Après le démantèlement du bidonville de la Sécherie à Grande-Synthe le 16 novembre, les évacuations des jungles de Calais et des alentours semblent se multiplier. Comme en témoigne l’association Utopia 56, que nous avons accompagnée sur les lieux, la violence des forces de l’ordre est “omniprésente”.
Le 24 novembre 2021, 27 personnes perdaient la vie dans le naufrage de leur embarcation dans la Manche, au large de Calais. Face au drame le plus meurtrier jamais observé à la frontière entre la France et l’Angleterre, Gérald Darmanin s’exprimait sur Twitter.

Des rapports plus que tendus entre forces de l’ordre et les exilés
Les propos tenus par le ministre de l’Intérieur ont rapidement indigné les associations présentes sur place. Parmi elles, Utopia 56, qui œuvre jour et nuit dans l’accompagnement des personnes en situation d’exil. Nous les avons suivis dans les jungles de Calais et des alentours lors de maraudes d’informations et de distributions. Tous les jours, les bénévoles de l’association sont témoins “des abus et violences des forces de l’ordre, qui maltraitent les exilés et leur enlèvent leur dignité.”

16 novembre au petit matin, des dizaines de fourgons de CRS traversent la ville de Calais en direction de Grande-Synthe. Quelques minutes après, le bidonville de la Sécherie sera démantelé et plus de 1200 exilés seront évacués. Accompagnées d’une équipe de nettoyage mandatée par l’Etat, les forces de l’ordre saisiront bâches et couvertures puis lacèreront les tentes afin de les rendre inutilisables. Des actions qui ne sont pas singulières comme en témoignent de nombreux exilés : dans le Calaisis, les violences policières sont partout et tout le temps.
Une police “criminelle”

Face à l’injustice, devant la jungle de Old Lidl entre les villes de Calais et Marck, flotte dans l’air un immense sentiment de détresse. Près du fossé anti-franchissement creusé par les autorités, un homme au regard hagard fixe le terrain vague, vide. Dans ce désert où les flaques se mêlent à la boue, quelques regroupements persistent en bordure du terrain et plus loin dans les bois, des hommes installent une bâche entre deux arbres pour se protéger des futures intempéries. Ce matin-même, seulement quelques heures auparavant, les forces de l’ordre ont perquisitionné des tentes et des affaires personnelles. Parmi eux, Ibrahim témoigne de ce qu’il a vécu la nuit dernière :
“C’était la soirée que j’avais choisie pour traverser. Nous nous sommes rendus sur la plage un peu avant minuit et avons récupéré le bateau et le moteur. Au moment où nous avons pris la mer, la police nous a trouvés. Ils nous ont chassé pendant plus d’une demi-heure à travers les buissons.” raconte-t-il, encore sous le choc. “Un policier m’a frappé. J’ai très mal à la jambe, je ne peux presque plus marcher. Et aujourd’hui encore, ils m’ont enlevé ma tente.” Après avoir passé une partie de la nuit caché dans un bosquet, Ibrahim témoigne des mots humiliants d’un CRS : “Rentre en Afrique, tu n’as rien à faire là.”
Des évictions “abusives”

Nous sommes le 20 novembre et depuis le début de la semaine, c’est déjà la troisième éviction que subissent les exilés de la jungle de Hospital, en périphérie de Calais. La pluie a tout juste cessé que de tous les abords, des CRS envahissent la zone. Toujours plus nombreux, ils perquisitionnent les tentes et imposent à une cinquantaine de personnes d’évacuer le secteur. Une chaussure jonche l’herbe d’un sol encore verdoyant pour un mois de novembre, abandonnée par un jeune réfugié qui pousse un lourd caddie de nourriture et de duvets. Comme les autres, il est forcé de quitter la jungle. De loin, l’un des membres des forces de l’ordre s’impatiente, face à des hommes plus âgés originaires d’Afghanistan qui ne parlent pas français : “Allez les bougnouls”. Ici, le racisme est omniprésent : dans toutes les jungles, les exilés témoignent de l’humiliation des forces de l’ordre à leur égard.
D’après le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, sur la situation des personnes exilées à Calais et Grande-Synthe le 12 février 2021, l’association Human Rights Observers déclarait que plus de 1 000 expulsions de lieux de vie informels avaient été opérées par les autorités à Calais et dans la région en 2020.

Un traitement inhumain, “dégradant” selon le rapport de Human Rights Watch publié au début du mois d’octobre, qui dénonce “les opérations répétées d’expulsion massive, le harcèlement policier quasi quotidien et les restrictions pesant sur la délivrance d’aide humanitaire et sur l’accès à cette aide”. Cinq ans après le démantèlement de “La Jungle”, l’État semble de nouveau, pour les associations et les locaux, se déresponsabiliser face à la crise humanitaire, rejetant la faute sur les passeurs qui “exploitent la misère humaine [et sont] responsables de l’immigration irrégulière”, selon Gérald Darmanin.

Pauline Gauer