S’il ne vous restait qu’une aventure à vivre, si on découvrait un nouveau continent, la première chose que vous feriez, pas instinct de survie, serait sans doute de lancer une chanson des Limiñanas. Ils ont fabriqué leur nouvel album, De Película, sorti le 7 septembre dernier, entièrement avec Laurent Garnier. Un road trip en spirale, un conte bourré d’épines et d’oasis. Discussion avec Lionel Limiñana. Bonne aventure. 

De quoi cet album, De Película, est-il la première fois ? Qu’est-ce qui a été tenté, exploré ? 

Je pense que c’est la première fois qu’on fait un disque entièrement avec quelqu’un, sans jamais le voir physiquement. Tu sais, on a déjà travaillé avec Antoine Pascal. Ce n’est pas le premier disque qu’on fait entièrement avec quelqu’un, mais les circonstances ont fait qu’on ne s’est pas du tout vus sur l’enregistrement. Mais on s’est rendus compte en en parlant après que de toutes façons, on ne se serait pas vus, parce que par timidité et par habitude de travail, Laurent, Marie et moi, on préfère travailler dans notre coin. Donc même sans le contexte sanitaire, on aurait travaillé de cette manière là, mais c’est une première fois. 

Ça a été notre disque le plus facile à faire

D’ailleurs même avec Marie, tu dis que tu as encore de la pudeur pour dévoiler ce que tu fais, tu penses que la distance qui a été instauré par le Covid a permis de passer des barrières de pudeur et de se montrer des choses un peu plus facilement ? 

C’est certain. Ce qui est certain aussi, c’est qu’on n’hésitait pas à essayer plein de trucs. Et curieusement, on a gardé 99% de ces choses-là. Ce n’est pas du tout un album qui a été d’abord composé mélodieusement par nous et ensuite pris en chargé par Laurent. C’est un disque d’échanges, il y avait une sorte de jeu, une excitation rigolote et d’impatience à recevoir les morceaux et les propositions de l’autre pour travailler dessus. La surprise a eu une part importante. Le fait qu’on ne soit jamais dans la même pièce, y compris à la maison, parce que c’est pareil entre Marie et moi. Je bossais d’abord dessus avant qu’elle prenne le relai. On a pu tester encore plus de choses. 

Mais quand l’autre est dans la pièce, ce n’est juste une question d’être impressionné ou pudique, c’est plutôt que tu n’as pas envie de lui faire perdre du temps. Là je bosse pour Les Wampas, je tente des choses dans tous les sens, avec des tas d’instruments. Travailler seul permet d’aller plus loin parfois. 

Oui et puis c’est excitant de bosser comme ça, pour voir la réaction en face ! J’ai lu que vous envoyiez les morceaux, avant de partir à la plage en attendant que Laurent écoute. 

Oui c’est vrai ! Mais c’est parce que je suis insomniaque à l’envers. Je me lève très tôt le matin, vers 4h, puis je ne suis bon à rien l’après-midi. Je bosse entre 6h du mat et le début d’après midi. Après direction la plage. Laurent essayait de nous appeler, mais nous on ne pouvait pas répondre alors on découvrait ce qu’il avait renvoyé en fin d’aprem. On s’est bien marrés. Je ne sais pas comment décrire ça, le disque a été fait sereinement, sans prise de tête, hyper naturellement. Ça a été notre disque le plus facile à faire. 

Est-ce que c’était aussi parce que c’était la période Covid, comme si tout devait être tenté au cas où c’était la fin du monde ?

Quand-même ! Nan mais j’ai été traversé par ce genre d’idées au tout début du confinement. J’adore la science-fiction, donc cette situation post-apocalyptique me parlait. On aurait dit un mauvais scénario de film italien. Mais en fait on a été sauvé de l’angoisse assez vite par le boulot. On a eu plein de propositions pour bosser sur des séries ou des docs. On a eu plein de choses à enregistrer très vite. Et puis on a vite voté tout ce qui était anxiogène, comme la télé. Donc ça n’a pas été trop traumatisant, grâce au travail justement. 

Je n’avais pas de doutes sur le fait qu’on puisse refaire des disques ou qu’on puisse se retrouver, par contre je commençais à douter du temps que ça allait prendre avant qu’on puisse rejouer. Et c’est encore dans l’air du temps, on a forcément appris à douter du fait de pouvoir aller jusqu’au bout de la tournée. 

C’est peut-être prétentieux, mais à notre échelle, on cherche à transporter et à raconter des histoires.

Tu sens toujours cette fragilité ?

On a eu une date annulée en Hollande la semaine dernière. Pour moi on était sortis de ce genre d’histoires, je ne pensais pas que ça allait arriver à nouveau. 

Est-ce que ça un impact positif sur l’énergie ? En vous disant que chaque date peut-être la dernière vous vivez plus chaque date ?

On essaye toujours de faire du mieux qu’on peut où qu’on soit ! Après certains soirs la sauce prend plus que d’autres mais alors ça c’est toujours inexplicable. Enfin si : c’est parce qu’on fait de la musique vivante. Mais oui, on profite vraiment de chaque date qu’on fait. 

Qu’est-ce que vous découvrez sur l’album en le jouant ? 

Si tu veux le live, pour des histoires de planning, on ne le fait pas avec Laurent, pour des raisons de planning. Alors il est plus électrique, même s’il y a quand-même des machines puisqu’on a embauché Ed Pistolas, qui est le chanteur instrumentiste qui joue sur Que Calor !, très bon ami de Laurent et qu’on aime beaucoup aussi. Il apporte quelque chose de plus électrique. Sur scène, il fait partie du groupe et a donné un sens à la tournée. 

Après, c’est toujours la même chose quand tu essaies d’adapter un disque au live, surtout au niveau des arrangements – sachant qu’on hésite jamais à superposer des pistes pour créer des sortes d’instruments virtuels. Il faut faire des choix. Mais de toutes façons, je hais les lives qui ressemblent parfaitement au disque. Alors on se permet de prendre des libertés sur l’adaptation. 

Aujourd’hui, ça me semblerait compliqué d’aborder un disque sans avoir une idée précise de ce qu’on va raconter comme histoires.

Qu’est-ce que tu peux envier au cinéma, que tu ne retrouves pas dans la musique ? 

Il y a des avantages et des inconvénients dans les deux pratiques. De ce que j’en vois, ce que j’en sais, ce que j’en entends, le cinéma reste une sortie d’usine à gazs très complexe. Et en termes de gestion et de logistique, il est beaucoup plus ramifié, ne serait-ce que parce que justement, il englobe une partie de production de musique, parmi toutes les autres activités qu’il nécessite. 

Finalement je crois que je n’envie rien au cinéma, je ne fais pas de la musique pour combler une éventuelle frustration d’ailleurs. C’est plutôt dans l’idée d’avoir de la narration dans un disque. Disons que c’est plutôt dans la lignée d’une certaine tradition, comme le Gainsbourg de Melody Nelson ou de L’homme à la tête de chou, mais aussi des histoires drôles que pouvait raconter Jacques Dutronc dans ses premiers disques. Je pense aussi à Iggy and the Stooges.  Adolescnent, quand j’écoutais les albums des Doors ou des Cramps, en mettant un casque, en fermant les yeux et en me faisant mon propre film. Mon envie de cinéma s’arrêtait là. 

Mais j’aimais aussi beaucoup les disques de l’enfance, les contes, les histoires lues. Pierre et le loup, avec Gérard Philipe et tous les instruments, ça me transportait. 

Quand on travaille les disques avec Marie dans une structure narrative classique, début, milieu, fin et au milieu des instrumentaux, ce n’est pas qu’en référence au cinéma, mais aussi à ce genre de disques. C’est peut-être prétentieux, mais à notre échelle, on cherche à transporter et à raconter des histoires. 

Ce que tu dis sur le conte c’est intéressant, parce que j’ai toujours eu l’impression que dans vos disques, les morceaux sont augmentés par les réponses qu’ils se donnent les uns aux autres

C’est exactement ça. Tu sais, le premier disque sur lequel on l’a pas fait, c’est le premier album. Il a été fait de brics et de brocs, et sur plusieurs périodes. On bricolait. Il raconte des histoires, mais qui sont indépendantes. Mais dès le deuxième, on a travaillé comme ça. Le deuxième et le troisième disque racontaient plutôt des histoires de famille, à l’italienne. Pour Malamore, j’avais autour de moi des gens qui vivaient des histoires d’amour avortées ou compliquées. On pioche toujours quelque part ce qui va nourrir le disque. On parlait de ces histoires, alors le disque s’est appelé comme ça. 

Aujourd’hui, ça me semblerait compliqué d’aborder un disque sans avoir une idée précise de ce qu’on va raconter comme histoires. Là, avec Marie, on commence à en parler pour le prochain, et je ne cherche pas tellement à trouver des compositions, on en a plein. On a plein d’idées au niveau de la musique. Ce qu’on cherche, c’est l’histoire.

Un scénario finalement ? 

Oui, enfin, tu vois, sur De Película, ça serait plus un synopsis qu’un scénario. Je trouve que pour un disque, c’est suffisant. Tu expliques où on est, ce qu’il se passe, l’auditeur doit imaginer le reste. 

Tu peux vraiment changer l’atmosphère, le ressenti, la dynamique du film ou du disque avec le montage

Et puis même pour vous le scénario s’écrit sans doute quand l’idée a été suivie, donc à la fin, non ?

Exactement. Tu sais, c’est comme ça que ça s’est passé sur le dernier album. C’est Laurent qui a mixé le disque avec Stéphane Dri aka SCAN X, son collaborateur, avec qui je bosse aussi régulièrement. Ils ont fait ça en Provence, chez Laurent. On réfléchissait à un premier ordre des titres. Et comme on pense toujours vinyles avant de penser au numérique, on pense toujours à l’ordre et la durée par face. Question de dynamique. L’ordre se décide aussi en fonction de ça. Donc on a fait un premier tracklisting normal, qu’on aimait bien, même si l’histoire était encore plus dark. 

Mais quand on a dû équilibrer l’ordre des morceaux pour les faces du vinyle, on a dû changer l’ordre de deux ou trois titres. Quand on a réécouté l’album dans cet ordre-là, c’était plus du tout la même chose. Et là, tu t’aperçois que c’est comme un montage de film en fait. Tu peux vraiment changer l’atmosphère, le ressenti, la dynamique du film ou du disque avec le montage. 

Et là, peut-être que les gens qui l’écoutent sur les plateformes, en aléatoire, découvrent encore un autre récit. 

C’est même sur ! 

Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ?

 La première pluie ? Ça me fait penser à Riders On The Storm des Doors.

Arthur Guillaumot / Photo Mathieu Zazzo / Entretien réalisé pour le concert de The Limiñanas à L’Autre Canal à Nancy le 1er décembre. Vous pouvez également le retrouver sur Splash, le blog de LAC.

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