Jeudi 20 mai 2021, le premier ministre Jean Castex montait dans un train de nuit. Le premier Paris-Nice de nuit à reprendre du service. 3 trains de nuit circulent donc, puisque 2 perduraient. Depuis 1981, inéluctablement, les lignes fermaient, les unes après les autres. Pourquoi ce revirement ? Et ça ressemble à quoi un voyage en train de nuit ? On a réfléchi et on a testé. 

Spoiler : les trains de nuits ne ressemblent pas à celui qu’on voit
dans la nouvelle saison de la série Emily in Paris.

Le train des tartuffes 

Vous connaissez la SNCF ? Nous non plus on ne peut pas les voir. Comment l’entreprise publique française des services ferroviaires peut-elle ressembler à ça ? Ça ne dit rien de bon des politiques de transports qui se succèdent depuis des années. Des billets toujours plus chers, des gares qui ne sont plus – ou presque plus desservies, bref un service qui se dégrade. 

Au sujet des trains de nuit, l’ancien boss, Guillaume Pépy, pointait du doigt le manque de rentabilité des lignes qui existaient encore, comme les gouvernements successifs et leurs ministres des transports respectifs. Si le quinquennat d’Emmanuel Macron a commencé par trancher la question des trains de nuit comme les autres, on constate un revirement. Depuis 2018, ce sont d’abord Elisabeth Borne, puis Jean-Baptiste Djebbari (oui, le type le plus insupportable des réseaux sociaux) qui ont porté le retour des trains de nuit. 

La question du train démontre, comme pour la Santé ou l’Éducation, la tartufferie de ceux qui prennent des décisions. Ceux qui dégradent des conditions d’accès et de travail, pour démontrer qu’un service ouvert à tous/tes ne tient plus la route et qu’on devrait le réformer ou le fermer. Comme un gosse qui détruit un jouet pour en avoir un autre et pour qu’on jette celui qui ne lui plaît plus assez.

Comment souvent, c’est quand elle comprend qu’elle est à la ramasse par rapport à ses voisins européens que la France se réveille. Ah oui, l’avion n’est pas une bonne solution pour les déplacements à l’intérieur d’un même territoire. Et oui, le train de nuit c’est la réponse engagée aux compagnies low-cost qui proposent de faibles tarifs pour traverser le pays. Et oui, pour les déplacements de loisir, partir le soir permet d’économiser une nuit à l’aller et une au retour. Donc oui, maintenir des trains de nuit, proposer de nouvelles lignes et un meilleur service, c’est social et écologique. 

Et le pire, c’est que c’est possible d’être rentable. C’est le cas pour la compagnie autrichienne ÖBB qui a repris une partie des lignes abandonnées par l’allemande Deutsche Bahn en 2016. Et le service ? 10 x meilleur que sur le réseau français. Voitures-lits à la place des couchettes partagées pour la classe affaires, des prises pour tout le monde, et le petit déjeuner inclus dans le prix du billet. 

En 1981, 550 gares étaient desservies par au moins un train de nuit. Avant la réouverture du train de nuit Paris-Nice, il ne restait que 2 lignes en France, (donc une vingtaine de gares desservies). Paris – Briançon et Paris – Latour-de-Carol. C’est ce dernier qu’on a testé. 

Dans le train de nuit 

Test du train de nuit, mais façon intense : aller-retour. Prendre le train de nuit qui va dans les Pyrénées demandait d’avoir une nuit, une journée entière et une autre nuit pour le retour. Il faut rejoindre Paris, pour prendre le train à Austerlitz. Oui, c’est une vraie aventure, vous allez découvrir la gare d’Austerlitz (enjambez la Seine et vous y êtes depuis la gare de Lyon en 10 minutes). 

Déjà, vous allez pensez que c’est hyper cher, en fait pas tellement. Vous pourrez embarquer pour une cinquantaine d’euros. Moins cher qu’un hôtel et je vous rappelle que vous allez de l’autre côté de la France. Mais surtout, astuce : les trains de nuit sont accessibles avec l’abonnement TGV max / Max Jeune. Profitez de ça pour rentabiliser au max cet abonnement (79 euros par mois). 

21h14 Paris Austerlitz – Latour de Carol Enveitg 09h22

La journée sur place 

19h15 Latour de Carol Enveitg – Paris Austerlitz 07h09

Oui, vous avez bien lu, 12h de trajet. Vous avez le choix entre les couchettes et les places assises en fonction de votre billet. Si vous avez l’habitude de dormir dans le train en journée, vous passerez une bonne nuit en place assise. Le personnel de la scnf a l’air assez compréhensif avec le masque pendant la nuit. Mais comme on est au temps du covid, restauration compliquée à bord, pensez à prévoir à manger mais surtout de l’eau. 

Si vous avez ça en stock, prévoyez une lampe frontale, pour lire. Les lumières sont éteintes aux environs de 23h. Il n’y a qu’un seul arrêt avant minuit puis plus du tout avant Auterive  vers 6h du matin. Donc vous pouvez dormir sans trop de crainte. Essayez de ne pas avoir trop d’affaires si vous êtes du genre inquiet. Ensuite le train s’arrête dans une petite cohorte de gare Saverdun, Pamiers, Foix, Tarascon Sur Ariège, Les Cabannes, Luzenac Garanou, Ax Les Thermes, Merens les Vals, Andorre – L’hospitalet, Porte Puymorens (les dernières étant des stations de ski). 

Evidemment, rien ne s’est passé comme prévu. Réveil en gare de Toulouse. Boum-boum-boum, il est 6h terminus, les voies sont gelées. Ceux qui veulent peuvent aller jusqu’à Ax les Thermes à 6h47. Ok. Le train part et s’arrête à Foix. Rails gelés aussi. Ok. Un bus, mais pas assez de place. Ok. Finalement le soleil se lève et un train part autour de 9h. Il va jusqu’à Latour de Carol, en serpentant calmement dans les canyons. Un ter qui ressemble à la campagne mais qui trouve le courage de monter à 1500m comme un chamois. 

11h30 en gare de Latour de Carol. Rien. Le relais est encore ouvert mais un panneau annonce qu’à 13h il ferme jusqu’au lendemain. Une pharmacie clignote en face de la gare. C’est tout. Un vieux raconte sa vie à 2 rues de là. Serveur toute sa vie. En dépression maintenant dit-il. Autour de lui, les cheveux blancs des montagnes. On est dans une cuvette. Pour trouver un café ? Il faut aller en Espagne, à Puigcerdà. Il parle du tabac moins cher. Il dit qu’avant ça bougeait dans le village, du temps où son père tenait la boulangerie. Maintenant c’est lui va réveiller le maire quand il y a une galère. Et il y a moins de neige aussi. 

Pour aller en Espagne, il faut marcher une petite heure. Petit chemin dans une pampa où un train orange glisse parfois. Le silence comme au bout du monde. On sent qu’on est loin. Au début je regardais sur l’appli GPS de mon téléphone mais maintenant je suis sur. La frontière se passe à pied. Des plots de béton avec des tags en espagnol et en français. Puigcerdà est une bourgade calme. On dirait une ville de casino. Il y a tout ce qu’il faut, et comme le soleil est sorti (il fait quand-même -10), le linge sèche aux fenêtres. Il faut acheter ce qu’il faut pour le trajet du retour, nourriture et boisson. C’est aussi le moment de boire un café parce que sinon le prochain est dans très longtemps. 

Au moment de quitter l’Espagne, la sncf envoie un message : pas de train de retour, mais un bus jusqu’à Toulouse et ensuite train de nuit comme prévu. Horaire identique. Ok. Il faut rentrer à Latour de Carol avant la nuit, mais une fois là-bas, pas grand chose à faire avant le départ. 420 habitants. Mais un terrain de basket et un skatepark presque terminé. La gare est morte mais les douaniers viennent en groupe écumer les trains qui arrivent de Barcelone. Ils jouent avec leurs matraques en attendant. Pas de café à la gare. 

Le bus ressemble au bus du PSG de l’intérieur. Il met du temps pour rallier Toulouse. L’équipe de France espoir de lutte revient d’un stage dans le même bus. À Toulouse, à 11h du soir, petit créneau pour boire un café, dans la brume. Puis le train part. Vous aurez une bonne estime de vous si vous avez pensé à acheter des lingettes pour faire votre première toilette en 24h. Puis dodo ? Plus facile de dormir au retour en théorie. Les lumières des villes traversées bercent votre voyage. Mhh vous aurez envie d’aller jusqu’aux States comme ça. 

Arrivée à Paris à 7h, vous regardez les gens avec mépris parce que vous venez de faire le truc le plus con et le plus cool du monde à la fois. Très belle expérience. Il faut des trains de nuit partout. Pour réunir des armées, pour l’écologie de ce déplacement plus lent, pour le temps retrouvé, pour Albertine disparue (aucun rapport en fait). Ne prenez juste pas ce train en période de vacances. 

Mais il faut des trains bien plus modernes : ni à l’aller ni au retour les trains ne sont dotés de prise pour recharger vos appareils. Pensez donc à prendre des batteries externes. Attendez en fait je fais une liste de ce qu’il vous faut : 

  • Batterie externe 
  • Eau 
  • Lampe frontale 
  • Lingettes 
  • Brosse à dent 
  • Livre 
  • Sous-vêtements de rechange (vous allez vous sentir super sale, donc changez aussi de tee-shirt si vous pouvez)
  • Gel Hydroalcoolique 
  • Boisson énergisante
  • Tout ce que vous pouvez avoir en double et qui ne coûte pas trop cher, ni ne prend trop de place

Voyager en train de nuit implique de savoir où vous mettez les pieds, donc préparez le voyage en avance. Je ne me suis pas senti en insécurité (du tout), mais si j’étais une femme seule, mon ressenti ne serait peut-être pas le même, dans ce moyen de transport encore trusté par les hommes. La SNCF met en places des wagons « femmes seules », qui sont en fait partagés et finissent par devenir mixtes. Si vous avez envie d’être tranquille, profitez des périodes hors vacances et weekend. Les deux trains de nuits qui survivaient avant 2020, Latour de Carol et Briançon, sont en fait des trains de skieurs.

Bref, prendre un train de nuit, cahoter comme un sac de patates sous les lumières périphériques à travers tout le pays, c’est cool. Et ce malgré les détours — ça m’apprendra à tenter ça en plein hiver par -12. L’Etat et la SCNF doivent encore mettre le paquet pour que la France rattrape son retard en matière de train de nuit. On va tous les tester.

Arthur Guillaumot à Latour de Carol, jeudi 13 janvier, illustration à la Une : Edward Hopper