Avec Lacrima, Caroline Guiela Nguyen s’octroie 3 heures pour nous immerger dans la confection de la robe de mariée d’une princesse anglaise, de Paris à Mumbai en passant par Alençon, et en n’omettant pas les histoires intimes des différents protagonistes. Dit comme ça, ça semble casse gueule, mais le pari est magnifiquement réussi. 

Un bouquin d’Emmanuel Carrère traîne sur votre table de chevet, en attendant d’être fini — on parle du troisième chapitre. Il faudrait voir le film de Justine Triet aussi, celui dont le titre sert à faire des jeux de mots. Le temps vous manque déjà, alors aller au théâtre pour voir une pièce de 3h : c’est un luxe inaccessible. Pourtant en allant voir la pièce de la directrice du Théâtre National de Strasbourg, on économise du temps. C’est un film, c’est un roman, c’est un récit choral où les procédés narratifs qui se croisent et le dispositif immersif fait de zooms sur grand écran et voix-offs touchent leur but : nous maintenir si longtemps dans les histoires. 

Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

De la maison de haute couture Béliana, à un atelier de broderie indien, en passant par celui des dentellières d’Alençon, on suit Marion, première d’atelier, Thérèse, dentellière, et Abdul, le meilleur brodeur de Mumbai, dans leurs drames intimes, comme des respirations entrecoupées. Comment Caroline Guiela Nguyen s’y prend-elle pour mêler autant d’histoires sans nous perdre quand d’autres y parviennent avec une seule ? C’est peut-être ça, le théâtre populaire, qu’elle défend dans son théâtre, avec la programmation de sa saison à venir. La directrice strasbourgeoise évoque la santé mentale au travail, les violences psychologiques et physiques dans le couple, questionne l’asservissement par le capitalisme et la dépression chez les plus jeunes, avec toujours la même précision. Ce n’est pas un hasard si la pièce se clôture sur une légende chinoise qui raconte que “Chaque nœud enferme les larmes de l’époque”. 

Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Dans cette pièce, la question du secret est centrale. Le secret d’état, qui veut que la robe soit préservée du regard du commun des mortels, même pour ceux qui la confectionnent. La robe épouse la forme de leurs non-dits et les drames se fondent dans le drapé. Marion a tant de mal à dire la violence que lui inflige son mari, Thérèse est otage des secrets sur la disparition de sa sœur et Abdul ne peut révéler que ses yeux le trahissent. 

Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Je respire, tu respires, je respire, tu respires.” C’est l’exercice de Marion et de sa fille quand cette dernière entre dans une crise. Lacrima est un immense travail sur la respiration. On pense aux dentellières, en apnée sur leurs ouvrages, qui veillent les unes sur les autres pour aider les autres à penser à respirer. Lacrima invite à surveiller la respiration des autres, ne serait-ce que pour anticiper l’arrivée des larmes, comme on scrute le ciel en été pour prévenir l’orage. Quoi de plus universel qu’une respiration, quoi de plus populaire que les larmes ?

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Durée : 2h55

Avec Dan Artus, Dinah Bellity, Natasha Cashman, Charles Vinoth Irudhayaraj, Anaele Jan Kerguistel, Maud Le Grevellec, Liliane Lipau, Nanii, Rajarajeswari Parisot, Vasanth Selvam 
et en vidéo Nadia Bourgeois, Charles Schera, Fleur Sulmont
et les voix de Louise Marcia Blévins, Béatrice Dedieu, David Geselson, Kathy Packianathan, Jessica Savage-Hanford
Texte et mise en scène Caroline Guiela Nguyen 
Scénographie Alice Duchange 
Costumes et pièces couture Benjamin Moreau 
Musique Jean-Baptiste Cognet, Teddy Gauliat-Pitois, Antoine Richard  
Son Antoine Richard en collaboration avecThibaut Farineau
Lumière Mathilde Chamoux, Jérémie Papin 
Régie générale Stéphane Descombes, Xavier Lazarini 
Régie plateau Fabrice Henches 
Régie vidéo Jérémie Scheidler, Philippe Suss (en alternance) 
Régie lumière
 Mathilde Chamoux, Thibault D’Aubert (en alternance) 
Régie son Julien Feryn 
Habillage Bénédicte Foki 

Tournée :

24 septembre au 03 octobre 2024 : Strasbourg – Théâtre National de Strasbourg

20 au 21 novembre 2024 : Reims  – La Comédie de Reims

28 au 30 novembre 2024 : Milan 🇮🇹 – Piccolo Teatro di Milano

07 au 11 décembre 2024 : Lille Théâtre du Nord

18 et 19 décembre 2024 : Arras Tandem

07 janvier au 06 février 2025 : Paris – Odéon-Théâtre de l’Europe

13 au 21 février 2025 : Lyon Les Célestins

26 au 28 février 2025 : Rennes – Théâtre National de Bretagne

14 et 15 mars 2025 : Luxembourg 🇱🇺 – Théâtres de la Ville de Luxembourg

20 et 21 mars 2025 : Liège 🇧🇪 Théâtre de Liège

28 au 30 mars 2025 : Madrid 🇪🇸 – Centro Dramático Nacional Madrid

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Texte : Arthur Guillaumot

Photos : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon