Si on lui prédit partout un destin entre Pomme et Zaho de Sagazan, Solann hérite surtout des figures de femmes puissantes des contes, des légendes, des mythologies, quelque part entre la prêtresse, la sorcière et la princesse. Le trophée de révélation féminine des dernières Victoires de la Musique, une grande tournée, un Olympia complet et un Zénith de Paris qu’elle vient d’annoncer. Interview avec le tournis. 

Arthur : Solann, ton premier album, Si on sombre ce sera beau, vient de sortir. Même ce titre est prophétique, est-ce qu’il fallait commencer comme ça ?

Solann : J’aime bien, ça fait classe “il est prophétique”. Oui, je n’allais pas cacher le fait que je suis quelqu’un de très cynique, mais que j’aime que tout soit beau et qu’il y ait les formes. Forcément, ça représente un peu tout ça. J’écris rarement des chansons joyeuses. Elles sont toutes un peu sombres, ça je ne pouvais pas y couper. Autant en faire quelque chose de joli. 

Pour autant, tu as la tristesse polie, d’utiliser plutôt des images que des mots crus. Tu utilises des images, des métaphores, voire des animaux, plutôt que de nommer les choses. 

Les contes, les symboles, les mythes, c’est ce qui parle le plus vite à absolument tout le monde, à toutes les époques. J’ai grandi avec ça, c’est ce qui me parle le plus. 

C’est aussi pour ça que l’album commence par Mayrig, qui veut dire mère en arménien ? 

Oui ! Il faut dire aussi que je ne savais pas où la mettre après. Chaque chanson convoque son propre univers, parfois étrange. Et je ne la voyais pas arriver après quelque chose. Pour ma maman d’abord, et ensuite on passe au reste. 

C’est comme ça que tout commence, après tout. 

Oui, tout commence toujours par la mère. 

“J’aime que tout soit beau et qu’il y ait les formes.”

Qu’est-ce que tu as appris sur toi en préparant cet album ? 

Je suis un peu hyperactive dans ma façon de faire des choses, d’avoir des projets. Et c’était un des premiers gros projets que je terminais. Début, milieu, fin. Je l’ai fait avec le plus de soin possible. Je n’ai rien bâclé, alors que j’ai tendance à bâcler. J’ai découvert que c’était faisable. C’est aussi parce que j’ai toute une équipe derrière moi, ça aide. J’ai aussi découvert que je pouvais tirer plusieurs chansons d’une galère, ça c’est pratique. Là, certaines sont complètement sèches. 

Ça veut dire qu’il faut en vivre de nouvelles ?

Ceci n’est pas un appel à candidatures. Il faut me laisser tranquille. 

Est-ce que tu as déjà reconvoqué une douleur, ne serait-ce que pour être certaine d’en avoir fini avec elle ? 

Dans mes chansons, effectivement je vais jusqu’au bout. Mais dans la vie de tous les jours, je n’aime pas trop me rouler dedans. Ma façon de me rouler dedans, de la traverser vraiment, c’est mes chansons. J’ai de la chance, parce que c’est un processus qui répare vraiment et qui n’est pas masochiste. C’est rentable ! 

“Si ça peut continuer, ça m’arrange, j’aime beaucoup ce que je fais.”

Certaines de tes chansons deviennent presque des slogans, elles s’échappent du studio pour prendre la rue, qu’est-ce que cela te fait ?

C’est le plus beau des cadeaux… J’ai vu des paroles de Rome en manif. J’ai passé tellement de temps en manif… De les voir sur des pancartes, de les entendre chantées, je crois que c’est ce qui m’arrive de plus beau. 

Il y a certains airs, certaines paroles qui peuvent être retenus de toutes et de tous, je pense notamment à la chanson Comme les animaux. Comment on fabrique cette dimension universelle ? 

Ce n’était pas une volonté. Ça vient comme ça et je ne le calcule pas. À part justement la fin de Comme les animaux, où je réfléchissais à quelque chose qui puisse se gueuler en manif. C’est l’énergie que je voulais, Manif CGT avec tout le monde qui gueule derrière. Celle-là a été réfléchie mais le reste non. C’est toujours une grosse galère de trouver des mélodies. Quand j’en trouve une, je ne fais pas d’autres essais, je la garde et je ne la lâche plus. Je ne sais pas si c’est de la spontanéité ou du désespoir. 

Il faut dire aussi que maintenant, tes mots sont accompagnés par un volume d’instruments. 

Je ne vois pas de quoi tu parles… (en se retournant vers les instruments)

Est-ce que c’est intimidant ?

C’est très nouveau. J’étais déjà impressionnée en studio par ces changements. Mais je suis encore plus déroutée maintenant qu’on prépare le live. J’adore, ça apporte une couleur totalement différente. Ça me fait beaucoup plus vibrer — de façon purement physique avec les basses. Avec le petit ukulélé, tu n’en imposes pas beaucoup. J’adore ce qui est en train de se créer. 

“Je n’ai eu que de la chance.”

La dernière fois qu’on s’est vu, tu parlais de ta peur d’être un phénomène du moment. Là, tu viens d’être nommée trois fois aux Victoires de la Musique. Ça, ça restera ! 

J’ai toujours cette peur. J’ai vraiment peur que les gens se lassent de ce que je propose. La plupart des chanteurs se sentent comme ça, parce qu’ils se proposent eux, leurs problèmes, leur douleur, leur poésie. Les gens qui se lassent, c’est pire que des gens qui détestent. On ne peut jamais prévoir, on ne sait jamais ce qui va arriver. Le vent tourne assez vite. Alors je profite de ce qu’il se passe. C’est cliché, mais je vis pleinement chaque moment, les annonces, les concerts, les nominations, les moments en studio. Mais si ça peut continuer, ça m’arrange, j’aime beaucoup ce que je fais. 

Alors il faut que tu sois nommée 6 fois l’année prochaine. 

12 ! 

C’est troublant d’être nommée directement trois fois ? 

Oui, alors, euh, pour le coup ce n’est pas pour faire ma modeste, mais je ne m’y attendais pas du tout. Ce n’était pas dans mes plans. 

(©DIEGO ZÉBINA)

Est-ce que tu dirais qu’à certains moments tu as eu de la chance ?

Je n’ai eu que de la chance. Tout du long. J’ai rencontré les bonnes personnes au bon moment, de sortir les bonnes chansons au bon moment, que le bon public me trouve. On ne dit ça qu’en anglais mais j’allais dire “I’m golden”. Mais c’est vrai, je suis dorée. J’ai énormément de chance dans la vie. 

Dire que tu es dorée, ça veut aussi dire que tu reflètes la lumière des autres non ?

C’est moi ça ! Et dans tout ce qui m’arrive, évidemment c’est grâce au travail, mais il y a un facteur chance qui est énorme. Qui tient surtout au fait d’avoir rencontré les bonnes personnes, qui m’ont protégé dans ce milieu, qui est un milieu très compliqué. Je ne suis tombée que sur des gens qui font gaffe, qui sont à l’écoute. C’est ma plus grande chance. 

Tu t’es longtemps définie comme une “sorcière réconfortante”, c’est toujours le cas ? 

Le côté sorcière, je ne l’ai pas quitté. Il est dans l’album, ça va continuer de m’habiter, c’est personnel, c’est familial. Les histoires de sorcières, avec leur côté ésotérique, ont toujours été mes préférées. C’est une autre façon de chercher de la puissance et de la force, je le vis comme ça en tant que femme. Et le côté réconfortante, je crois que deux chansons de l’album sont réconfortantes, c’est pas mal deux sur treize non ? 

Oui, mais est-ce que les autres ne sont pas réconfortantes à leur façon, parce qu’elles permettent de se reconnaître ou de faire communauté ? 

C’est pas faux, finalement, le côté réconfortant est vraiment resté.

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Conte à rebours — interview tirée de Première Pluie magazine n°13, à découvir ici.

Vous pouvez retrouver Solann sur Instagram et sur TikTok.

Elle sera à Vendenheim le 21 mars, à la BAM à Metz le 22 mars, à La Vapeur à Dijon le 03 avril et à La Cartonnerie à Reims le 10 décembre, puis un Zénith de Paris le 25 mars 2026.

Interview : Arthur Guillaumot, réalisation et montage : Diego Zébina, ingé son : Joshua Thomassin

Interview réalisée à Paris, le 16 janvier 2025.