Le Munstrum Théâtre adapte librement Macbeth de Shakespeare. Mise en scène sanguinolente, ambiance crasseuse et personnages masqués, Louis Arene et sa troupe déploient sans filtre la violence du pouvoir meurtrier. On l’a vu au Théâtre Dijon Bourgogne, un mois après sa création.

Macbeth, c’est ce roi qui, après une bataille victorieuse, croise des sorcières oracles qui lui annoncent qu’il sera roi. Ainsi, après avoir comploté avec sa femme Lady Macbeth, il assassine son souverain pour prendre sa place puis plonge dans une spirale sanguinaire pour conserver le pouvoir.

(©NICOLAS MARTINEZ)

Le spectacle commence par une intro longue d’une dizaine de minutes. C’est la guerre de chaque côté du plateau. Ambiance à la 1917, un Macbeth des tranchées s’annonce. Les grenades pleuvent, des parties de corps volent, des cris se déchirent, dans un déballage de fumée complet. Lorsque les personnages apparaissent, ils semblent déjà être des fantômes.

(©NICOLAS MARTINEZ)

L’esthétique du Munstrum Théâtre sait tailler dans le vif, elle saisit les corps, les métamorphose à souhait. Dans Makbeth, elle est brute, visqueuse, holographique. Le voyage vers l’univers insaisissable qu’ils ont créé est direct. Entouré·es de murs en tôle gigantesques, les comédien·nes ont tous·tes un masque chauve, ne laissant que bouche et menton apparents. Les habits sont vieux et sales et mixent entre la pauvreté et le rétrofuturisme. C’est une valse de gueux, une danse de corps crades qui s’avance sur scène. Les personnages ont l’air accablés de leur propre existence. Ils ont déjà perdu avant que tout ne s’annonce, le pouvoir a déjà rongé leur âme.

(©NICOLAS MARTINEZ)

L’ambiance est anachronique et ose se moquer des conventions. Lady Macbeth porte une robe en tente Quechua quand une autre Dame est habillée en sac de couchage. On emprunte à la fois au cinéma de genre, faux sang qui gicle à gogo, et aux productions hollywoodiennes, de l’intro à sa fin — qui n’est pas sans rappeler la scène finale de The Substance.

L’adaptation du texte du Shakespeare a été sèche. Pas de compromis. On taille. De nombreux personnages disparaissent et un est créé pour combler les trous : un bouffon, qui suit le récit tout du long. Il se permet d’ailleurs une aparté à mi-chemin pour faire frémir les puristes de l’auteur anglais. « Vous n’êtes pas au bout de vos peines« . N’en ressort que le nécessaire, et un dosage habile pour ajouter du rire à une pièce qui n’en a que trop peu — on soupçonne d’ailleurs Shakespeare d’avoir ajouté a posteriori les quelques scènes comiques.

(©NICOLAS MARTINEZ)

Ce savant bazar monté par le Munstrum Théâtre est une réussite esthétique totale. On ne cesse d’en être impressionné. Les comédien·nes sont eux-aussi saisissants dans leur alliage entre monstres et bouffons. On regrette seulement la longueur, 2h30, qui peut tendre à se réduire sans perdre de sa qualité.

Vu les réussites passées de leur compagnie et les moyens déployés, on attendait beaucoup de ce Makbeth. À la vue de la pièce, une petite odeur persiste. Celle de l’ego. Louis Arene et Lionel Lingelser, les créateurs du Munstrum, se sont accordés les rôles titres, Macbeth et sa Lady. Comment ne pas faire le parallèle ? On est dans l’expérience d’un artiste qui se fond dans son personnage. Face à un pouvoir de création étendu, Louis Arene s’est-il perdu dans le trop-esthétique ? Pourquoi adapte-il Macbeth ? Il le charcute mais ne le dépasse pas, il se contente de s’y amuser.

(©NICOLAS MARTINEZ)

C’est évidemment un très bon spectacle, un délire esthétique jubilatoire qu’il faut se presser de consommer dans sa géante tournée. Mais il lui manque ce petit quelque chose, ce recul artistique, cette vision supplémentaire qui aurait pu le rendre, comme le texte qu’il adapte, intemporel.

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Tournée 24/25

02 et 03 avril – La Comédie, CDN de Reims 

10 au 18 avril – Les Célestins, Théâtre de Lyon 

29 avril au 15 mai – Théâtre Public de Montreuil – CDN 

22 et 23 mai – La Filature, Scène Nationale de Mulhouse

10 au 13 juin – Théâtre du Nord – CDN de Lille

Tournée 25/26 à venir, à retrouver sur le site du Munstrum Théâtre

Avec Louis Arene, Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Lionel Lingelser, Anthony Martine, François Praud, Erwan Tarlet
D’après William Shakespeare
Mise en scène Louis Arene
Une création du Munstrum Théâtre
Conception Louis Arene, Lionel Lingelser
Traduction, adaptation Lucas Samain en collaboration avec Louis Arene
Dramaturgie Kevin Keiss
Collaboration à la mise en scène Alexandre Ethève
Scénographie Mathilde Coudière Kayadjanian, Adèle Hamelin, Valentin Paul, Louis Arene
Création lumière Jérémie Papin, Victor Arancio
Musique originale, création sonore Jean Thévenin, Ludovic Enderlen
Costumes Colombe Lauriot Prévost assistée de Thelma Di Marco Bourgeon, Florian Emma
Masques Louis Arene
Coiffes Véronique Soulier Nguyen
Chorégraphie Yotam Peled
Assistanat à la mise en scène Maëliss Le Bricon
Direction technique, construction, figuration Valentin Paul
Effets de fumée, accessoires Laurent Boulanger
Accessoires, prothèses, marionnettes Amina Rezig, Céline Broudin, Louise Digard
Renforts accessoires, costumes Marion Renard, Agnès Zins, Ivan Terpigorev
Stagiaires costumes Morgane Pegon, Elsa Potiron, Manon Surat, Agnès Zins
Stagiaires lumière Tom Cantrel, Gabrielle Fuchs
Fabrication costumes avec le soutien de l’atelier des Célestins, Théâtre de Lyon.
La toile Le ciel orangé a été créée par Christian Fenouillat pour La Trilogie de la Villégiature mis en scène par Claudia Stavisky
Régie générale, plateau Valentin Paul
Régie son Ludovic Enderlen
Régie lumière Victor Arancio
Régie costumes, habillage Audrey Walbott
Régie plateau Amina Rezig
Administration, production Clémence Huckel, Noé Tijou (Les Indépendances)
Diffusion Florence Bourgeon
Presse Murielle Richard

Production Munstrum Théâtre
Coproduction Les Célestins, Théâtre de Lyon / Théâtre Public de Montreuil, Centre dramatique national / TJP, Centre dramatique national de Strasbourg – Grand Est / Comédie, Centre dramatique national de Reims / La Filature, Scène nationale de Mulhouse / Chateauvallon-Liberté, Scène nationale / Les Quinconces et L’Espal, Scène nationale du Mans / Théâtre Dijon Bourgogne, Centre dramatique national / Théâtre Varia – Bruxelles / Malakoff, Scène nationale / Le Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan
Soutiens DRAC Grand Est / ministère de la Culture au titre du Fonds de production / S.A.S. Podiatech – Sidas / dispositif d’insertion professionnelle de l’ENSATT / Ville de Mulhouse

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Texte : Joshua Thomassin

Photo à la Une de Nicolas Martinez