Comme Arianne, dans le mythe antique, sheng remonte des fils, ceux des relations amoureuses chaotiques, ceux des origines et de la famille dans un labyrinthe urbain, où les tissages intimes deviennent des morceaux cathartiques, journal intime générationnel et spider-poésie ultra rythmées, figées sur un premier album, J’SUIS PAS CELLE 非你所想, paru le 07 février dernier. Grande interview.

sheng, tu viens de sortir ton premier album, J’SUIS PAS CELLE 非你所想. Si tu n’es pas celle, alors, laquelle est-ce que tu es ? 

Comme tout le monde, j’ai plusieurs identités, entre guillemets. On a souvent un masque social qui n’est pas le même en fonction qu’on soit avec des personnes très proches, des inconnu·es, ou si on est seul·e avec son intériorité. Ce projet est un mélange de tout ça, de tout ce que j’ai envie d’être. De ce vers quoi je tends, mais aussi de ce que je suis. De mes vulnérabilités comme des aspects plus égotrips de ma personnalité. 

Intéressant que tu parles d’abord de l’aspect psychologique ! Moi je lisais ça comme “Je ne suis pas celle que vous voulez que je sois quand vous me renvoyez à une origine” et dans le sens amoureux “je ne suis pas celle que tu voudrais que je sois”. 

C’est ça aussi. J’ai choisi ce titre parce que pendant longtemps je pensais que je n’étais pas légitime pour faire de la musique si je ne collais pas à une certaine image qu’on attend de l’artiste. Et notamment une artiste femme. Je pensais devoir répondre à certains critères de beauté standards, ou à une DA musicale. Je craignais de ne pas être acceptée ou écoutée si je ne collais pas à certaines attentes. En amour aussi, j’avais peur de ne jamais être aimée pour ce que je suis vraiment. Depuis quelque temps, je me challenge beaucoup par rapport à ça. J’essaye vraiment de ne pas céder à ce type de pression et à m’en détacher. 

J’ai lu qu’il avait fallu te pousser à un moment. Que ce sont des ami·es qui t’ont dit de faire de la musique pour de vrai. C’était la légitimité, là aussi ?

Oui, en grande partie. Comme beaucoup de personnes, j’ai ressenti le syndrome de l’imposteur. Quand j’écoute certains artistes, je me demande ce que j’ai à apporter. J’ai découvert la musique tard par rapport à certain·es ami·es qui en font depuis très longtemps. J’ai peur de ne pas répondre à certains codes. Je me demande encore parfois “Est-ce que je suis “assez” ?”.

La légitimité, elle vient aussi des gens qui s’approprient ce que tu fais. Qu’est-ce que ça te fait de savoir que des gens vivent avec ta musique ? 

J’ai beaucoup de reconnaissance. Récemment, j’ai fait ma première date solo à La Boule Noire (à Paris, ndlr). Dimanche (16 mars, ndlr) on joue à La Maroquinerie (à Paris, ndlr), qu’on a aussi sold-out. Ça me fait tellement bizarre de me dire qu’il y a des gens qui écoutent ma musique. Je parle de choses très personnelles, donc ce qui fait bizarre c’est que ça fasse écho à d’autres parcours. Quand des gens me disent “ça m’a aidé”, c’est la plus belle chose qui me soit arrivée. Rien que pour ça, je me sens déjà hyper chanceuse de mon parcours dans la musique. 

Mais ça ne va quand-même pas s’arrêter maintenant !

Ah, je n’y compte pas ! (rires) 

J’avais envie de célébrer les choses compliquées de la vie.

Il y a plusieurs identités musicales qui ont traversé ton projet depuis tes débuts, est-ce que sortir cet album, c’était une façon de poser une esthétique précise à un moment donné ? 

C’est hyper intéressant comme question. Oui et non. C’est le projet qui me ressemble le plus. J’ai sorti deux eps avant, et le premier ressemblait beaucoup à ce que j’écoutais. C’était à un moment où je me cherchais encore musicalement, sans savoir ce que je pouvais proposer. Le deuxième, je l’aime beaucoup, mais je pense que je me cachais encore derrière un personnage. Je parlais peu de moi et je me sentais vulnérable face à la musique. À l’époque, j’anticipais beaucoup ce que mes proches pourraient penser en écoutant les morceaux. Maintenant je suis plus détachée, et ça me permet d’aller plus loin. J’ai aussi la chance de travailler avec des beatmakers qui comprennent vraiment vers quoi j’ai envie d’aller, donc c’est assez évident de faire de la musique qui me ressemble vraiment désormais. 

Ta musique ressemble maintenant vraiment à un journal intime. 

Ah, c’est marrant, il y a plusieurs personnes qui m’ont parlé du journal intime. C’est vraiment ça ! C’est bête, mais dans l’album, il y a un morceau qui s’appelle TOI + MOI 你+我 , qui parle de ma mère, et qui m’a permis de lui dire des choses que je n’ai jamais osé lui dire. Même J’SUIS PAS CELLE 非你所想, c’est des sujets dont je n’ai jamais parlé à mes proches. Mais c’est ce qui a fait que j’ai aimé faire ce projet. Je me suis sentie vulnérable, mais c’est ce qui faut que j’ai vraiment aimé faire ce projet. Il y a eu beaucoup d’amour et beaucoup de joie. 

Ça a rendu la sortie particulière ? il y avait un vertige nouveau ?

Tu as dit le mot, c’est un moment de vertige. Je serais curieuse d’avoir le retour d’autres artistes sur les moments de sortie de leurs projets. J’ai l’impression d’être sur un fil, où j’oscille entre l’excitation et la joie extrême, parce que c’est la concrétisation de longs mois de travail, et de l’autre côté il y a la peur que les gens n’aiment pas, que les retours ne soient pas bons. Le projet est sorti depuis plus d’un mois maintenant mais c’est encore les montagnes russes. J’ai eu peur de ne parler qu’à moi. 

Je fais de la musique avec émerveillement.

Chez de nombreuses artistes, et j’insiste sur le féminin même si ça existe aussi sur des projets masculins, les tristesses dansent. Pourquoi à ton avis ? 

Mon ep précédent était très sombre. Ça se traduisait aussi dans toute la DA visuelle. Il est sorti au moment où j’ai commencé à faire des concerts. L’ambiance était étrange. Alors je suis sorti de ma grotte, et je suis allée à d’autres concerts. J’ai remarqué que d’autres artistes parlaient des mêmes sujets que moi, mais en faisant danser les gens. C’est aussi à ce moment-là que j’ai commencé à me diriger vers des prods électros, hyperpops. J’avais envie de célébrer les choses compliquées de la vie. Stromae le fait de façon magistrale sur Alors on danse, ou Papaoutai, qui sont des tubes. Des sujets très durs, qui font danser la terre entière. J’ai eu envie de suivre cette trajectoire. 

Qu’est-ce que tu as découvert sur toi en créant cet album ? 

C’est une bonne question… J’y reviens parce que c’est important pour moi, mais en écrivant le morceau sur ma maman, j’ai appris que c’était encore un sujet qui me touchait. C’est rare que je prévois à l’avance les sujets sur lesquels je vais écrire. Mais là c’est un souffle qui m’y a emmené. J’ai compris que j’étais encore en train de digérer certaines choses. 

Un premier album, c’est aussi le moment de ne plus contourner certains sujets, non ?

Tu as raison, je crois que c’est un passage obligé dans un premier album. Et je pense que le public capte si la démarche est sincère, si on se connecte vraiment.  

Qu’est-ce que tu as fait pour la première fois ? 

J’ai longtemps eu un côté candide et naïf. Je fais de la musique avec émerveillement. Je découvre des choses en permanence. C’est la première fois que je suis moins dispersée. Je pense que je me suis aussi constituée mon équipe rapprochée dans la musique. Et je crois que ça se sent dans la cohérence du projet. Il y a une vraie connexion. J’associe aussi beaucoup ce premier album aux premiers concerts solos ! C’est une dinguerie pour un·e artiste. Je suis quelqu’un d’anxieuse. Avant, j’étais vraiment pas bien quand je devais monter sur scène. Avec la sortie de cet album, et les concerts qui vont avec, je réussis à profiter du moment, des gens. Je suis plus ancrée dans le moment présent. C’est une joie immense.

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Vous pouvez retrouver sheng sur Instagram.

Interview : Arthur Guillaumot, réalisation et montage : Diego Zébina

Réalisée à Paris le 12 mars 2025.