
Avec la sortie de son premier album, La Favorite en janvier et sa Victoire de la Musique en février, Yoa a bien commencé l’année. On a discuté.
Est-ce que c’est parce que les grandes chansons d’amour françaises te font toujours pleurer que tu as décidé depuis 2020 d’écrire tes propres chansons tristes ?
Oui et non. Oui, parce que j’aime trop écouter des chansons, j’aime trop la chanson en général. Je trouve que c’est le moyen de faire de l’art qui est le plus accessible, le plus direct. Je trouve ça trop fort de donner des émotions en trois minutes quand une chanson est super bien écrite. Mais moi j’ai décidé d’écrire des chansons parce que je m’ennuyais. Pour tester.
Le théâtre, que tu pratiquais à l’époque, ce n’était pas assez direct, pas assez populaire ?
Oui, je pense qu’il y avait un mélange de tout ça. À l’époque, je n’en avais pas du tout conscience. J’ai juste arrêté parce que j’étais au conservatoire et que tout a fermé avec le covid. Je n’avais plus rien à faire de mes journées, c’est comme ça que j’ai décidé de faire de la musique. Mais c’est vrai que je ne reviendrai sans doute pas vers le théâtre, sauf pour un projet qui m’excite particulièrement, porté par des personnes qui ne seraient pas forcément représentatives de ce qu’est le monde du théâtre pour le moment. Comme Rébecca Chaillon, que j’adore.
C’est la première fois de ma vie que j’ai des envies d’écrire comme si j’étais en manque.
Tu dis beaucoup que tu t’ennuies, que tu as la flemme, que tu es paresseuse, est-ce que c’est pour ça que tu conclues en disant “Je n’ai pas écrit la suite” ?
Oui. J’aime bien que le disque se termine sur ça, parce que c’est vraiment “moi”. Je ne sais pas comment ça se fait qu’avec la musique je n’ai pas eu la flemme. C’est un cauchemar. Les vrais branleurs et branleuses savent de quoi je parle. Mais je suis vraiment une branleuse. Je ne sais pas pourquoi avec la musique j’ai tenu bon pour aller au bout de mes envies et au bout du projet. Mais c’est aussi grâce aux gens qui me suivent et qui écoutent. Ça me porte tellement, ça me donne tellement de force, et ça fait du bien de sentir qu’on est en train de construire un truc en restant proche de ses valeurs et de ses convictions, ça fait très Miss France, mais c’est pourtant la vérité.
C’est aussi une promesse non ? Laissez-moi écrire la suite. Venez, écoutez ma musique, par pitié, et il y aura une suite.
En vrai un peu, même si je ne l’ai pas pensé comme ça. C’est une belle devise de comment je vois ma vie en général, depuis ma petite place de fille de la classe moyenne un peu privilégiée. C’est une vérité de ma vie que je prévois rarement les choses. J’essaye de beaucoup écouter le présent. Je fais avec les choses qui me viennent, pour rester fidèle à moi-même.
Je continue de t’enchaîner sur cette devise. “Je n’ai pas écrit la suite”, parce qu’elle est trop osé, trop sensuelle, et que c’est encore plus fort si je vous laisse l’imaginer.
Heeeein. Oui. J’avoue qu’en ce moment, comme je suis en tournée, je n’ai pas du tout le temps d’écrire et ça me manque de malade. C’est la première fois de ma vie que j’ai des envies d’écrire comme si j’étais en manque. J’ai hâte de me remettre à écrire parce que j’ai hâte d’aller encore plus loin. D’être encore plus radicale dans ma manière de dire ce que j’ai envie de dire.
Je suis vraiment une branleuse. Je ne sais pas comment ça se fait qu’avec la musique je n’ai pas eu la flemme.
Le fait de poser les choses dans un premier album, ça t’a aussi fait capter tout ce que tu n’avais pas encore dit justement ?
Oui, complètement. Et puis tous les trucs que j’ai encore peur de dire. Les trucs où je me sens à l’aise. Ça me donne envie d’évoluer encore plus. D’être encore plus courageuse.
C’est marrant parce que tu as des chansons infiniment fortes, comme Le collectionneur, des chansons au max du sensuel comme Bootycall, on a vraiment envie de savoir comment tu peux aller plus loin, envie de connaître la suite.
C’est marrant parce que hier soir je n’arrivais pas à dormir, alors j’ai ré-écouté deux albums de Odezenne, et notamment leur tout dernier album, qui s’appelle 1200 mètres en tout. C’est un groupe que j’adore. Je trouve ça trop fort les groupes que tu vois évoluer. Quand on les suit depuis le début, entre sans. chantilly et le dernier album, il y a plus d’une décennie qui s’est écoulée. On retrouve toujours ce qui fait leur essence, mais ça n’a fait qu’évoluer. Toujours vers le mieux, toujours sincère, toujours sensible. J’espère que j’arriverai à faire ça. Ce qui me plaît chez certains artistes, c’est qu’ils ont leurs thèmes récurrents, mais c’est la manière de le dire qui va évoluer. Parce que la vie nous fait changer et évoluer. J’espère que je serai comme ça.
Tu t’imagines toi, vieillir sur scène ?
Oui. J’adore vieillir. Je suis hyper à l’aise avec mon âge, avec mon apparence. Je n’ai pas peur de vieillir, ça me fait plutôt envie. J’ai hâte de découvrir ça. Je ne sais juste pas si j’aurai la force physique de faire ça toute ma vie, parce que c’est un délire en vrai.
Allez, la flemme !
(rires)
Je vais finir par te croire.
Que je suis paresseuse ?
Pour le moment je ne te crois pas.
C’est ce que plein de gens me disent. Ça me fait plaisir en vrai. J’ai posté un truc sur ça la semaine dernière et les gens m’ont écrit des messages comme “Moi j’aimerai bien être une branleuse comme toi, qui remplit des salles”. Mais je suis quand même vraiment partisane du moindre effort.
Le truc qui peut me faire croire ce que tu dis, c’est que ça a commencé à fonctionner en relativement peu de temps. Et puis maintenant que tu as une Victoire de la musique dans la catégorie Révélation scène, tu ne peux plus arrêter. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Je ne sais pas. J’avoue que je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Je ne m’attendais tellement pas à gagner. Tous les membres de ma famille qui ont vu la cérémonie ont cru que j’allais tomber dans les pommes. Mais sincèrement je ne m’y attendais pas, et je ne sais toujours pas quoi en dire. C’est un beau cadeau, un tampon qui dit que je ne fais pas n’importe quoi.
Et ça fait du bien à celle qui chante “Je me sens nulle tout le temps” ?
Exactement. Mais malheureusement ça n’empêche pas complètement. J’ai l’impression que tout le monde se sent nul tout le temps. Mais ça fait du bien les moments d’égo, de validation des autres et du monde. Ça aide dans les moments plus compliqués à se dire que les moments de validation ont existé.
On est dans une époque de Boss lady, et ce message est génial. Malgré tout, c’est aussi important de cultiver le message inverse, le côté antihéroïne qui galère à sortir de son lit.
Oui. Je pense que même Rihanna, même les plus grandes stars, capitalistes au possible, hyper établies, ont des moments où elles sentent merdiques. C’est juste la vérité. Il faut être un fou furieux pour ne jamais le penser. Je ne sais pas si Elon Musk ou Donald Trump se sentent nuls parfois.
Hm, je pense que c’est justement le principe de certains hommes, de ne jamais douter de leur nullité.
Voilà, je pense que c’est un mauvais signe si on ne se sent pas un peu nul parfois ou insecure.
Pour revenir à Rihanna, je pense qu’elle se lève parfois en se disant “Beyoncé est quand-même beaucoup plus forte que moi.” Tu revenais là-dessus récemment, mais on aime opposer les femmes.
Bien-sûr, et à leur époque encore plus. Heureusement en France, l’industrie du disque ne fonctionne pas de la même façon. Et il y a moins d’argent en jeu. Encore l’autre jour je regardais des couvs de magazines des années 2000-2010, c’était hardcore. Ils comparaient Britney Spears à Paris Hilton, je n’avais jamais vu un truc pareil. Ils utilisaient le terme grosse pour désigner des femmes avec mon physique. C’était d’une grossophobie… Un cauchemar. Les choses ont quand-même un peu évolué. On a plus conscience de ces mécaniques là.
Au moment des Victoires, vous avez cultivé une sororité, une amitié avec Solann et Styleto notamment (qui étaient elles aussi nommées dans la catégorie révélation féminine, ndlr).
Oui, les compétitions cultivent ce système de mise en concurrence. Avec les filles on s’est appelés dès le lendemain. On était sincèrement dans le même bâteau et heureuses d’y être toutes les trois ensemble. Heureusement que j’étais avec elles.
Qu’est-ce que tu découvres sur tes chansons avec la scène ?
Je découvre que certaines chansons ont marqué les gens alors que je ne m’y attendais pas forcément. Princesse chaos, quand on la joue, les gens deviennent vraiment fous à lier. C’est plus certains moments du spectacles, certaines chansons, où je ne m’attendais pas à ce qu’elles aient autant d’importance dans la vie des gens. C’est trop agréable. Et à chaque spectacle il y a des surprises, c’est trop cool.
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Vous pouvez retrouver Yoa sur Instagram.
Interview : Arthur Guillaumot, réalisation et montage : Diego Zébina
Interview réalisée à L’Autre Canal, à Nancy, le 10 avril 2025.