Du MMA au aime les mots, 7 Jaws, sombre ou souple, sombre ou se plie, mais jamais ne tourne en rond. Il s’aventure, croise aux larges d’îles nouvelles, où la mélancolie est la fleur de tout. Arthur Cravan moderne, il fonde une musique pure, où les sonorités sont des goûts indéchiffrables, tumultueuses comme autant de nuages. Ça tombe bien, son premier album, Je vois les couleurs vient de sortir et invoque de nouvelles lumières.

Je vois les couleurs, le premier album de 7 Jaws est sorti le vendredi 7 mai 2021. Vous pouvez l’écouter ici.

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Ton premier album, Je vois les couleurs sort dans quelques jours comment tu te sens, il y a un truc spécial ?

Après-demain soir, aïe aïe aïe. Bien sûr, c’est fort ! Je vais préparer un maxi barbecue et je vais faire un décompte, comme pour la nouvelle année. Je me sens trop fier de cet album. J’ai envie que les gens le reçoivent comme je le ressens. Quand je l’écoute, je me rends compte que c’est exactement ce que je voulais donner sur ce premier album. Le mot album, il fait flipper. 

On hésite à poser le mot album ? 

C’est quelque chose, mais je ne le voyais pas autrement. Pourtant, la construction a été compliquée. Notamment pour trouver une cohérence. Je voulais essayer plein de trucs. À un moment, j’oubliais le rap et j’étais dans la pop. J’écoutais à fond Charli XCX, Oklou. À un moment, Seezy et l’équipe m’ont ramené dans le rap. Et là, pendant ce retour, j’ai eu besoin de faire des Boom bap. C’est là qu’on a fait Le Couz, Trois, Peaky Blinder. C’est le truc que j’ai en moi. Je voulais aller à fond dans tous les domaines où j’allais. Quand je chante, je chante. Sale État, c’est un son de pop tu vois. Il n’y a pas de demi-mesure. 

Tu as un public solide et fidèle, est-ce que tu peux avoir peur qu’ils ne prennent pas le projet comme tu l’avais imaginé ? 

Maintenant, j’ai appris à connaître les gens qui m’écoutent de manière très fidèle. Eux, ils veulent juste que je kiffe. Eux, ils ne me mettent aucune pression. La pression que j’ai, c’est que j’ai envie de parler au plus grand nombre possible. Même si je suis déjà très content des gens qui m’écoutent et de cette reconnaissance. J’ai envie d’avancer. 

D’ailleurs, plus ça va, plus je trouve que tu t’autorises des choses, je pense au chant, je pense aux collabs. 

Oui, c’est la première fois que je fais des feats, sur cet album. 

Et ça va dans des sens très différents, avec des identités très différentes. 

Tout ce que j’aime. 

Vald, BigFlo, Captaine Roshi, c’était une volonté d’aller vers un casting éclectique ? 

En vrai, je m’en suis rendu une fois que c’était fini, que c’était cohérent. Avant, j’ai juste fait de la musique avec des gens que j’apprécie humainement. C’est des gens que je côtoie pour de vrai. 

Oui par exemple pour la collab avec BigFlo, c’est pas un sujet qu’on aborde avec quelqu’un au hasard. 

Oui, c’était son idée. On avait beaucoup parlé de ça. Il m’a dit : “C’est là-dessus qu’il faut qu’on fasse notre chanson”. Et moi j’étais partant. 

Roshi, pareil, on se connaît depuis longtemps. Il fait partie des premières personnes que j’ai rencontrées en arrivant à Paris. On a mûri ensemble, on a fait beaucoup de concerts ensemble. On s’est toujours dit qu’on allait bosser ensemble. On s’est fait un scénario de manga. 

Pour moi, pop, c’est pas un gros mot.

Tu parles pas mal du succès, de comment ton regard a évolué sur ces trucs-là. Tu as déjà ressenti la crainte de ne plus t’appartenir ? 

En vrai, moi je suis près pour ça. On ne peut pas se mentir, quand on donne autant dans un projet, on a forcément envie du mieux, avec tout ce que ça implique. Il y a plein de choses qui doivent être relou c’est vrai. Mais quand tu as bossé pour ça, et que c’est un rêve de gosse, tu ne peux pas faire semblant. Il faut accepter les mauvais côtés, il y en a partout. Et il y en a bien plus sur le chantier. Mais si tu as travaillé, pour le chantier, ou pour travailler dans la musique, tu sais ce qui t’attend. 

Oui, tu dis que maintenant tu veux que ta musique touche le plus de gens possible. 

Oui. Et maintenant, si un jour ça me tombe dessus, je serai heureux. 

Oui et même si tu vas parfois vers la pop, c’est ultra cohérent sur le projet. 

C’est sincère. Pour moi, pop, c’est pas un gros mot. C’est un style. Et ça veut aussi dire “musique populaire”. De la musique pour les gens. 

Avec le confinement, j’ai passé du temps en studio. Mais surtout, j’étais beaucoup à la maison, avec “des gens qui ont de vrais métiers”, comme je les appelle. Des gens qui sont sur les chantiers, des mecs qui ont des boulots durs. J’ai envie de faire des sons pour eux. Des sons qui vont les mettre dans un bon mood, s’ils l’écoutent dans le camion le matin. Je ne veux pas faire du son que pour les gens qui font du son. 

Ça, ça vient avec le temps ? 

Quand je fais du son et que Nk.F me dit que c’est lourd et qu’en même temps, un mec qui a juste envie d’écouter du son pour se mettre bien kiffe aussi, c’est l’équilibre que je cherche à trouver. Le travail bien fait et l’accessibilité. C’est pas de la musique élitiste. J’ai compris avec le temps que je ce que je veux, c’est faire kiffer les gens, ou les aider avec ma musique. On peut croire que c’est une grande ambition, en fait ça consiste juste à être moi-même. 

Dans ta démarche, maintenant, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose où il faut que les gens se reconnaissent, sinon c’est que tu as tort. 

Tu as tout à fait raison. C’est récent. Jusqu’à Rage, je faisais les choses pour moi. J’avais besoin de m’exprimer. Mais maintenant, je veux changer de point de vue. Je veux faire de la musique pour les gens, mais à travers moi. 

Qu’est-ce que tu as appris sur toi, en faisant Je vois les couleurs ? 

Bonne question. J’ai appris ce qu’il y a de plus important peut-être. Avant, j’avais des buts qui n’étaient pas les bons. J’ai affiné mes envies dans la vie. 

Ça vaut aussi pour la musique ? 

Forcément, ça rejoint ce qu’on disait sur faire de la musique pour les gens. J’arrive aussi au bout d’une réflexion ancienne que j’ai : On réussit sa vie en réussissant à être bien entouré. J’ai compris que c’était pas la réussite matérielle, financière etc qui allaient faire que ma vie était réussie. C’est les gens que je côtoie. Ce qui compte, c’est les souvenirs qu’on crée. La réussite dans la vie c’est ça. Pendant la période de l’album, j’ai approfondi cette réflexion. 

Oui, et puis comme on disait aussi, tu as trouvé ton entourage dans la musique, même avec Seezy, Roshi. 

Oui, l’entourage musical est important. Mais je n’ai pas envie d’être déconnecté de la vie réelle. Je veux continuer d’avoir dans mon entourage des gens qui font des choses très différentes. Ça me permet aussi de me rendre compte que mes galères sont moins graves que ce que je considère. 

Je me couche comme un perdant et je me lève comme un chef de guerre.

Dans le morceau Enfance

Quand est-ce que tu as besoin de faire de la musique ? 

J’ai tout le temps envie de faire du son. Le studio c’est vraiment un endroit où je me sens bien. J’aime y être. C’est une atmosphère. On ne fait pas tout le temps du son, on y discute beaucoup. J’ai tout le temps l’impression de prendre ma vie en main. Et puis on prend du plaisir à créer et à tenter des choses. 

Est-ce qu’il y a des moments où tu tâtes la fragilité de la situation d’artiste, surtout en temps de pandémie ?

Déjà, je me sens chanceux. Je me rends compte que très peu de gens atteignent le fait de vivre de ce qu’ils aiment. Ça, c’est inestimable. Il faut chérir ça, et en avoir conscience. Mais je me rends aussi compte que je ne suis pas encore au stade où je peux être serein et me reposer sur mes acquis. Ma place, je peux vite la perdre. 

Tu le dis dans l’album : Il n’y a pas de plan B, c’est ça la stratégie. 

C’est la meilleure stratégie, même si elle est très risquée. Parfois, je suis pétrifié dans mon lit et je me dis que ça ne va pas marcher, que je ne vais pas y arriver. Dans Enfance, je dis : “Je me couche comme un perdant et je me lève comme un chef de guerre.” C’est mon quotidien. Quand je me couche, j’angoisse. C’est une des raisons pour lesquelles je dors très mal. Mais quand je me lève, j’ai une force totale. 

Oui, mais cette situation, j’ai la même, elle permet de ne pas s’endormir en vrai. C’est risqué mais excitant. 

On divague mais ça pourrait t’intéresser. 

Ça va m’intéresser ! 

Est-ce que tu connais Cizia Zykë ? 

De nom oui, raconte ! 

Cizia Zykë, c’est le dernier explorateur. Il est mort en 2011. Le dernier aventurier. Il a eu une vie incroyable. Bon, il n’a pas fait que des choses biens, hein. Il a commencé comme récupérateur de dettes au Canada, pour la pègre. Ensuite, il est allé dans le business des carcasses de voitures en Afrique. Puis il est allé au Costa-Rica pour exploiter une mine d’or, donc il mettait quand même son gun sur la tempe des gens pour qu’ils bossent pour lui. Mais le mec disait qu’à chaque fois qu’il partait pour une nouvelle aventure, il s’arrangeait pour dépenser tout ce qu’il avait gagné dans celle d’avant. 

Avec cet album, j’ai voulu imprimer mon état d’esprit actuel.

Pour remettre le compteur à 0 ?

Oui ! Il a sorti des millions de dollars en or, mais il a tout dépensé au Casino au Panama. Dans sa dernière interview, juste avant sa mort, il dit que la seule qui lui reste, c’est sa paire de bottes. Il a vécu. 

Lui, il est dans l’excès. Mais c’est vrai que ça peut être intéressant de ne pas trop en vouloir. Il faut avoir une maison, un peu de confort pour ta famille. C’est tout. Le meilleur truc, c’est créer des souvenirs.

Créer une histoire, c’était aussi une intention sur Je vois les couleurs ?

Pour dire la vérité, non. Je voulais qu’on ressente ce que je ressentais. C’était pas réfléchi, c’était surtout une question d’état d’esprit. J’ai fait beaucoup de morceaux et je n’ai gardé que ceux qui étaient cohérents dans la construction de cet album. Lisible, pas lisible, on verra. C’est compliqué de faire un album concept. J’admire SCH, avec Jvlivs, ou Laylow avec Trinity. Je ne sais pas si je suis capable de faire ça. Ou alors, sur un ep. 

Sur un album, qui représente un travail d’années, c’est fort. 

Moi, je voulais surtout imprimer mon état d’esprit actuel, pour le voir évoluer par la suite. 

Justement il te reste quelles obsessions, quelles aventures ? 

Je voudrais atteindre un stade où je peux faire une musique pleinement libre. Où les gens sont préparés au fait qu’il peut se passer tout et n’importe quoi, sans qu’on pense que je pète les plombs. Un son de métal, un son d’hyper pop, un son d’électro, un son de rap, qui s’emboîtent. 

Il y a plein de trucs que j’ai envie de faire. Un manga, ça me donne envie. Dans quelques années.

J’aimerai aller à la rencontre des gens. Dans des circonstances impossibles sans la musique. Je sais que la musique permet les rencontres. Avec les clips ou les contenus de médias. Je veux toujours mélanger le travail avec le réel. 

Je veux faire des œuvres de charité aussi. Surtout. 

T’es frustré par le contexte actuel ? Ta dernière mixtape, Rage avec Seezy, a été cueillie par le premier confinement, alors que tu commençais tes dates… 

Je suis frustré, mais je ne me cherche pas d’excuse, je ne rumine pas. Le seul truc qui m’ennuie vraiment avec me covid, c’est que je ne peux pas voir en vrai les gens qui m’écoutent. Mais la musique peut parler autrement. 

Est-ce qu’il y a des choses que tu voulais faire sur ce premier album et que tu n’as pas réussi à mettre sur Je vois les couleurs ?

Il y a des sons que je voulais faire. Mais mes équipes ont trouvé que j’allais trop loin. Ils ne faisaient pas l’unanimité. 

Ils ressemblaient à quoi ces sons ? 

Il y a surtout des essais qui n’aboutissent pas. Je pense que c’était surtout pas encore le moment d’aller aussi loin. C’était encore brouillon. Comme c’est mon premier album, je voulais aller au bout des choses. 

Il fallait que j’en sois fier de cet album à 100%.

Qu’est-ce que tu t’étais promis de mettre sur ton premier album, que tu voulais faire la première fois ? 

C’est la première fois que je fais des feats. Ça tombe bien, c’est qu’avec des gens que j’apprécie musicalement et humainement. Ça c’est incroyable. C’est le truc en plus de cet album. 

De quoi il fallait que tu sois sur avant de le sortir ce premier album ? 

Il fallait que je sois sur qu’il me plaise à fond. Je ne voulais pas avoir de regrets. Ni avoir envie de retoucher des choses à la dernière minute. Il fallait que j’en sois fier à 100%. Pas de demi-mesure, pas de compromis. 

Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ? 

C’est trop stylé. Je vais bien réfléchir. 

En plus dans Enfance, je parle de la pluie. 

Alors. La première pluie, ça m’évoque deux choses. 

On va commencer par le truc le plus sombre, que j’évoque dans Enfance. Les premiers problèmes. Je pense que la première pluie, comme tu me le dis, ça m’évoque le début de la vie. La première pluie qui va irriguer. C’est le début de quelque chose qui va pousser, après la sécheresse. 

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Arthur Guillaumot / Photos : DR

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