La rentrée, quand j’étais petit, je savais quel jour c’était. Maintenant je ne sais plus. Je reçois des mails groupés de gens qui ont des boulots carrés. “De retour au bureau” ou “Je quitte mon poste, merci pour cette aventure ensemble”. Je ne réponds que rarement aux mails. Je vois aussi mes potes annoncer des trucs sur Linkedin en rapport avec l’achèvement de leurs études ou la recherche d’un emploi stable. 

Tous les lundis depuis la fin du mois d’août, je me dis, aujourd’hui c’est la rentrée, c’est sûr. Mais je crois que cette année, il n’y a pas de vraie rentrée. On continue et puis c’est tout. Pendant que j’écris tout ça, j’écoute un disque que j’écoutais pendant ma rentrée au lycée en 2012. Le disque, c’est Tout brûle déjà, de La Rumeur. La rentrée c’est démodé. Parce que nos muscles sont tendus en permanence. On a appris à vivre dans le feu. 

Vivre dans le feu*, l’expression vient d’une poétesse russe du siècle dernier, tellement lucide, habitée par la cruauté du monde et rongée d’angoisses universelles au point qu’on dirait qu’elle habite notre temps : Marina Tsvetaïeva.

La paix n’existe plus. Même les plus pepouzes des vacanciers stressent de rater leur story du coucher de soleil. Les plus lointains des naufragés angoissent de ne pas être au bureau à l’heure. La paix nulle part. L’urgence climatique ne se règle pas en chèque vacances. Le monde à vivre a le visage déformé dans le grand cyclone de notre époque. Le truc est un grand jeu vidéo, impossible à déconnecter, un cauchemar transpirant.

Lors des éditos de rentrée des années précédentes, je disais que notre génération devait sauver le monde. Lourde charge hein ? Pas la place pour des vacances. Tout brûle déjà. Nos aînés ont fait un grand resto basket au moment de l’addition, alors on trime l’été durant et le reste de l’année pour boucher les trous, rattraper le temps.

Néanmoins, il ne faut pas négliger l’état d’émulation générée par l’ensemble des évènements qui nous serrent et nous cernent. Vivre dans le feu, c’est vivre malgré tout. Génération de perdus qui dansent dans le feu. Ou d’éperdus qui draguent les flammes. D’ailleurs, la Génération Perdue au sens initial désigne ces écrivains américains expatriés à Paris dans les années 1920, pour regarder de loin la perte de transcendance et les mutation sociales de leur pays dans l’après guerre. L’expression, popularisée par Gertrude Stein, F.Scott Fitzgerald et Ernest Hemingway, n’avait selon ce dernier**, rien de tragique, bien au contraire.

100 ans après la première Génération Perdue il nous appartient de vivre dans le feu, sans laisser les angoisses triompher. Mutants lucides, le monde plus juste qu’il nous appartient d’inventer est devant nous. Et chaque injustice flagrante est en fait une ultime vibration du vieux monde. L’été a brûlé tout entier, il a craqué de partout, que quelques oracles décident dans les cendres d’un jour officiel pour la rentrée. Maintenant peu importe, on sait vivre dans le feu.

*Vivre dans le feu est le titre de « l’autobiographie » de la poétesse.

** Théorie creusée dans Paris est une fête.

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Texte Arthur Guillaumot / Photo Diego Zébina