Dans son regard, dans son sourire, il y a une vraie malice, qui dit quelque chose sur sa musique. La musique d’un débrouillard, qui s’émerveille des hasards et de la chance et vient les raconter sur des morceaux qui tranchent ou qui touchent, sur des mélodies sincères ou des grosses prods. Briques Rouges, c’est le deuxième projet de Bekar, qui rêve par pallier, et bien réveillé. Un projet long, très abouti, très intime. Et surtout très réussi dans sa diversité et sa curiosité. Grande discussion avec Bekar.

C’est un moment toujours particulier la sortie d’un projet, c’est ton deuxième, il s’appelle Briques Rouges, il marque quel moment de ta vie ?

Oui, j’avoue que j’ai beaucoup de pression ces derniers temps, tout est nouveau. Là c’est mon deuxième projet comme tu disais, mais le premier c’est un projet qu’on a fait en équipe, on n’y connaissait rien. On l’a envoyé sans savoir ce qui allait se passer. Maintenant c’est différent. Je sais qu’il y a plus de gens qui l’attendent. J’ai un plus gros entourage, il y a plus de médias qui relaient. C’est un moment important.

Du coup il y a une forme de pression ? 

Oui, il y a une forme de pression. Mais j’ai quand-même hyper hâte de dévoiler ça aux gens.

Il t’a demandé combien de temps de travail ce projet ? 

Une année de travail. J’ai commencé en juillet dernier 2019 et je l’ai terminé vraiment en juillet de cette année. 

C’est un projet très personnel. Et maintenant je suis en paix avec moi-même.

Un projet comme Briques Rouges, ça demande donc du temps, de l’énergie, des sacrifices. Est-ce que tu en es sorti vidé ? 

Oui. Franchement oui. 

Tes premières années sont là et maintenant il va falloir vivre de nouvelles choses ? C’est l’impression que j’ai eu en écoutant le projet. 

C’est exactement ça. Là, quand j’écris, je me sens un peu à court de sujets. Je retombe sur des choses que j’ai déjà faites et dites. Mais c’est la suite. Je suis tranquille. J’irai chercher l’inspiration ailleurs. 

Est-ce que t’es en paix ? 

Après avoir sorti ce projet oui. Je suis en paix avec moi-même. C’est vraiment un projet personnel à mes yeux. 

Il y a tellement de choses à raconter, une telle atmosphère qui se dégage de cette ville et de cette région. 

Le projet s’appelle Briques Rouges, en hommage à tes origines du Nord de la France, entre Roubaix et Lille. Là, on est aux Inouïs, où tu représentes cette région, c’est important pour toi ?

Oui, je représente vraiment ma région. C’est une forme de fierté, mais je ne le revendique pas toujours uniquement comme ça auprès des gens. 

Oui, chez toi c’est plutôt une façon de dire qu’on peut faire des choses en ne venant pas de Paris. 

T’as tout dit. C’est plus ce truc là. C’est plus, moi j’ai fais mes marques à Lille, c’est pas une ville qui est réputée pour le rap, mais c’est possible quand-même. À Paris, ou Marseille, il y a des nombres incalculables de rappeurs. Moi je viens de Lille, de Roubaix, c’est là que j’ai grandis, et je trouvais que c’était une vraie ligne conductrice pour un projet. Il y a tellement de choses à raconter, une telle atmosphère qui se dégage de cette ville et de cette région. 

Photo : Fifou

Et quand le climat n’est pas propice au rap, il y a toujours une école de la débrouille, en se créant des opportunités. Je crois que tu as fait beaucoup de petites scènes, non ?

Clairement. Ces dernières années, on a accès à beaucoup plus de scènes. Moi j’ai eu l’opportunité de faire des repets aussi avec des structures. C’est en train de vraiment se développer. 

Mais au début, quand tu viens de Roubaix, tu rappes dans des petits bars, à Wazemmes ou je ne sais où. Les gens ne t’écoutent même pas, tu es mal reçu, tu t’embrouilles avec le patron. Il n’y a pas que des mauvais aspects, mais tu dois aller provoquer le truc. J’ai plein de souvenirs où je partais tout seul à Paris dans des radios avec 7 rappeurs autour de moi. Je connaissais et personne et tout le monde se connaissait. Moi je faisais mon truc. Au début il fallait jouer des coudes. Je ne me plains de rien. Mais c’était la débrouille. 

J’ai fait mon truc, j’y croyais, j’ai joué des coudes, c’était la débrouille. Puis des gens ont cru en moi.

Après on a eu accès des salles de répétition comme Le Flow, (À Lille, ndlr), La Cave aux Poètes à Roubaix, des maisons de disques qui s’intéressent, des moyens financiers, un soutien. Là j’ai compris que c’était sérieux. J’ai plus lâché. 

Avec une des meilleures équipes actuelles, chez Panenka. 

Je voulais trouver un modèle qui me ressemble. Qui ressemble à qui je suis, à mes valeurs. Et Panenka c’est cette école là. 

Et ça boucle la boucle, comme tu le dis sur Soleil s’allume

C’est exactement ça. Fonky Flav, ça a pesé dans mon choix. Lui, son équipe, c’est des gars que j’ai beaucoup écouté, et dont j’ai admiré le parcours. L’entité L’entourage, 1995, S-Crew etc, je me reconnais dans cette école, celle de la débrouille, ils avaient la dalle, et j’ai toujours kiffé ça. Je faisais du skate avant le rap, c’était la même époque de la débrouille. On skatait partout. De frauder les trains pour aller skater à Paris. J’ai toujours été dans ce délire. Donc je me reconnaissais en eux. Donc quand Panenka s’est intéressé, c’était un truc de fou pour moi. Et pourtant, sans vouloir être prétentieux, on a eu le choix. Je pouvais signer chez des grandes majors. Mais je voyais moins le kiff, même si c’était des belles propositions. Mais j’ai préféré l’esprit Panenka. 

Grave, je te pose cette question un peu facile, parce que j’ai l’impression que c’est toujours la malice qui guide tes choix, que t’es reconnaissant envers les hasards et que tu kiffes ce que tu fais, ça se ressent sur le projet.

C’est tellement ça. Je vais pas faire le menteur, quand j’avais Boréal, le premier projet, je savais qu’il y avait un truc. Mes potes disaient que c’était lourd. Je commençais à ressentir le truc. J’ai tout pris comme du bonus.

J’ai fait les choses avec l’instinct, et j’ai pris des risques.

D’ailleurs à quel moment on ressent qu’on a fait un bon projet ? Quand on fait le projet qu’on aurait voulu écouter si on était juste auditeur ? 

C’est ça. Il y a des morceaux pour lesquels je ressentais vraiment ça. Pas forcément tout le projet à l’époque. Certains morceaux n’auraient pas été là si j’avais eu le choix, avec plus de temps. Mais il y avait des morceaux où je me disais vraiment : “Lui c’est une dinguerie.” Tout y était, l’instru, le texte, le flow. J’étais fier. Et pourtant, même en étant aussi satisfait, je ne m’attendais à rien. Ça aurait pu ne pas marcher. Maintenant que ça a pris un peu, je continue, je suis heureux. 

T’as tenté ça comme on tente une figure un risqué et qui passe finalement. 

Je fais du rap depuis l’époque où j’étais en seconde. Depuis 7 ans. Mais j’aurai pu rester un auditeur. À un moment j’ai pris le risque. J’étais dans les études, je n’ai rien validé à part le bac, parce que j’aimais trop la musique. J’ai pris du temps pour en faire vraiment. C’est à ce moment que des choses se sont passées. 

Au moins t’auras pas de regrets à quarante ans. 

Mes parents me demandais si j’étais sûr de ce que je faisais. Ils me disaient “Là tu as vingt ans, tu kiffes, t’es avec tes potes, tu fais du rap, c’est ta passion. Mais dans dix ans ? Il faudra tenir. Tu devras nourrir des enfants, payer des factures.” Ils m’ont enseigné que la vie était dure. Ils ont raison. J’avais en tête que c’était risqué, mais j’ai tenté quand même. 

T’as des rêves ? 

Oui ! Plein de rêves. 

Vas-y je veux entendre des rêves là. 

J’ai des rêves dans la musique déjà. Des rêves par paliers. Je vous souvent les choses comme ça. Je voudrais sortir un vrai premier album. Avec des featurings dont je rêve. 

Oui parce qu’on va pas se mentir, tu aurais pu dire que Briques Rouges, c’est ton premier album. 

Bien-sûr. Mais à mes yeux je suis trop jeune pour dire que je sors un premier album. 

Ah, moi j’ai une autre hypothèse. T’as fait des trucs encore plus oufs entre temps et tu t’es dis que c’était encore au dessus et tu gardes ça pour l’album. 

Alors ça c’est vrai. Il y a des sons que j’ai commencé, et je me dis qu’ils correspondent vraiment à l’album. Là j’étais vraiment concentré sur ce projet. Sur le premier album il y aura des featurings. Je voulais attendre encore. 

Je rêve de faire le zénith de Lille. Parce que depuis que je fais du son, je passe devant le zénith de Lille, le symbole, juste au bord de la voie rapide quand tu quittes la ville et quand tu arrives à la gare.

Et ça, il faut prendre du temps. 

Oui. Donc pour le moment, j’ai en tête des rêves de collaboration. Une certification, évidemment, un jour, ça serait beau. Je veux ramener une certification chez mes parents pour les rassurer. Même si maintenant il y croient. Je l’emmènerai partout. Mais oui c’est une façon de laisser une trace dans la musique. Les collaborations donc, qui musicalement sont vraiment enrichissantes. Je rêve d’une tournée aussi. Dans le palier où je vois les choses en grand, je rêve de faire le zénith de Lille. Parce que depuis que je fais du son, je passe devant le zénith de Lille, le symbole, juste au bord de la voie rapide quand tu quittes la ville et quand tu arrives à la gare. J’ai travaillé dans ce zénith en intérim en plus. Ça serait un beau symbole. À domicile. Peut-être que c’est inatteignable, mais je l’ai dans le coeur. 

Photo : Abel Llavall-Ubach

Oui, le symbole qui porte. 

Oui. Et puis hors musique, si je mène bien ma vie. C’est un rêve qui peut paraître fou, c’est de m’installer loin de Lille, en Bretagne. C’est une région que j’adore. J’aimerai habiter là-bas, au bord de l’eau. J’y vais chaque été depuis que je suis petit, dans ma famille. Donc je suis attaché à la région. Quand j’ai les moyens d’y aller, je vais faire ma vie là-bas. C’est un luxe, mais c’est un rêve. 

Avec une petite maison au bord de la plage et tu arrêtes le rap ? 

Non, sans arrêter le rap. Mais juste de pouvoir faire six mois là-bas et six mois à Paris ou à Lille. C’est un luxe, mais c’est un rêve. 

Et puis ça aide de pouvoir dissocier la vie et la musique. Quand tu vis dans la chambre où tu fais de la musique, il n’y a plus de frontières. 

Oui. J’aime plus écrire dans ma chambre. C’est trop. Face au mur blanc… Maintenant j’aime bouger. 

Il y a des moments où tu as l’impression de ne plus t’appartenir ? Que la musique ça va trop loin. 

Pour l’instant, ça va encore. Je pense pas avoir percé, même s’il s’est passé des choses. C’est différent d’il y a deux ans. C’est vrai que j’ai senti des choses changer. Ça serait nier de dire le contraire. Lille c’est une grosse ville, mais quand tu y vis, le monde est petit. Je sens que des choses changent. Que les regards se tournent, que je suis un peu observé. Ça me fait bizarre. Moi de base, je suis de nature discrète. Donc je peux être mal à l’aise. Et encore, comme on disait, je suis à un stade minime. Pour certains artistes ça doit être terrible. Là ça se fait en douceur, je préfère. 

Moi je le fais pour accomplir mes rêves. Pour vivre des expériences de dingue.

Oui et la douceur, ça avec ce qu’on disait, prendre du temps, y aller en douceur, et l’idée de sortir un deuxième ep avant un vrai album. 

Oui. Je ne suis pas pressé. Je te disais, j’y vais par palier. Je ne fais pas ça pour le succès. Evidemment, je ne vais pas faire semblant, si ça arrive, c’est cool. Si tu es reconnu dans ton travail, que les gens valident, c’est merveilleux. T’as travaillé pour ça donc c’est mérité. Mais moi je le fais pour accomplir mes rêves. Pour vivre des expériences de dingue. C’est une chance d’en vivre. De le faire avec mes gars. De ne pas aller en cours, comme certains de mes potes, qui ont mon âge, 22, 23 ans, et qui ne savent pas ce qu’ils veulent faire de leur vie. Et ils sont hyper mal. 

Oui, c’est le désoeuvrement qui accompagne parfois notre génération. 

Exactement. Et j’étais grave comme ça. Demain si j’arrête la musique, je suis de retour comme ça. 

La mort a du goût est issue de Boréal, le premier projet de Bekar

Oui, mais tu as tenté, et aujourd’hui tu es là, à Bourges, tu représentes cette dalle dont on parlait, celle des gens qui tentent. 

Exactement. Et j’en suis fier. 

Qu’est-ce que tu as tenté pour la première fois sur Briques Rouges ?

Déjà, c’était un défi, même si ce n’était pas l’intention de base, de faire un projet aussi long. 18 titres, c’est quand-même un gros format. 

Oui, aujourd’hui, même sur des albums, c’est rare. 

Oui, les albums de rap aujourd’hui, c’est 12-13-14 titres. Mais je comprends. Là finalement j’ai voulu tenir un projet gros format, tout seul. Et au début ce n’était pas l’intention. Il devait même y avoir des feats. Mais tu sais jamais dans quoi tu t’embarques. Je m’en suis rendu compte avec la foule d’histoire que je voulais raconter. J’avais envie de beaucoup d’autres choses. C’était un gros défi. Je voulais que ça glisse malgré la densité, que ça ne soit jamais redondant. Et je suis très content d’avoir fait ça comme ça. On verra comme le public reçoit cette proposition. 

J’ai tenté des choses. Je voulais que ça glisse malgré la densité, que ça ne soit jamais redondant.

Et musicalement, je trouvais qu’il y avait des délires que je touchais sur Boréal, des délires qui m’étaient propres et qui constituaient mon univers. Il y a des morceaux qui sont dans des univers particuliers. Il y a des prises de risques aussi. Je pense à Boîte à gants. C’est pas du tout ce que j’aurai pu faire avant. Et j’ai pris du plaisir à le faire. C’est un morceau un peu “club”, même si je ne l’ai pas kické comme ça. C’est un truc que j’aurai pas fait, et ça me fait kiffer de l’avoir fait, tu vois ? 

Et c’est les trucs qui deviennent les plus excitants au final non ? 

De ouf. Au début la prod ne te parle pas, mais tu fais un truc dessus quand-même. J’ai essayé de faire ça vite, pour que ça soit avec l’instinct. Au final, on kiffe tous le morceau. Donc oui, j’ai tenté des choses dans Briques Rouges. Moi je kiffe quand un artiste me surprend. Je suis toujours content de retrouver ce que je j’aime chez lui. Mais quand il y a des tentatives, je suis toujours choqué, tu vois ?. J’aime ou j’aime pas mais je respecte toujours la démarche. Et souvent, on apprécie mieux avec le temps. Moi j’ai essayé de le faire à ma manière. 

Et ça se ressent! Dernière question. Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ?

Pour moi, c’est le commencement. Le commencement de quelque chose. C’est vrai que la pluie peut avoir tendance à avoir une signification un peu triste. Forcément. Et mélancolique. Moi j’associe la pluie à la mélancolie. Mais ça peut être le commencement de quelque chose. Et puis là, c’est la saison de la Première Pluie, l’automne et la mélancolie. 

Et les Briques Rouges !

Interview : Arthur Guillaumot dans le cadre des Inouïs du Printemps de Bourges.

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