Dans ce deuxième album, Tim Dup se pose des questions, pour la beauté des incertitudes. Exercice à la gouache. C’est un album qui fait le pari du nuage tendre au milieu des cyclones. Fait avec les matériaux précieux du coeur, devrait figurer sur la pochette. Dans l’incendie permanent du monde, Tim Dup sauve d’abord les poèmes. C’est un album générationnel. 

Qu’en restera-t-il ? est un flot. Qui coule à un rythme irrégulier. Parfois filet doux qui chante en douceur, parfois gouttes qui roulent en silence et parfois vague dense qui emporte avec elle. Des fragments qui font des histoires, sur des sonorités inexplorées chez lui. La musique y est comme une succession de pensées et de moments. Grave parfois, haletantes, douce souvent, émue très souvent, laissant de la place à la grâce des mots.

Tim Dup est l’un des artistes les plus importants de notre génération. Place espoir est une chanson qui traversera le temps pour raconter qui nous sommes. Nous qui éprouvons des besoins d’être ensemble. Pour pleurer, dire nos colères, nous enrichir des autres dans des moments douloureux. Nous qui, parce qu’humains, nous retournons sur des places, depuis toujours, comme des rendez-vous au croisement de sensibilités multiples. 

C’est un deuxième album qui raconte la vie, qui témoigne de celle de son auteur. Tim Dup frappe par Un album qui se fabrique avec les matériaux précieux du coeur. 

Des mots qu’on ne trouve qu’en les cherchant plus

Après un échauffement qui sent l’été sur Après eux, la première chanson de l’album, on se prend une déclaration qui ressemble à une grande vague. Le visage de la nuit est une chanson magnifique. Tim Dup a des fulgurances, des puretés de phrases, qui sortent, justement des nuits. Des mots qu’on ne trouve qu’en ne les cherchant plus, en allant par les rues. « toi, t’es ma seule église« , glisse-t-il avant une déclaration éternelle d’intimité tendre, « Sous le pli ombragé de ton sein droit / Se dissimule là, un grain de beauté / Je le sais, je le sais, je le sais« . Ode des corps connus qui s’en vont dormir ailleurs. Peinture des manques. 

Les vers de L’aventure ont des rimes qui se croisent, la forme raffinée et ultime qu’on égraine. La chanson est la recherche de l’être aimé, longue quête dans des lieux qui sont comme une errance onirique. « Dans les temples d’Asie, les phares et les balises / Dans les boussoles la nuit et jusque dans mes valises« . L’expérience onirique s’agite avec Songes, qui suit, et qui déploie la palette de Tim Dup.

Il donne le meilleur de ses influences, entre la chanson française, la pop, le rap et l’électro. L’étiquette que d’aucun lui collerait sur une chanson se décollerait dès la suivante. Songes témoigne d’un flow incisif, quand Place espoir qui vient juste après sur le disque est un murmure. 

TIM DUP 2 (c) Hugo Pillard

Un invité sur Qu’en restera-t-il ?, un seul. Un prix Goncourt des lycéens (Petits Pays, Grasset, 2016), chanteur lui aussi (son dernier EP, Des fleurs, est sorti en 2018), Gaël Faye vient donner de l’adn. Les deux se mêlent, on sent la rencontre, les mots échangés, l’admiration, les singularités et les similitudes. Qu’ils s’inspirent, se complètent. Choix juste pour Porte du soleil

Un album pour grandir 

L’album prend un tournant avec Place espoir et Porte du soleil. Après ces deux chansons, il y a un peu plus de passé dans le présent direct. Il y a un moment de pause dans la course à la grande ours, où l’album devient un album pour grandir. 

Rhum-coca est sûrement la chanson la plus intime du disque. Celle où ce qui est dit colle le plus précisément sans doute à la vie de Tim Dup. Elle raconte la période entre Mélancolie heureuse, son premier album, fin 2017 et nos jours, comme une confidence totale. Drôle de part de vie où rien ne se comprend simplement, le succès, les foules, les solitudes aussi qui se font frappantes, la lumière qui s’allume et s’éteint. Des petits bouts de méandres, comme sur Refuge, où il fait tanguer ses phrases, sur les rythmes doux. 

Je te laisse est une chanson au revoir, qui a conscience du temps. Le même goût que Ton héritage de Benjamin Biolay. Une chanson pour s’en aller, une b-o de voyage du retour en bus, un sac à dos du grand départ. Un truc bourré de souvenirs, que chacun pourra s’approprier en y rajoutant les siens. Une chanson pour aller pleurer quelque part parce qu’on a décidé de ne plus être ailleurs. « Je te laisse un demain, en pluie et en orages / désolé mon amour, de ce pauvre héritage. » 

Partir comme un truc à en shooter dans des cailloux la nuit, en y repensant. Une masterclass sur ce que c’est que de grandir, de prendre ses sentiments dans les mains en les comprenant mieux. Parfois, ne plus être avec, c’est tout de même veiller sur. « Ramasse le bonheur, grise-toi d’interdits / Mais respecte les fleurs, les êtres et la vie / Il faudra des années pour trouver ton endroit / Mais qui que tu sois, aime autour, aime-toi. » Il y a quelque chose de frappant et de juste à ce que le clip soit illustré par des images de Tim Dup enfant. Qu’en restera-t-il ?, aussi, de l’enfance. Celle de Pertusato, chanson douce, exercice de Mélancolie, quelques madeleines, quelques pulls de laine sur une Corse intime qui se déroule comme une carte postale des jours heureux. On se rappelle souvent sur cet album que le précédent s’appelait Mélancolie heureuse. 

TIM DUP 3 (c) Hugo Pillard

Au fil de l’album, on sent aussi les incertitudes de Tim Dup, qui ressent le monde, profondément touché par les causes écolos notamment. Ce n’est pas ni un album triste ni un album centré sur lui, mais plutôt désabusé, mature, de celui qui se prend la vague, mais nage, invente une nouvelle respiration et tente tout. Et inventer des rivages comme des solutions. Peu d’espoir mais un espoir utile, qu’on replante et qui retrouve des couleurs. L’instrumental de Qu’en restera-il est là comme pour nous interroger. 

C’est un album à emmener partout, à se trainer sur des années. Qui demande à être posé comme b-o de moments beaux et tristes, de moments importants et sur des vendredi soir qui se relâchent. Il faudra se consumer et se rappeler que nous sommes humains, trop humains, investis de la mission douloureuse de vivre mieux et plus juste. Tim Dup, hérite d’une sensibilité poétique éternelle, qui s’accroche à toutes les thématiques de notre époque. Il faut être fort pour être à la hauteur de cette rencontre. Grand album. 


Qu’en restera-t-il ? Le deuxième album de Tim Dup est paru le 10 janvier dernier chez Columbia. 

  • Arthur Guillaumot / Photos : Hugo Pillard