On est au Livre sur la Place, à Nancy. Il fait encore chaud, c’est septembre. On est dans un bar, c’est un autre temps. On s’enfile des grenadines, loin des mondanités. Une discussion intense et vive, comme son premier roman, La Petite Dernière. Grande discussion, l’une des plus belles, avec Fatima Daas.

Remarque préalable : L’entretien a duré plus de 2 heures. pour des questions de lisibilité et de respect de la spontanéité et de la densité du propos, cette discussion est publiée d’un bloc. Vous pouvez acheter le roman ici, et dans vos librairies indépendantes de proximité.

Seconde remarque : L’entretien a eu lieu alors que Fatima Daas sortait d’une période médiatique compliquée pour elle. C’est ici que commence l’échange.

Après cette séquence, est-ce que tu as l’impression d’être dépossédée de ton texte ? 

Après plusieurs émissions, j’ai eu envie de tout arrêter. J’étais fatiguée et éprouvée. Parce qu’on ne regarde pas du tout ce que tu fais.  On me parlait du voile sans cesse, parce que je suis musulmane pratiquante. Tu penses qu’on t’invite pour la qualité de ton texte, mais on t’interroge sur tout sauf ça.

Et encore, tu n’étais pas sur le plateau de C-News, c’était quand-même des lieux qui étaient censés être sûrs, je pense à France Culture (dans l’émission Signes des Temps, par Marc Weitzmann, ndlr). 

Oui ! Et il a écrit une lettre ouverte ensuite, pour revenir sur cette interview, parce qu’il a reçu beaucoup de messages de personnes qui se plaignaient de lui, et de son autorité. Ça ressemblait à un procès. Il me demandait si c’est pas grâce aux fameux hommes blancs hétérosexuels que le roman existe. Je me suis dit que ça allait très loin. 

Il faisait référence à la scène du prof d’espagnol, quand j’étais en Hypokhâgne. Ce prof qui un jour a mis en doute le fait que j’ai pu rendre un bon devoir seule. C’est une scène que j’ai vécue.  

La fiction permet de rendre les injustices universelles. Si tu restes dans un cadre autobiographique, tu es peut-être trop proche de ton texte. Et c’est trop difficile de le porter. J’admire celles et ceux qui en sont capables. Moi j’ai besoin d’une distance. La fiction me protège un peu. Même si on vit dans un monde où tout le monde veut savoir ce qui est vrai ou pas. Or, justement, moi je n’ai pas cette conception là de la Littérature. 

Oui ! Et justement, ces dernières années, alors même que l’autofiction est un genre ultra répandu ces dernières années, on en revient toujours plus à la question de la Vérité. Je pense aux romans de  Yann Moix (Orléans, 2019, ndlr), ou Edouard Louis (Histoire de la Violence, 2016), qui ont déclenché des polémiques sur la question de la Vérité. 

Oui. Quoique tu dises, tu as tort, face aux interprétations qui veulent que ton point de vue soit faussé. Je m’en fout des questions de vérité. Bien-sûr qu’on part d’un matériau réel. Tous les écrivains le font. Et ça pose des questions après la publication. Mais ce qui compte, c’est comment tu transformes les matériaux pour parvenir à quelque chose que tu arrives à porter. 

Tu fais par défaut, tu préfabriques, tu transformes, tu performes. Du coup quand tu arrives un peu à sortir de tout ça, tu ne sais jamais vraiment qui tu es. 

J’imagine que c’est aussi un geste, quand on partage cette littérature, d’anticiper la façon dont les gens vont le ressentir et ressentir cette représentation. 

La représentation c’est une question qui m’a obsédée oui. Toute ma vie. J’ai cherché partout. J’ai cherché sans comprendre qui j’étais. J’ai eu besoin de lire des choses qui me disaient que j’existais. De lire des choses où on me confirmait mon existence, par celles de personnages qui me ressemblaient. 

Ça a été difficile parce que pendant des années, je me suis identifié à des personnages qui n’étaient pas moi. Tu vois ? Des personnages parfois masculins, qui étaient bourrés de domination. C’est les seules représentations que j’avais, parce que j’ai grandi en banlieue et que les schémas dont tu hérites géographiquement ne ressemblent pas à la vraie vie. 

Pour moi, c’est très important que rien ne soit figé.

Donc on fait comment, on s’identifie par défaut ? 

Tu fais par défaut, tu préfabriques, tu transformes, tu performes. Du coup quand tu arrives un peu à sortir de tout ça, tu ne sais jamais vraiment qui tu es. Et ça, ce sentiment d’étrangeté, d’être étrangère à tout le monde et partout, il est horrible. 

Mais pour revenir à la représentation, ce roman, aujourd’hui, je suis capable de dire que j’aurai trop aimé le lire à l’adolescence. On peut croire que c’est narcissique, en fait, c’est juste que ça m’aurait facilité plein de trucs. 

Et ça c’est le truc le plus sain possible en fait, d’avoir rendu justice à celle qui en toi a manqué de représentation. 

Oui ! Et puis, je pense qu’en vrai, je ne parle pas seulement aux femmes lesbiennes musulmanes, issues des quartiers populaires. Mais en partant de cet endroit-là, ça ouvre plein de champs en fait. Ça peut parler à plein de gens. À des gens qui ont une double identité, une double culture, des gens qui viennent de partout. C’est pas juste la banlieue. C’est le livre qui représente les gens qui prennent les transports longtemps, qui attendent, qui sont fatigué.e.s. 

C’est le livre de celles et ceux qui ont l’impression d’être de nulle part.

Oui, des étrangers à tout. 

Et cette idée d’appartenir à plusieurs groupes et pas à un seul. 

(La serveuse dépose une grenadine et un sirop à la menthe) 

On n’en parle pas assez je trouve. De ne pas vouloir choisir. C’est très difficile de se dire constamment que c’est une richesse. C’est éprouvant. Et tu as l’impression de ne pas avoir d’alliés. Du coup, même quand tu écris ce bouquin, tu es en train de chercher des représentations. Ici, je me demande qui sont mes alliés. J’essaie d’identifier qui, comme moi, ne se sent pas à sa place. Je ne sais jamais qui est avec moi, pour de vrai. C’est difficile de l’accepter. 

Moi je pense que ce qui fait violence dans ce que je dis, c’est que bizarrement, ça n’existe pas.

Notamment au moment d’arriver dans le milieu littéraire où tout est versatile. 

Comme la Fatima du livre, je préfère les actes. Aujourd’hui, on n’ose pas assez dire “Je m’en bats les couilles de votre avis”. Et si ça vous remue, tant mieux. Ce bouquin existe parce que j’ai envie de faire bouger les choses. 

Et si ça vous pique c’est que je vise juste.

Exactement. Personnellement, quand une lecture me chamboule, en bien ou en mal, je vais chercher pourquoi, en moi, à l’intérieur de moi. Pourquoi ça me fait ça ? Pourquoi ça me fait violence ? Il faut se demander pourquoi un texte, un discours, une parole, nous fait violence. Moi je pense que ce qui fait violence dans ce que je dis, c’est que bizarrement, ça n’existe pas. Ça n’existe pas d’être lesbienne et musulmane tout en ne renonçant pas à sa religion et en ne crachant pas sur ses parents. Je ne leur donne pas ce qu’ils veulent. La nuance, la complexité, ça j’ai l’impression que ça dépasse plein de gens. 

La nuance aujourd’hui c’est une forme aboutie d’humilité. Il y a des cases auxquelles on adhère, et c’est reposant, parce qu’on n’en bouge plus. Pour comprendre ce roman, il faut accepter les mouvements. 

C’est très juste ce que tu dis là. J’ai l’impression que mon roman c’est des allers-venus, un cheminement, une quête, sans réponse. Parce que j’ai pas la prétention d’avoir des réponses. Pour moi, c’est très important que rien ne soit figé. On doit avoir le droit de penser une chose un jour et son contraire le lendemain. 

Et justement, c’est ce qui fait la force du livre. Quand on le lit on peut s’inquiéter, presque, qu’il réponde à l’injonction quasi stylistique de la chute, et finalement non. Rien ne se fige, précisément. 

Oui, et c’était très important pour moi. Parce qu’on nous pousse, dans la littérature, à trouver des solutions, à trancher, à finir. Il n’y a pas de tambours à la fin, pas de coming-out. Il ne s’agit pas de ça. Il s’agit de l’amour. Il y a de la tendresse. On ne se dit pas les choses, peut-être qu’il ne vaut mieux pas. Il s’agit de comprendre. C’est ça l’amour. C’est ne pas aller au-delà de là où on te dit qu’on veut aller. On en est là pour l’instant avec ma mère. Je prends mon temps. Je sais qu’elle est fière. Elle sait de quoi je parle. Je lui ai dit une fois que je mélangeais le vrai et le faux. Et elle a compris. Et c’est tout. C’est ça l’amour. 

La petite dernière, n’est pas un manifeste. Derrière le texte qu’on a voulu en faire, il y a une vraie matière quotidienne, des vrais moments. Moi j’aime tes passages sur les transports. J’aime aussi, le moment où la narratrice s’inquiète de ses péchés et demande à l’imam des conseils pour une prétendue amie. Alors elle prie, et elle prie…

Sans être blanc, ou noir, je trouve que cette dimension là est très importante. La religion, on veut en faire soit un truc terrifiant, soit un truc magnifique, dont on ne souffre pas. Moi j’ai voulu partir du réel. Oui, j’ai grandi dans une famille où on pratiquait sans se poser de questions. À un moment, je me suis posé la question de mon attachement. Et c’est aussi ce que formule le roman. Je me suis rendu compte que dans ma vie, rien n’était plus important que ma foi. Et même en dehors de toute pratique. Juste ma foi, ma foi en Dieu. Je me serai tirée une balle. Ce monde m’angoisse. Je suis hypersensible. J’ai tout le temps peur, je suis tout le temps mal. Dieu, et l’écriture – parce que je ne dissocie pas les deux, mon inspiration ne vient pas de nulle part, m’ont fait tenir. J’ai envie de parler de ça. Mais aussi du fait que la religion fait souffrir. Comme on souffre dans nos relations amoureuses. Ma narratrice souffre en amour. Avec Dieu c’est pareil.  

Moi, tu vois, je ne suis pas croyant. Mais je suis bouleversé par la foi. Et je me dis que j’aurai aimé être touché par la foi, quand je te lis. 

Ça me fait tellement plaisir. On m’a dit ça quelques fois. 

“Vous avez écrit ce roman pour cocher toutes les cases.”

Un présentateur télé, en off.

De quel accueil tu rêvais, quand tu écrivais ce roman ? 

Je rêvais que les gens s’approprient mes textes. En mode citations tu vois ? Parce que moi j’adorais faire ça. Tu mets une photo sur instagram, avec une citation du livre. Ça ? C’est le plus beau cadeau. 

Là, en plus, c’est des gens qui lisent pour de vrai. Pas des gens qui sont là pour déclencher une polémique. Ils font un geste pur. 

Moi, avec tout ce qui s’est passé, j’ai beaucoup lu les retours des lectrices et des lecteurs. pour voir. Et personne ne polémique. Il n’y a que des bons retours, beaux. Ceux-là font du bien. Les gens parlent mieux du livre que moi. J’aime ça. Comme ils cernent ce que j’ai voulu dire. 

On va parler de la question des choix, l’idée de ne pas avoir envie de faire de choix est passionnante dans ton roman. 

Il y a des gens, sur des plateaux, qui me disent “Vous avez écrit ce roman pour cocher toutes les cases.” En fait, je n’ai pas choisi d’être lesbienne, d’être musulmane, de banlieue. J’ai juste envie de dire “Excusez-moi d’exister.”

Moi j’ai l’impression que mon roman nique toutes les cases. Il n’y a même pas de chronologie. Il n’y a pas de case. 

J’existe, excusez-moi. 

Ceux qui l’ont réduit à ça, c’est des gens qui ont peur. T’es un prototype pour eux. 

Je trouve ça très juste ce que tu dis. Cette peur-là, je la ressens. Je leur fait peur, mais c’est horrible, j’ai peur d’eux aussi. Je ne suis pas une menace. J’existe, excusez-moi. 

Ce qu’il faut que tu te dises, c’est que la rupture n’est pas de ton fait. Ils sentent que c’est la fin des haricots pour eux. 

C’est ça le grand remplacement en fait. (rires)

Et c’est le début d’une génération plus sensible. 

Oui, on voudrait tellement nous faire croire qu’il faut taire ça, parce que c’est une faiblesse, ou je ne sais quoi. C’est hyper important. 

Et tu vois, j’avais envie de faire cette discussion, parce que j’étais énervé de la lecture qu’en on fait pas mal de gens. Je me disais que c’est impossible. 

C’est énervant oui. Mais en fait heureusement qu’on peut transformer ces trucs-là. Moi ça me motive vraiment à écrire un deuxième roman, parce que j’ai un matériau incroyable.  Quand j’ai commencé à parler de cette conciliation de l’Islam et l’homosexualité, en admettant que c’était un peché, j’ai reçu des messages très violents, de gens qui se disaient choqués. Notamment de gens qui me disaient qu’il fallait que j’arrête de croire en Dieu et de pratiquer, parce que l’Islam était en train de m’enfermer. Comment il pouvait penser ça sans me connaître ? Et après ? Personne n’est libre. On est tous enfermés par quelque chose, parce qu’on regarde, ce qu’on lit ou je ne sais pas. Moi, je suis soumise à Dieu si vous voulez. Arrêtez, on a compris, arrêtez de venir toujours dire les mêmes choses au même personne. 

Et puis, à aucun moment tu as dit que tu allais te jeter sous un pont parce que tu conciliais l’Islam et ton orientation sexuelle. 

Mais oui, c’est exactement ça. Je vis ma sexualité normalement, comme tout le monde. Tout va très bien, j’aime ma vie, ma copine va bien, on s’entend bien. Moi je suis musulmane, je fais mes prières et ma copine me voit faire ma prière ? Aucun problème. J’essayais juste de dire que ce n’est pas grave. 

Les relations hors mariage hétéro c’est interdit aussi dans la religion. Et c’est pas grave de le dire. Je ne suis pas en train de dire un truc révolutionnaire là. Et en plus le terme péché, si vous n’êtes d’aucune religion, pourquoi il vous heurte ? C’est juste faire quelque chose que Dieu a condamné. 

Ce que je trouve troublant quand j’accepte d’avoir une discussion sur la religion, c’est qu’on essaie de me convaincre que : non. Que mes croyances sont ridicules. On croit tous dans des choses ridicules. Moi je n’essaie pas de convaincre les gens. Je n’ai pas la mission de convertir les gens à l’Islam. 

Je tiens à ce qu’on parle aussi de la forme, qui a été éludée, largement, dans les discussions à propos de ton livre. Comment ça s’est passé, est-ce qu’il y a eu une mécanique tout de suite ou tu as trouvé le format après, en taillant le texte ? 

Tout de suite, j’ai eu ce truc de commencer les pages avec “Je m’appelle Fatima…”. C’est vrai qu’à la base, les passages sur les l’école, sur les transports, les passages en famille, étaient regroupés en bloc. J’ai compris au fur et à mesure que je n’avais pas du tout envie d’écrire un truc chronologique. Et donc que je ne voulais pas que tout se concentre en un seul bloc. Parce que j’ai besoin de respiration. Je trouvais aussi que les sujets étaient plus forts s’ils revenaient, dans des passages différents. 

J’ai compris que commencer par Je m’appelle Fatima, c’était une façon de déployer à chaque fois de nouvelles identités. 

Et c’est aussi intéressant que ton rapport aux transports viennent directement compléter ton rapport à l’école, qui vient lui-même compléter ton rapport à la famille, puis à l’Islam et ainsi de suite.  

Complètement. Et avant, dans une autre version, je terminais chaque chapitre par une grosse punchline. Mais Olivia Rosenthal (écrivaine, ndlr) avec qui j’ai montré le texte pendant mon master, me disait que c’était peut être attendu et j’étais d’accord avec elle. Même commencer toujours avec Je m’appelle Fatima, j’avais peur que ça devienne lassant. 

Ça aurait pu être trop mécanique, sans l’autre subtilité de forme, le retour à la ligne, que tu emploies beaucoup. C’est pour ça que je dis que c’est un livre qui s’adresse, aussi dans la forme, à notre génération. 

Mais oui ! Tu vois dans ce tu dis par rapport aux jeunes, moi je suis hyper sensible à ça. J’ai trop hâte d’aller dans des collèges en discuter avec des jeunes. Même si je sais que parfois ça peut être hyper brutal. J’aime cette violence, cette énergie, je l’accepte. C’est le plus bel âge, c’est le chamboulement. Avec ce roman, je pensais à l’adolescente que j’étais, donc j’ai envie que ça résonne. 

Est-ce qu’écrire un premier roman, ça permet de s’adresser à qui on était ? Tu dis que c’est le livre que tu aurais aimé lire et qui t’aurait fait du bien à un moment de ta vie. 

Oui je pense. Quand tu as fait ton cheminement, tu te retournes vers qui tu étais enfant ou à l’adolescence. Même si c’est très violent de se retourner, parce que tu te rends compte que les bases sur lesquelles tu es construite étaient terribles. 

Mais oui, je me devais de l’écrire. Le passage avec le mec au lycée est vrai. Quand je le croise, j’ai envie de pleurer. J’ai envie de le supplier de me pardonner de lui avoir fait ce que j’ai subi après. J’étais jalouse de lui, je l’admirais. Écrire ce genre de chose, c’est une façon de comprendre des mécanismes. 

Dans ce passage, d’ailleurs, il y a quelque chose d’En finir avec Eddy Bellegueule, d’Edouard Louis, lui dans dans sa campagne, toi en banlieue, et cette même violence, vers ceux qui s’assument, par jalousie de leur capacité à s’accepter. 

Oui, grave. J’ai Edouard Louis, et ça m’a chamboulé. Je l’ai lu dans un moment où j’acceptais et où je vivais des trucs. 

En publiant, j’ai accepté des choses

Quand tu publies ça, ça change ton regard sur qui tu étais. 

Mais ça peut avoir une incidence positive aussi. 

Est-ce qu’il t’a fait du bien ce livre ? 

Oui. Je ne défends pas le fait que la Littérature répare. Je ne crois pas en ça. Mais avant, je ne m’autoriserais pas à être en couple. J’avais l’impression de fuir tout le temps. Comme la Fatima du bouquin. Mais en publiant, j’ai accepté des choses. 

Ce livre m’aide à m’aimer. Ne serait-ce que parce que j’ai terminé un truc. 

Et c’est un sacré aboutissement, quand-même. 

Oui, c’est un truc de malade. Moi c’est déjà un aboutissement d’avoir fini quelque chose que j’aime. J’ai tenu alors que j’écris des choses très violentes. 

Je viens de Clichy sous Bois. Il y a ce truc de “trahir”. Je l’ai dit dans les Inrocks : Moi je ne dois rien à Clichy, mais j’ai un respect éternel pour cette ville, pour les gens que je connais, où j’ai été soutenue comme jamais. On m’appelait l’écrivaine. Aujourd’hui, on me pousse à être dans un discours de légitimité, moi je ne me suis jamais posé cette question. Parce que j’étais entourée de gens qui n’avaient aucun problème avec ce que je faisais, et qui était fiers avant que ça soit sur un livre. 

Ce que j’ai reçu d’eux, j’ai compris que c’était ça l’amour. Croire en quelqu’un. 

Donc je ne me suis jamais posé de question de légitimité. Même dans les moments où je doutais. Je trouvais nul ce que j’écrivais, mais jamais je n’aurai arrêté en me disant que c’était pas pour moi. 

Ce livre m’aide à m’aimer. Ne serait-ce que parce que j’ai terminé un truc. 

Aujourd’hui, je refuse de faire semblant de dire que je ne suis pas légitime. Que ça soit d’être dans cette rentrée littéraire, ou en couv des Inrocks, ou à la matinale. Et ce n’est pas par prétention, mais parce que je me suis posé beaucoup de questions de légitimité, mais pas dans ça. 

Le début de l’écriture, ça remonte à quand ? Avec ton style épuré, on peut se dire que ça fait longtemps que tu écris, et que tu as trouvé cette forme à force de travail. 

J’écris depuis l’adolescence. J’avais une écriture plutôt épistolaire. J’ai commencé à écrire quand une de mes cousines qui avait 4 ans est morte. Je lui ai écrit des lettres. Cet événement m’a heurté. J’ai compris qu’on pouvait mourir n’importe quand. Je lui racontais aussi bien mes journées, que mes réflexions sur le fait que parfois les choses ne se passent pas dans l’ordre des choses. Ensuite, je tenais des journaux, où je racontais beaucoup d’histoires fictionelles.

Donc quelque chose de l’ordre de l’hygiène. 

Oui, c’est comme ça que je perçois l’écriture. Pas une écriture qui sauve, mais comme quelque chose de l’urgence d’écrire. Un cri permanent, depuis le début. Je n’aime pas les belles phrases. Je n’essaie pas de faire beau : je parle de choses trop laides. Il y a un formatage à la longue et belle phrase, mais moi j’ai envie de frapper. 

Fatima Daas, qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie, pour terminer ?

Ça m’évoque les larmes. Le fait de vouloir pleurer mais de se retenir. Ne pas montrer ce qu’on ressent. Essayer de maintenir un beau temps de façade, en s’autorisant à pleuvoir mais à l’intérieur. On doit transformer cette pluie en soleil, jusqu’à ce qu’on accepte que la pluie, ça peut aussi être quelque chose de salvateur. Jusqu’à ce qu’on accepte que la pluie est aussi importante que le soleil.

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Arthur Guillaumot

Photo : Louise Desnos pour Les Inrocks.

Merci au Livre sur la Place et aux Editions Noir sur Blanc, Notabilia.