Ça y est on y est, le mythe du retour à la maison après une période loin de celle où on a mangé nos premiers épinards, avec des parents et un chien, qui court certainement moins vite maintenant. Les années passent dans cette salle de musculation qu’est la vie et la gravité se fait de plus en plus musclée. J’ai un peu oublié mes vieux, maintenant je suis en Bretagne. Si j’ai choisi de m’enterrer là bas c’est à cause du vent, l’une des dernières lueurs de vérité peuplant ce monde en plus de moi. Le vent c’est un sacré mystère pour ceux n’ayant pas encore cherché la réponse sur google : d’où il vient, ce vent ? Qu’est ce qu’il peut bien se passer pour que l’air, pendant des heures, vous fouette le visage sans interruption, c’est quoi sa piste de décollage ? Je ne me suis toujours pas intéressé à l’explication scientifique qui foutrait tout en l’air et me donnerait envie de quitter la Bretagne, il y a beaucoup de vent là bas et ça me va très bien comme ça.

La maison où j’ai pour la première fois mangé des épinards, était en ville. Un peu petite, un peu éclairée par un feu rouge, dieu merci plus souvent rouge que vert. Les volets de ma chambre laissaient passer beaucoup trop de lumière, et je crois que la couleur du feu vert est un peu comme le bruit de votre porte qui grince quand vous essayez de vous endormir, ils sont là pour vous y empêcher.

Pour les lueurs vertes nocturnes je pense qu’à la longue on peut s’y habituer, au fil du temps elles me dérangeaient moins. Ce qu’il se passe après que la porte grince c’est une tout autre affaire qui laisse des traces, sur votre corps en écrin. On a jamais abusé de moi, mon père quand j’étais gosse vivait avec une fille plus jeune que lui et plus belle, aussi. Je pense qu’il n’avait plus le moindre appétit à ce niveau là au moment où la porte de ma chambre grinçait, l’idée de voir mon petit corps tel que son dessert ne lui a jamais traversé l’esprit. Lui ce qu’il aimait, c’était me tanner la peau avec ses pieds et ses poings, au hasard, quand je m’y attendais le plus. Je n’ai jamais compris ce que pouvait apporter à quelqu’un le fait de tabasser son fils, et aussi comment on pouvait être sûr que jamais il ne balancerai rien. Personne ne disait rien, la salope lui servant de femme étant trop conne pour savoir ce que c’est que l’empathie. La personne qui m’a mit au monde étant trop morte pour me jeter un sort de protection, l’amour d’une mère qui veut être mamie. Le plus terrible, c’était quand j’étais contraint d’aller chez le médecin. Il fallait éviter à tout prix l’hôpital pour ce boxeur catégorie enfant, ou bien c’était la fin de carrière. Parfois il fallait donc m’emmener chez le médecin, et soigner les méchantes plaies. Bonjour, au revoir. Entre ces deux mots là il y avait l’auscultation de quelqu’un qui ne voyait jamais rien, bandeau sur les yeux d’un accord dont je ne connaissais pas les termes. Des barreaux qui vous rendent invisibles, qui vous nettoient l’épiderme.

Ça y est on y est, le mythe du retour à la maison après une période loin de celle où on a mangé nos premiers épinards. Mon mythe est assez particulier, appelons ça une odyssée. J’ai beaucoup réfléchi et n’ai jamais parlé de tout ce qui m’était arrivé, à personne. Je me trouve bête, de ne pas avoir jeté cet homme en prison, il y aurait eu beaucoup de honte, mais aussi beaucoup de réconfort. Je le vois ce soir, à la maison. Nous serons seul, il croit que je vais lui accorder le pardon. Il se fait vieux et sûrement plus lent, pour monter les escaliers. C’est très bête et peut être que ça va m’attirer des problème mais aujourd’hui, c’est moi qui vais le tabasser.

Je vais vous dire moi comment ça se passait dans les cours de récré de France quand j’étais gosse. Ça a commencé avec les cartes Pokemon je crois. Des gamins se retrouvaient avec un petit stock de cartes énergies et des Pokémon type feu à 80pv, et c’était le début d’une prolifération sans limites, avec toujours de plus en plus de cartes, et pas un seul combat. Jamais un seul. Vous avez déjà fait combattre sérieusement ne serait-ce qu’un seul des champions de votre écurie, vous ? Moi jamais. De plus, je ne sais pas comment entraient tous ces nouveaux Pokémon sur le marché, moi on m’en a jamais acheté. Il faut dire que j’ai jamais demandé non plus à ce qu’on m’en achète c’est un peu bête, mais je me débrouillais bien dans le troc pas très honnête j’imagine, en témoigne ma belle collection. Attention quand même aux sales petits merdeux qui refusaient un échange sous prétexte qu’une carte était un peu abîmée au niveau d’un coin. C’est inacceptable dans un échange de carte Pokemon et une insulte à la profession. Nécessité d’endiguer tous types de comportements de la sorte alors ça méritait qu’une seule chose quelqu’un de ce bord là : un petit croche-patte en douce, pendant la partie de loup bougie, récré de 10h.

Il y a eu une autre mode qui s’est bien implantée dans mon école à moi, bizarrement elle intéressait aussi bien les garçons que les filles. C’était celle des cordes à sauter. Je dis bizarrement parce que la corde à sauter en temps normal, c’est fait pour les filles. C’est comme ça la vie : parfois quand on fait des trucs on se fait prendre pour une bille, parce que c’est un truc fait seulement pour les garçons ou pour les filles, pour on ne sait trop quelle raison à la base mais c’est comme ça, la vie. Quittons maintenant cette analyse sociétale de la corde à sauter pour en revenir à l’aspect sportif. Car oui, la corde à sauter a déchaîné les passions sur le bitume de mon école de ploucs. Très bonne pour la cardio et pour garder une santé de fer, elle nous a valu une légion d’honneur, donnée par le ministre du ministère de la santé en personne monsieur Globule Blanc. Mon record ? Je ne puis m’en rappeler exactement, mais je me souviens que je suis resté un moment à me vanter de mon 137 sauts d’affilé avant de me prendre les pieds dans la foutue corde, ce qui en soit est relativement minable.

Une autre des modes qui a fait l’enfance des enfants du siècle tels que moi fut la toupie Beyblade. Reflet des inégalités sociales des plus parfait, elle aura fait couler beaucoup de larmes autour des rings de combat improvisés. Les inégalités sociales oui, nous y voilà. Le fait est qu’une toupie de combat est à des années lumières d’une toupie dont le but principal est de tourner, car son but à elle, c’est de combattre, de détruire. Un teckel, dans sa persistance de l’être sera toujours égal à son ami le berger allemand. Mais lorsque nous parlerons de combat, il se verra relégué au rang de vulgaire bout de viande destructible à souhait, face à son ami rex. Chez les toupies de combat donc, la performance ne se verra que dans sa capacité à détruire l’autre, et non pas dans sa grâce, sa beauté ou bien sa capacité à tourner le plus longtemps possible, autant de facultés que l’on peut produire à moindre coût. La toupie de combat idéale se doit d’être lourde, avec des rondelles en métal solides, et taillées de sorte à raccrocher un maximum ses concurrentes, sans pour autant perdre son aérobie. La toupie de combat efficace et qui gagne est donc chère, avec les rondelles les plus perfectionnées que l’ingénierie spatiale soit en capacité d’offrir, la bonne toupie de combat est à la pointe de la technologie. Dans les combats de toupies alors, c’était toujours les plus riches qui l’emportaient, ceux avec les meilleurs sapes. Ils possédaient la crème de la crème en matière de toupies, celles avec un ratio de victoires encore plus important que l’OL de l’époque. Il est arrivé qu’ils ramènent leurs arènes à l’école quelques fois, mais ça n’a pas trop duré. Elles finissaient vite en mille morceaux parce qu’on ne sait pourquoi, un mouvement de foule finissait toujours par se créer autour de ce socle en plastique pourtant solide et fait pour le combat. En plein milieu de ce mouvement de foule, il y avait des coups de pied, violents et rageurs qui frappaient de plein fouets ces pauvres arènes, malheureusement pas faites comme des arènes à coups de pied. C’est fou comme étant tous petits, on est déjà emprunts à la jalousie envers ceux qui ont plus de chance que nous. C’est bien dommage, pour la beauté du sport.

Il y a quelque chose de beau, dans les modes de l’enfance qui s’en vont et qui reviennent et il y a quelque chose de beau, dans l’enfance qui joue et qui s’aime. Dans la baignoire on passe la tête sous l’eau, et dans la cour on a les genoux qui saignent. C’est beau l’enfance, quand le jeu c’est notre gagne pain et quand les devoirs c’est calculer combien font 8 moins 5. C’est triste l’enfance, quand elle part en vacances de plus en plus souvent et de plus en plus loin, quand elle laisse des marques sur nos corps en écrin.

Au programme juste un goûter à 16 heures, et des copains.


Romain Bouvier.