Tout le monde ou presque serait capable de citer plusieurs animés japonais en France et pour cause, nous sommes parmi les plus grands consommateurs de cet élément essentiel du soft power nippon. Mais qu’en est-il du cinéma japonais et même, du cinéma asiatique en général ?

Au-delà des films d’animation, les productions asiatiques ont habituellement un peu de mal à s’exporter ou du moins, à se faire connaître du grand public. C’est pourtant un cinéma des plus fascinants pour ceux qui ne le connaissent pas et sont habitués aux films occidentaux. Doté de ses propres codes et de ses propres esthétiques, il va à l’encontre de tout ce que nous ont habitué les cinémas français et américain. Que ce soit dans les portraits comportementaux des personnages, les structures scénaristiques, le rythme, et même le mixage sonore, il possède une identité forte et à part.

Pour ceux qui s’intéressent à cet univers mais ne savent pas par où commencer, on vous dresse ici une liste non exhaustive des films à voir pour découvrir cette manière complètement différente d’approcher l’art de faire du cinéma. Tous des références en la matière, ils sont pour notre rédaction les plus adaptés à une exploration de ce qui pourrait devenir votre prochain terrain de jeu.

C’est parti ?

Parasite – Bong Joon-ho

On commence en douceur avec le film qui a tout explosé en 2019. Vainqueur de la palme d’or, de l’oscar du meilleur film, et d’une myriade d’autres prix, le dernier film en date du réalisateur corééen est le plus occidentalisé de cette liste et de fait, le plus facile d’accès. 

Toute la famille de Ki-taek est au chômage, et s’intéresse fortement au train de vie de la richissime famille Park. Un jour, leur fils réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais chez les Park. C’est le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne…

Il est presque impossible de définir quel est le véritable point fort de ce film, tellement ils sont nombreux. D’abord, le scénario est étonnant, et fait vivre au spectateur une expérience haletante, appuyée par une scénarisation parfaitement adaptée. Même si l’on peut parfois deviner certaines des choses qui vont se passer, c’est pour mieux les apprécier encore quand elles se déroulent sous nos yeux. Bong Joon-ho a réussi à créer un film à la symbolique forte, qui critique d’un œil cru les dérives inégalitaires en Corée du Sud, sans pour autant tomber dans les déboires élitistes de certains films d’auteurs. Cette production est faite pour plaire à tous : à vos rétines, à votre fréquence cardiaque, à ceux qui veulent rire, à ceux qui veulent du divertissement, et aussi à ceux qui attendent quelque chose de profond, avec un vrai propos. Bref, Parasite rend copie parfaite, il deviendra avec le temps un monument du 7ème art, et il faudra que vous l’ayez vu.

L’été de Kikujiro – Takeshi Kitano

C’est l’été à Tokyo, et Masao, petit citadin qui vit avec sa grand-mère, s’ennuie. Grâce à une amie de son aïeule, Masao rencontre Kikujiro, un voyou d’une cinquantaine d’années avec lequel il part à la recherche de sa mère, qu’il ne connaît pas et qui vit près de la mer. En voyageant à travers le Japon, le yakuza et l’enfant font des rencontres inattendues et parfois dangereuses, ponctuées de jeux délirants et de rêves inoubliables.

Vous l’aurez bien compris, c’est bel et bien un road trip qui va nous accrocher à l’écran. Il y a toute une ambiance qui transpire à grosse goute pour nous éclabousser dans ce film, comme un dimanche matin d’été nuageux, où le temps est suspendu. Car c’est bien le temps que l’on ressent le plus dans ce cette expérience où les choses se passent lentement, et où les acteurs brillent parfois par leur silence. Loin de créer – comme on pourrait l’imaginer – un sentiment de lourdeur, cette construction du récit rend ce film encore plus marquant, et fait écho à l’un des fondements du cinéma japonais, qui laisse une grande place aux scènes de la vie quotidienne. On y retrouve des comportements d’exagération typique de la scénographie nipponne, et la relation entre Kikujiro et Masao (en évolution constante) est hypnotisante, elle donne une envie irrépressible de faire partie de leur bande.

Vraie expérience onirique qui se mue parfois en scène de théâtre, la consommation de ce film devient un sentiment : on se sent profondément bien après l’avoir vu, un feel good movie à tendance mélancolique comme il en existe peu, appuyé par sa bande son taillée pour cette vibe. Peut être le film le plus marquant qu’il m’ait été donné de voir.

Battle Royale – Kinji Fukasaku

Les élèves de la classe B de 3ème année du collège Shiroiwa ont été transportés sur une île déserte par une armée mystérieuse ! Un adulte surgit tout à coup devant eux : leur ex-professeur Kitano, qui leur présente deux nouveaux élèves très inquiétants. Des coups de feu retentissent pour convaincre les incrédules. Selon la loi de réforme de l’éducation pour le nouveau siècle, ce sacrifice permettra de former des adultes sains.

Si on retrouve Takeshi kitano (Kikujiro) dans ce film adapté du roman de Kōshun Takami paru en 1999, l’ambiance est toute autre. L’œuvre qui a inspiré Hunger Games fonctionne naturellement plus ou moins sur le même principe : les élèves d’une classe de collégiens basée à Tokyo vont se retrouver malgré eux sur une île déserte, avec l’obligation de s’entretuer. Seule une personne peut s’en tirer au terme des 3 jours de lutte acharnée qui les attend, ce sont les règles très strictes de ce programme gouvernemental né d’un conflit d’autorité entre les générations. 

Il faut savoir pour commencer que les traits de caractère des personnages sont des plus stéréotypés, à la manière d’un shonen. Ces stéréotypes ne dénaturent pourtant pas l’histoire globale, et la rendent encore plus prenante. On peut donc clairement distinguer l’intello du groupe, l’impulsif, le réservé… et surtout leur évolution dans le temps. Car c’est bel et bien un film sociétal que nous a offert Fukasaku, avant d’être une boucherie. On interroge certaines notions importantes, l’individualisme ou encore les rapports de force, et cette dualité entre divertissement et portée réelle du film marche à la perfection. Le rythme et la scénarisation sont eux aussi au rendez-vous dans cette production aux scènes cultes et parfois ultra sanglantes.

En bref, Battle Royale a tout pour ravir les plus exigeants comme ceux qui veulent juste se défouler devant un film qui se laisse regarder facilement. Vraie référence au Japon, il a reçu les louanges de réalisateurs de renom partout dans le monde, et fait incontestablement partie des immanquables du cinéma asiatique.

Hana-Bi – Takeshi Kitano

Terriblement traumatisé par la fin prochaine de sa femme et la paralysie d’un de ses collègues, blessé au cours d’une fusillade, le détective Nishi quitte la police. Il va commettre un hold-up pour soulager les misères de ceux qui l’entourent. La sérénité du dernier voyage qu’il entreprend avec sa femme, vers le mont Fuji, va être brisée par l’arrivée de yakusas vengeurs.

Promis, c’est le dernier film où on peut voir Takeshi Kitano dont on vous parle ici, même si la présence du monstre nippon est souvent gage de qualité. Cette fois-ci, il est réalisateur en plus d’endosser le rôle principal, dans cette production saluée par la critique à ses tous débuts. Ce qui est super intéressant ici, c’est la dualité entre les moments de flottements apportés par son histoire d’amour et la violence de l’autre aspect de sa vie, peuplée de sang et de scènes crues. Que ce soit dans la pureté de cette histoire d’amour très pudique et naïve, ou – parfois – dans le grand n’importe quoi de la violence destructrice enfouie dans notre ex flic, les deux sont poussés à l’extrême. 

Le tout donne une expérience poétique à la rythmique lente, couleur mélancolie. Comme dans l’été de Kikujiro, Hana-bi est peuplé de silences qui en disent long et d’humour typiquement japonais. Appuyé par une bande son et une réalisation elle aussi saluée par la critique, il se fait fleuron du cinéma nippon sans trop forcer.

Old Boy – Park Chan-wook

Fin des années 80, Oh Dae-Soo, père de famille sans histoire, est enlevé un jour sans raison. Séquestré pendant des années dans une cellule, son seul lien avec l’extérieur est une télévision par laquelle il apprend le meurtre de sa femme, dont il est le principal suspect. Au désespoir succède alors la rage intérieure vengeresse qui lui permet de survivre. Il est relâché, toujours sans explication, après 15 ans.

Old Boy a épaté dès sa sortie lors du festival de Cannes 2004, dont il a remporté le grand prix. Il raconte l’histoire de cet homme brisé par la séquestration, relâché dans la nature et plongé dans un flot de non sens et de questions sans réponses. C’est un thriller haletant qui s’ébat sous nos yeux, et un déferlement de violence tourné d’une manière très caractéristique. On est facilement gobé par le scénario et l’intrigue de cet univers qui laisse des marques après son visionnage. La folie, le dégoût parfois. La colère, l’incompréhension. La traque, et surtout l’action, tout le temps, font de ce film un modèle du genre, qui a marqué et influencé le cinéma sud corréen après lui. Le plus iconique dans ce grand et beau foutoir est peut être la mise en scène ambitieuse adoptée par Park Chan-wook : des scènes de combat surfaites, mais terriblement plaisantes à observer dans leur style, et fidèles aux sentiments exacerbés des personnages qui se démènent à l’écran. 

Les Sept Samouraïs – Akira Kurosawa

Dans un Japon médiéval ravagé par des guerres civiles, les paysans sont opprimés par des brigands qui les rançonnent. Une troupe de bandits à cheval s’apprête à attaquer un village mais décide de reporter l’attaque au moment de la prochaine récolte. Un des paysans, Yohei, ayant surpris la discussion entre les bandits, court aussitôt avertir le reste du village. Effondrés, les paysans décident d’engager des samouraïs pour défendre le village. Une entreprise qui n’est pas gagnée d’avance.

Et nous en arrivons au dernier des films de notre guide d’exploration du cinéma asiatique. Le plus clivant car le plus élitiste, Les Sept Samouraïs a inspiré une multitude de réalisateurs depuis sa sortie il y a bientôt 70 ans. Véritable monument du cinéma japonais, il est un peu plus difficile d’approche que les autres évoqués plus tôt, malgré sa photographie exceptionnelle. D’abord parce qu’il dure 3h30, loin de nos standards actuels. Ensuite, par la lenteur des actions qui s’enchaînent : Kurosawa prend le temps de développer les personnages et leur raison de s’allier malgré leurs différences idéologiques ou comportementales. Le résultat reste tout de même bluffant tant le film vieillit bien, on se prend rapidement au jeu de recrutement qui occupe la première partie du film. On se sent inclus dans l’action, et dans ce portrait d’un japon féodal où les paysans sont gangrénés par la pauvreté et leur réalité cruelle. Tout nous pousse à attendre de pied ferme l’affrontement final qui se voudra des plus stratégiques et des plus redoutés par des villageois aux sentiments – encore une fois – très exacerbés. Les Sept Samouraïs tient parfois de la pièce de théâtre à cause du jeu de ses acteurs, et donne au spectacle qui se déroule à l’écran une dimension très solennelle. 

Si il peut incontestablement en rebuter certains, il fait partie des films qu’il faut avoir vu si on s’intéresse au cinéma asiatique, et même si on s’intéresse au cinéma tout court.