Deux aventurières, guérisseuses curieuses qui sont passées partout en 10 ans, chanteuses cueilleuses venues glisser leur musique habitée sur chaque continent. Ibeyi, c’est de la musique et de la magie, parce qu’il faut un peu des deux pour mieux goûter la vie, et colorier les vides. On a discuté avec Lisa, une des deux jumelles, à quelques jours de leur passage attendu à L’Autre Canal. 

Quand tu travailles avec ta sœur, qu’est-ce que tu apprends sur toi ? 

Naomi c’est mon miroir. Je vois en elle ce que je n’ai pas, mais aussi ce que j’ai. On est deux faces d’une même pièce de monnaie. Je ressens tout ce qu’elle apporte. J’imagine que pour elle c’est la même chose. On apporte des choses différentes et j’apprends encore beaucoup d’elle. 

Est-ce qu’il y a une organisation précise entre vous depuis le début ?

En réalité, on n’a jamais utilisé de mots. C’était instinctif. L’organisation s’est faite par rapport aux forces qu’on a. Nao c’est la production, le rythme, l’instinct, les grands choix. Moi c’est plus la mélodie, les chansons à leur état brut et les interviews, ça s’est fait naturellement. C’est nous contre le monde, mais on évolue, on change de division. En fonction des moments, de nos blessures, on se relaie. 

Quand vous avez commencé, vous étiez très jeunes, un âge où rien n’est figé, comment vous la regardez cette époque ? 

Avec beaucoup d’amour et de gratitude. On était tellement naïves dans le meilleur sens du terme. Pas dans le sens bête. On avait la naïveté de la jeunesse, on était libres, on se rendait compte de rien et surtout pas des règles; on avait juste envie de faire de la bonne musique, de jouer. c’était magique, et beau, vraiment c’était beau. 

Ça a marché presque tout de suite, comment vous vous l’étiez expliqué ?

Je pense que la spontanéité explique le succès. Nos différences aussi. Les gens aiment la nouveauté. Je pense aussi qu’il y a quelque chose du miracle, de la magie. Je connais plein de gens bourrés de talent pour qui ça ne prend pas. et bcp de travail;

Quand on emprunte autant à des cultures, il faut les invoquer à bon escient ? 

Il faut leur faire honneur. 

Vous avez déjà pensé que justement, vous n’étiez pas encore au moment de montrer, de dire, de chanter certaines choses ? 

Naomi beaucoup. Moi moins, je suis un livre ouvert. Elle est plus secrète. Plein de fois elle a eu du mal avec des choses hors limites. Mais je pense qu’elle se découvre de plus en plus. Pour ma part j’étais plutôt bloquée au niveau corporel. Mais bon, j’avais 18 ans, j’étais un bébé. Et j’étais consciente d’être une jeune femme dans un milieu patriarcal. Ça m’a pris du temps de me libérer de ça. Après, je pense qu’on change tellement qu’on ne se rend pas compte de ces choses-là, mais tout se découvre. On découvre ce qu’on a envie de dire au fur et à mesure qu’on vit. 

“Ce qui nous a toujours sauvées, c’est que ça doit être vrai pour nous au moment où on le dit.” 

Tu parlais de naïveté, on est toujours le naïf du futur nous, non ? Il faut apprendre à se réjouir de chaque étape d’un processus. 

Totalement. Ce qui nous a toujours sauvées, c’est que ça doit être vrai pour nous au moment où on le dit. Quand on écoute nos chansons passées, elles résonnent parfois différemment. Mais ce qu’on sait c’est qu’elles étaient tellement vraies au moment où les a fait. Je regarde tous nos albums avec de l’amour pour leur sincérité. 

Justement qu’est-ce que vous avez fait pour la première fois sur Spell 31

On joue pour la première fois avec des musiciens. On avait un peu peur au début, parce qu’on a tourné pendant 10 ans toutes les deux Naomi et moi. Il ne fallait pas que ça dénature notre musique, et on se demandait comment trouver la connexion avec des gens qui ne sont pas nos jumeaux. Heureusement, on a trouvé 2 musiciens hors-pair. C’est comme 2 anges, il y a quelque chose de magique. 

“Je crois que notre musique est habitée.”

Justement, en parlant de magie. On lit souvent à propos de votre musique qu’elle a à voir avec le chamanisme, la spiritualité, est-ce que c’est pas juste l’essence de la musique tout ça ? 

Mais oui ! Parfois il faut des mots. Mais ce qui est spirituel dans notre musique, c’est la musique ! C’est la magie de chanter et de faire quelque chose qui te libère l’âme, qui te fasse du bien et qui te fasse te sentir à ta place. Et je crois que notre musique est habitée. Je pense que c’est ce que les gens ressentent quand ils emploient ces mots pour en parler. 

Faire du bien, avec la musique, et aider les gens à comprendre qui ils sont, d’où ils viennent, ça a tout de suite été une ligne directrice de votre projet musical, ou alors c’est venu avec le temps et les retours ? 

On commence par se faire du bien à nous-même avec la musique. Tout en espérant qu’elle touchera le public. Pour être franche, j’ai toujours su que j’avais envie de faire de la musique et que j’allais la partager. Mais je n’arrêterai jamais de faire de la musique, peu importe ce qui se passe. Le départ d’une chanson pour nous, c’est toujours de nous faire du bien. On fait de la musique pour guérir l’âme. 

La musique, quel langage est-ce que c’est pour vous ? 

Je pense que c’est un don du ciel, de pouvoir être créatives, de pouvoir sortir ce qui nous fait mal et de le transformer en beau, et de pouvoir composer avec les émotions. Mais tout le monde a ça au fond, et tout le monde devrait le faire. Je ne sais où je serai si je ne pouvais pas faire de chansons.

Justement, quand ça ne va pas, est-ce que ton rapport à la musique évolue ? 

Je vais direct au piano. C’est carrément devenu un système. Même si c’est le même qui se met en place quand ça va très bien et que les émotions sont positives. C’est mon système pour vivre la vie de manière heureuse. Je pense que chacun a son système de défense, qu’il s’agisse de cuisiner, de se promener dans la nature, rigoler avec quelqu’un, jardiner ou dessiner. C’est ce qui est beau. 

Entre Ash, votre précédent album et Spell 31, vous avez laissé passer du temps, c’était par nécessité ? 

Finalement, ça s’est un peu imposé à nous. On avait tourné pendant longtemps avec le précédent. Mais prendre le temps, quand on fait de la musique, c’est très important. On vit dans un monde où tout va très vite, mais il ne faut jamais oublier d’arrêter le cours du temps quand c’est possible de le faire. On ne peut pas changer, on ne peut pas évoluer, on ne peut pas offrir quelque chose de différent si on ne prend pas un peu le temps de réfléchir à ce qu’on veut faire. Il faut vivre pour avoir des choses à raconter. Il faut tomber amoureux, se quitter et tomber à nouveau amoureux, se perdre et se retrouver, sinon on s’ennuie. Si on ne fait que créer, écrire des chansons, sans avoir rien vécu, je ne vois pas ce qu’on peut écrire d’intéressant. 

Dernière question, le média s’appelle Première Pluie, qu’est-ce que ça t’évoque ?

Oh c’est beau. J’adore ce nom. J’ai l’impression qu’il soigne. Je pense au moment où il pleut et que la Terre boit, que les arbres sont reconnaissants et que la vie continue. Ça m’évoque le printemps. 

Ibeyi seront à L’Autre Canal à Nancy le vendredi 27 janvier à 21h. Prenez vos places.

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Arthur Guillaumot // Photo de Une : Suleika Muller