Première Fois, c’est un ep riche de ses curiosités, de ses parois en velours, et de toutes ses aspérités. Impossible à caser, avec un horizon large, toujours dans la recherche, envoûtant dans l’interprétation et les textes, une vraie réussite. Jäde livre un précieux carnet d’états, d’émotions, de pulsions, de couleurs. Discussion.


Arthur Guillaumot : Qu’est ce qu’il faudrait retenir de cet ep, Première fois

Jäde : Il n’y a pas vraiment un message en particulier. Un message de liberté. Je pense que ça serait d’avoir le droit de raconter sa vie, de dire ce qu’on pense. 

C’est une compilation d’états et de moments…

Oui voilà ! C’est des émotions. Il n’y a pas de grands discours. Si on analyse les choses, il y a des messages et des thèmes, mais c’est assez naturel. 

Il y a quelque chose qui m’a frappé dès la première chanson, qui s’appelle Satin,  tu dis que tu préfères la soie, j’ai l’impression que tu explores tes dualités et tes paradoxes, entre le jour et la nuit, entre la séduction et l’amour romantique 

C’est totalement ça. Je ne sais pas si c’est bien, mais ça représente bien ma personnalité. Je suis comme ça dans la vie. J’ai un côté très romantique et à l’eau de rose. Et d’un autre côté, j’ai une carapace, un peu comme tout le monde je pense, un peu bad girl alors que j’ai un coeur en mousse. (Rires)

« J’ai une carapace de bad-girl pour mon coeur en mousse. Si tu es trop vulnérable, les gens t’écrasent alors il faut faire attention. »

Mais là tu es en train de tout avouer au grand jour…

Ah oui ça il ne faut pas le dire ! (Rires) 

Mais je pense que tout le monde est comme ça. Peut-être que c’est pas vrai, mais on ne veut pas trop montrer cette facette. Si tu es trop vulnérable, les gens t’écrasent alors il faut faire attention. 

Mais voilà, je suis à la fois tendre et pas trop. 

Mais comme au niveau de la musicalité, il y a quelque chose de très urbain, et en même temps, tu n’hésites jamais à chanter ou à aller dans des flows plus pop, il n’y a pas de barrières. 

Nan, il n’y a vraiment pas de barrières. J’adore la chanson et j’ai envie d’aller plus loin dans ce truc, et de montrer que je sais chanter en fait. J’ai pas envie de me limiter. J’aime la musicalité. Dans tout ce qui est instrumental, j’aime le côté organique des instruments, j’aime qu’on puisse rajouter des guitares dans certains morceaux. 

Mais d’un autre côté, je suis une fille d’aujourd’hui, qui écoute principalement du rap, j’aime toute cette wave hip-hop. Donc il faut trouver le milieu. 

Et même au niveau de ton milieu de ton entourage musical, je pense à Gouap et aux gens de Lyonzon, c’est les sonorités qui sont excitantes aujourd’hui. D’ailleurs, tu as travaillé avec qui sur cet ep ? 

J’ai travaillé avec un gars qui s’appelle Schumi1. Lui il vient à la base d’un groupe de rock. Il s’est pris ce truc du rap ces dernières années. Comme moi il a été percuté. On a découvert cet univers ensemble. Il a 4-5 chansons sur cet ep. Il bosse aussi avec moi sur scène, on travaille souvent ensemble pour démarrer les morceaux. 

En fait vous avez la même double identité musicale ? 

Oui totalement voilà. Il écoute plein de choses différentes et ça se ressent. 

« Pour la première fois, je commence à m’assumer. »

Et ça se ressent sur l’ep ! Il y a une vraie variations d’états et de mood, et donc de couleurs musicales. 

Moi j’avais peur que ça fasse un peu bizarre et qu’on se perde, mais en fait c’est comme dans la vie. 

JÄDE--PREMIEREFOIS-- (c) Pictures and Motion Studios 1
Photo : Pictures and Motions Studio

De quoi cet ep Première Fois, il est la première fois justement ? Qu’est-ce que tu n’avais jamais osé tenter avant ? 

Des fois, quand on écrit des chansons, on pense à la réaction et à la réception des gens. Là pour la première fois, j’ai essayé de ne pas calculer le regard extérieur. Le regard des gens, c’est une peur chez moi depuis toujours. Comme je raconte ma vie et que je dis les choses que je pense. Mais avec la musique, maintenant, je dépasse cette peur. Et pour la première, je le fais à fond, en le partageant, sans peur. 

Parce que c’est la première fois que je commence à m’assumer. 

Mais qu’est ce qui a déclenché le fait que tu commences à t’assumer ? Il a fallu l’ep et les chansons qui ont précédé Première fois ? 

Oui, il y a eu un premier ep. Un peu plus tranquille et cadré. C’était un bon début. Pour moi le fait de partager ma musique c’était fort. 

En fait, je crois que c’est juste que je grandis. Que je dois faire les choses pour trouver un sens à ma vie. 

Je pense qu’au fil des projets, j’irai encore plus loin dans les différentes facettes que j’ai commencé à explorer avec ce projet. 

De toutes façons, là je suis partie, il y a pas de retour en arrière, je ne me pose plus de questions. 

Je me demandais, elle ressemble à quoi les chansons qui ne sont pas sur cet ep ?

Ah c’est marrant cette question. En fait, comme je travaille avec mon label, avant de passer en studio, on écoute les sons que j’ai fait de mon côté. Je travaille beaucoup sur les maquettes chez moi, sur mon ordi, dans ma chambre. En studio, je n’ai travaillé que les sons qui sont sur l’ep. Toutes les maquettes, il y en a beaucoup, je pense qu’au niveau des textes ce n’était pas abouti. 

Et puis ils participent sans doute aux vraies chansons, comme des esquisses. 

Exactement. Je pense que c’est un peu du recyclage? Même si ce n’est pas glorieux de dire ça. Je ne sais pas si tous les artistes travaillent comme ça. 

C’est des ajustements, les brouillons servent vraiment à la chanson finale. 

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Photo : Pictures and Motion Studios

Justement, tu fais confiance à ton inspiration ou alors est-ce que tu reviens sur ton travail ? 

Je reviens sur le travail. On passe du temps sur les chansons. Entre l’inspi et le texte, ça ne prend pas longtemps. Mais avec mon équipe, on échange beaucoup nos avis. Ils sont précieux. Même si c’est parfois délicat. J’écoute les avis pour pouvoir retravailler. 

Et même si c’est un truc qui te tient à coeur, c’est des professionnels, ils font ça pour ton bien. 

C’est vrai ! Genre, “mais attends moi j’aimais trop ce que j’ai écrit.” Ça m’est arrivé une fois, c’est dur. Mais comme pour les prods. On travaille en équipe, ça permet d’aller vers des choses mieux.

Ils ressemblent à quoi tes moments de doute ? 

Je crois que les moments de doute, comme tout ça c’est récent, c’est quand tu vois les premières réactions négatives sur ta musique. Ça ne peut pas plaire à tout le monde, et c’est normal. Ça fait bizarre au début. Et aussi, justement, est-ce que je vais trop lentement ? Est-ce que je devrais pas faire mieux, être plus haut ? C’est des attentes envers-moi. C’est entre moi et moi. Mais c’est des problèmes de riche. 

Mais nan aha! 

Mais si, parce que la comparaison chez moi, c’est vraiment mauvais, il faut que je me libère. 

Oh! Mais cet ep, j’ai l’impression qu’il est très bien accueilli non ? 

Je ne sais pas ! Je reçois des messages sympas, mon label est content, mais moi je n’ai jamais fait ça ! Bien accueilli, mais par rapport à quoi ?

Moi je l’ai vu dans plein de storys insta ! Ça c’est bien accueilli maintenant, il est disque d’or en story insta ! 

Aha tu raison ! C’est un bon baromètre. 

« La comparaison chez moi, c’est vraiment mauvais, il faut que je me libère. »

Qu’est ce que tu trouves transgressif ? Ou à contre-courant ? 

Je trouve que l’art reste à contre-courant. Moi ce qui m’énerve, c’est quand c’est trop lisse. J’ai l’impression qu’on nous ment. Quand tout se passe bien j’ai l’impression que ça ne ressemble pas à la vie. L’image de la fille un peu trop lisse m’énerve un peu. Montrer que tout va bien tout le temps c’est pas bon. 

Et ça ne ressemble pas à la vie a priori ! Qui t’inspire sur la scène actuelle ?* 

Oh, des rappeurs ! PNL, Hamza. Le rap lyonnais aussi, les gens de Lyonzon, Lala&ce. Je trouve que c’est très intéressant. 

C’est vrai qu’il y a une émulation à Lyon. 

Oui c’est vrai ! J’en parlais hier avec Gouap. Nous ça fait longtemps qu’on le sent venir, mais en fait c’est marrant parce que du coup c’est maintenant ! C’est drôle de réaliser tout ça. 

En plus ils sont reconnus directement pas les auditeurs, ils reçoivent de la force directement du public avant d’être reconnus par les labels et les médias tradis. 

Oui c’est un chemin qui est long, tu crées toute ta fan base, tout seul. C’est pas facile. Moi, c’est pas le chemin que j’ai. Mais d’un autre côté, j’ai ce truc underground comme eux, avec soundclud. T’as l’impression que tout le monde se connaît et se donne de la force. 

Et ça donne une base très solide, les gens qui te connaissent de cette époque, c’est des chevaliers, ils défendent ta musique corps et âmes justement. 

Tout à fait ! Et ça c’est le plus important. D’avoir des gens qui t’écoutent et te suivent à fond, qui vont acheter tes disques. 

JÄDE--PREMIEREFOIS--FIFOU1
Photo : Fifou

Est-ce que tu as eu peur, à un moment, de décevoir ce premier public ? 

Non pas du tout. Je me suis dit que les gens qui écoutent mes chansons depuis soundcloud, ils vont voir que j’ai enrichir le projet. Le feeling est resté le même. Je n’ai pas encore de pression. Pas encore d’objectifs de oufs à remplir. 

Je te souhaite d’avoir des objectifs de oufs à remplir alors ! Est-ce que c’est bien de souhaiter ça ? 

D’avoir des objectifs à remplir en terme de ventes ? Je pense que c’est cool de le souhaiter, surtout si ça arrive ! Pour le moment ça va, le soir de la sortie j’étais heureuse. 

Qu’est ce que t’évoque la Première Pluie ? 

La Première Pluie, ça serait… Je vois un truc un peu romantique. C’est peut-être un premier baiser. C’est galant, humide. 

Comme dans un film qui se termine bien.


Arthur Guillaumot / Photo de cover : Fifou

*Question posée sur instagram par Nina Lagrande

L’ep de Jäde, Première fois est dispo partout :