Les pages qu’il tourne, les portes qu’il ouvre. Kaky explore des continents inconnus, travaille sur des matières inédites. Sur son premier ep, Room 404, il tente, invente, raconte, avec une variété de flows et de sonorités. Page introuvable, page blanche ? Les bruits qu’il emploie, les mots qu’il enrôle. Premier projet, première page. Grande discussion.

Room 404, le premier ep de Kaky, est dispo ici. La première partie de cette discussion est disponible ici.

Qu’est-ce que tu n’as pas encore réussi à faire dans ta musique, qu’est-ce qui t’obsède encore ?

Je suis en train de faire des trucs là. Je suis en plein dedans. (rires)

J’aimerai faire une vraie chanson. Où je chante de A à Z. Une chanson quoi. Avec des sonorités modernes. C’est mon objectif. Je veux aussi essayer de faire des morceaux où je chante très grave, ou alors où je murmure. Quand je faisais l’ep, chaque morceau était un challenge. J’avais un peu le syndrome du footballeur qui veut marquer un but et qui est concentré sur ça. J’ai l’impression que je suis libéré. Je prends mon temps. Je me dis qu’un morceau peut ne pas être incroyable quand tu l’écoutes tout seul mais il va signifier quelque chose dans un projet complet. 

Je vais aussi travailler plus dans la simplicité. Je pense aux prods, mais aussi dans d’autres domaines où je vais essayer d’être plus clair. Room 404 est un peu très dense. Pour aller plus loin, il va falloir que je travaille sur ma voix, sur le chant. Je veux tester des choses. 

Maintenant j’ai confiance.

Est-ce que justement, oser, tenter, c’est ce qui t’excite musicalement pour te renouveler ? Au point qu’il puisse ne jamais y avoir de “recette” Kaky. 

C’est même un peu le souci de faire tout ça, c’est qu’aujourd’hui je n’ai pas de terrain où je me sens bien. Chaque morceau, je m’adapte, et je fais un truc que j’aime bien. Ces derniers temps, je réfléchis pas mal à la place où je me situe sur la scène. C’est cool d’arriver avec des projets aussi variés, mais à un moment ça peut aussi créer une dissonance dans ta personnalité. 

Quand j’ai testé les morceaux sur scène, au FGO-Barbara*, je me suis rendu compte de certaines choses. Entre Lundi Matin et Voyage de Nuit, je ne peux pas me comporter pareil sur scène. Il y a un écart qui peut se former. Avec le prochain projet, j’essaie d’imaginer quelque chose avec un batteur, avec quelqu’un au synthé. Quelque chose de plus travaillé. Maintenant j’ai confiance. Je peux faire mon truc. Le premier ep, j’avais de la pression. Je voulais prouver. Et c’est une bonne chose, mais ça peut être contre-productif sur le long terme.

Sortir un premier projet, c’était aussi une façon de comprendre ce que tu faisais et ce que tu avais envie de faire en fait ? 

Oui c’est ça, même si c’était à mon insu, j’ai fait ça naïvement. Je pense que ça a aidé mes partenaires à me comprendre aussi. On a pu voir ce qui fonctionne aussi. 

Ce qui est un peu bancal, c’est que demain je peux faire un son très différent de ce que je fais, mais ça marche, je vais aimer. Et ça va me brouiller dans ma lignée.

J’ai travaillé avec des gens d’univers différents ces derniers temps. Là je sors d’un writing camp, où je suis parti une semaine avec des artistes. Il y avait des producteurs d’éléctro, des DJ’s. J’ai fait des sons juste pour le kiff, mais à la fin, je me disais “Eh attends, il est ben ce son.” Sauf que si je sors ça, c’est dingue, les gens suivraient pas. J’ai appris à me canaliser. 

Il faut que tu la joues Romain Gary. Tu trouves un pseudo par genre musical et tu fais des projets dans tous les sens. (rires) 

J’avais pensé à un autre blaze en plus ! Ykak. Tu inverses Kaky et c’est le nom du producteur un peu fou qui fait des trucs de tous les côtés. 

Et finalement c’est lui qui prend une Victoire de la Musique ! (rires) 

Imagine aha.

Tu travailles beaucoup avec les bruits, à partir de quel moment un bruit peut devenir intéressant, au point d’être intégré dans un son ? Est-ce qu’il y a des règles ? 

Ah c’est intéressant. En fait, je n’ai pas ce truc de capter des bruits tous les jours et de les mettre dans mon ordi. J’aimerai le faire d’ailleurs, pour avoir mes propres samples et tout, et pouvoir travailler ça à fond et avoir une couleur à moi. Mais tous les sons sont captés sur une courte période. Ça part d’un éclair où soudain je regarde partout autour de moi. Par exemple quand je suis dans un supermarché. Et hop, je centralise de l’énergie, en me disant que j’ai une demie-heure à Intermarché pour prendre plein de samples. Et là, je ne réfléchis pas, je prends des trucs en me disant que ça va être drôle. 

Au bout d’un moment j’imagine que ça devient naturel, que tu as ta partition. 

Il y a des tips évidemment, il y a des bruits, je sais que ça va être des percussions. Tout ce qui est mélodie, ça doit provoquer une note. Je ne peux pas faire un piano en tapant sur la table. À la limite si je tape sur un verre. C’est une question de fréquence, mais il n’y a pas de règle.

Pendant que je trouve les sons, je m’imagine la place qu’ils vont tenir dans la prod. Je me cantonne vraiment à une grosse caisse, une caisse claire, un charley, des petites percussions, une mélodie, une basse. Et c’est comme ça que j’ai tout fait tu vois. Je trouve que c’est ce qui fonctionne le mieux pour trouver l’essence du morceau. Pour trouver les premières toplines, tu n’as pas besoin de plus. 

Donc voilà, je vois un objet, je le teste, et je comprends où je peux l’utiliser. 

D’ailleurs tu jouais beaucoup avec ça dans les Kakysounds ! 

Ce qui est cool, c’est que les percussions, tu peux en mettre 300 si tu veux et si c’est bien placé. Sur un Kaky sound, j’avais demandé aux gens de m’envoyer des bruits, qu’ils filmaient. Et j’en avais pris 72. Et je crois qu’il y avait 60 samples de percussions. Et finalement, l’objet dans la prod, te raconte où tu vas aller, après, tu prends ou pas, tu suis ou pas. Mais c’est super intéressant de bosser comme ça. 

Et en plus ça raconte aussi quelque chose dans ta façon de travailler, avec quelque chose de l’instinct, qui donne la cohérence des moments. Sur l’écriture tu fonctionnes aussi comme ça, à l’inspi ?

J’ai un rapport différent à l’écriture. Ça peut être un peu traître. Parce que la musique, plus tu en fais, plus tu commences à comprendre, à avoir des mécanismes. Je pense que mêmes les plus grands auteurs, avec plein d’expériences, connaissent des périodes de pages blanches. En musique, tu n’as pas de page blanche. Tu vas faire des trucs moins bons, mais tu vas faire des choses. Alors qu’avec l’écriture, j’ai l’impression qu’on peut se retrouver à ne rien pouvoir faire. Donc c’est un peu plus compliqué pour moi. Et je trouve des tips aussi. J’essaie de me faire confiance et de me dire qu’il n’y a pas de règle. 

J’aime que ça sonne phonétiquement. Je trouve des toplines, je place des mots par instinct, et ça me donne des thèmes, des sujets. Les mots m’inspirent des sujets, et ça se construit petit à petit. Ça reste l’instinct. C’est dur de retravailler un texte.

Je crois beaucoup au travail.

En quoi tu crois Kaky ? 

C’est un truc auquel je me suis remis à penser ces derniers temps. Je crois beaucoup au travail. Tu vois, quand j’ai fait l’ep, j’ai beaucoup travaillé, sans même m’en rendre compte. Avant, la musique c’était plus un échappatoire, en sortant de la fac. Mais maintenant que je peux ne faire que ça, maintenant que je peux organiser ma journée en fonction de ça, j’ai compris que le travail c’est important. 

Et c’est là que c’est dur. J’ai suivi le parcours scolaire classique. Avec des horaires, des vacances à des dates précises. Maintenant que je peux tout agencer comme je veux, c’est super déstabilisant. 

C’est chaud parce que c’est tout le temps et jamais en même temps. 

C’est exactement ça. Et tu vois, il y a des jours, je n’ai pas envie de faire de musique. Mais je ne sais pas quoi faire d’autre. Et encore plus aujourd’hui. 

Avant je n’avais pas le temps de faire autre chose que la musique. Mais maintenant que mon loisir, ma passion est devenu mon activité principale, je me pose parfois pas mal de questions. Donc je pense que le travail, c’est un bon moyen d’oublier tout ça, de se focaliser et d’avoir des résultats. J’y crois. 

Je capte vraiment ce décalage dont tu parles, je suis dans la même situation. C’est hyper bizarre de devoir construire sa journée. 

On nous apprend pas à être avec nous-même. On nous met très vite en compétition. On nous apprend pas à nous aimer, à nous comprendre, à être seul une semaine. 

Oui clairement. Et c’est aussi une question de rythme, quand tu te retrouves à bosser sur ton propre projet. Nos amis sont en cours, on peut avoir l’impression d’être des imposteurs. 

Oui, même ça c’est très déstabilisant. Moi depuis que j’ai arrêté la fac, je ne suis plus sur le même fuseau horaire que mes potes. 

Souvent quand j’ai été bancal, je me suis rendu compte que la première solution, la première intuition était la bonne.

Ça veut dire que regardes la NBA ? Je vois que tu as une casquette de Cleveland. 

Exactement. Et quand je regarde le basket, eux ils se lèvent. Ça peut paraître con. Et en plus avec le Covid, quand tu es artiste, ton champ des possibles est très réduit. C’est frustrant de ne rencontrer personne. Heureusement là il commence à faire beau. 

Qu’est-ce que tu as appris en faisant ce projet ?

Ouah. J’ai appris trop de trucs. J’ai tout appris je crois, toutes les bases de la musique, et les pourquoi. La production, le mastering, tout ça. Le plus grande leçon, je crois, c’est de se faire confiance. Je suis quelqu’un qui prend beaucoup de recul, je suis à l’écoute, j’essaie d’apprendre tout le temps. Mais dans l’art, il faut souvent être sûr de soi et de ses choix. Et souvent quand j’ai été bancal, je me suis rendu compte que la première solution, la première intuition était la bonne. 

Et j’ai appris à faire confiance humainement aux gens que je rencontre. Que le plus important c’est pas de travailler avec les meilleurs, mais de trouver l’équipe qui va nous emmener le plus loin humainement. Les gens qui m’entourent professionnellement sont devenus des potes. On travaille encore mieux comme ça. Mon mixeur, c’est devenu un pote de fou. Cette connexion fait qu’on avance mieux. C’est une question d’énergie. Sur Voyage de Nuit, on a repoussé nos limites. Pareil pour les clips, que je réalise avec ma copine.

Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ? 

Pour moi, c’est le premier chagrin. C’est un peu triste. La première fois où tu tombes, et après tu te relèves. Tu vois la pluie qui tombe et tu comprends ce que c’est de perdre, d’avoir échoué. Ensuite la pluie s’arrête et tu recommences.

________

Lors du Ici demain Festival, du 20 au 22 novembre 2020, dans la salle parisienne.

________

Arthur Guillaumot

Photo de Une : Lara Chochon.

Vous pouvez retrouver Kaky sur ses réseaux sociaux : Sur Youtube / Sur Facebook / Sur Instagram / Sur Twitter.