Dans nos inconscients, le Yémen fait partie de ces pays où il se passe quelque chose de grave, sans que l’on sache forcément quoi. Parce que la situation actuelle repose sur des années de conflits, et que les protagonistes, comme les victimes sont nombreux, que la mort et les désastres ont trop de visages. 

1 enfant meurt toutes les 10 minutes au Yémen, de faim, ou de maladie. Plus de 85 000 sont morts. 

Près de 20 millions de personnes sont menacées par la famine, en situation d’insécurité alimentaire totale. 17,8 manquent d’accès à l’eau eu aux soins. 

La plus grande épidémie de choléra enregistrée frappe le pays, 1,5 millions de malades depuis le début de l’épidémie. L’ONU estime le bilan de l’épidémie à 3000 morts. 2000 nouveaux cas par jour. 

Pour le conflit armé, l’ONU a longtemps communiqué sur 10 000 victimes parmi les civils, ce chiffre étant resté le même depuis début 2017. Un groupe de recherche associé à l’université britannique du Sussex (The Independent Yemen for the Armed Conflict Location and Event Data Project, ACLED).universitaire britannique, indique que le conflit a fait 56 000 morts entre début 2016 et fin 2018. Impossible de savoir précisément combien de tués, depuis le début du conflit, la zone étant rendue très difficile d’accès par l’Arabie Saoudite notamment. Le groupe de recherche parlait de 80 000 morts dans le conflit entre mars 2015 (entrée en guerre de l’Arabie Saoudite) et octobre 2018.

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Une rue de la capitale, Sanaa, octobre 2018 / PHOTO MOHAMMED HUWAIS/AFP

Histoire 

Dans l’antiquité, le Yémen était un territoire du légendaire royaume de Saba et on en parlait comme l’Arabia Felix, où l’Arabie heureuse. C’est l’un des premiers pays à adopter l’Islam.

Le Yémen comptait 28,6 millions d’habitants en 2018. Le nord du Yémen est largement plus peuple que le sud : près de 22 millions d’habitants au nord, contrôlé par les houthis, pour 6 millions au sud. Un blocus imposé par l’Arabie Saoudite prive le nord, ce qui explique la situation de précarité humanitaire totale de plus de 20 millions de yéménites à l’heure actuelle. 

Jusqu’en 1918, le nord était soumis à l’Empire Ottoman, tandis que le sud était une colonie britannique formée dès 1839 autour du port d’Aden. Un frontière est tracée au début du XXème siècle entre les deux parties du Yémen.

En 1962, le Nord abolit sa monarchie pour devenir la République arabe du Yémen. Les colons britanniques s’en vont du sud en 1967, et le Yémen du sud se regroupe pour former la République démocratique populaire du Yémen, d’orientation pro-soviétique.

Le 22 mai 1990, le Yémen est devenu le pays qu’il est aujourd’hui, réunissant son nord et son sud. De cette date à février 2012, Ali Abdallah Saleh est président du Yémen unifié (il était auparavant président de la République arabe du Yémen (Nord) depuis 1978.

Le sud tente de faire sécession en 1994, 7000 à 10 000 personnes meurent.

 

Chiites – Sunnites, une guerre de religion

Pour comprendre la guerre de coalition qui se joue au Yémen, entre l’Iran, et l’Arabie Saoudite notamment, il faut remonter au clivage entre chiites et sunnites.

Ce sont 2 courants de l’Islam. À la mort du prophète Mahomet, en 632, il faut un successeur. Les futurs chiites invoquent Ali, le gendre de Mahomet, et son fils spirituel. Les futurs sunnites désignent Abou Bakr, compagnon de toujours de Mahomet, homme ordinaire, au nom des traditions. Les chiites se réfèrent à l’imam, les sunnites au Coran. Les chiites accusent régulièrement les sunnites d’être vendus à l’ennemi américain. 

Au Yémen, les houthis composent une minorité chiite qui représente près de 40% de la population. Dans leur combat, ils sont soutenus par l’Iran, l’un des seuls pays à majorité chiite. Les sunnites représentent le courant majoritaire de l’Islam, près de 90% des musulmans dans le monde sont sunnites. L’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, qui sont dans le camp du président écarté, Mansour Hadi, sont sunnites. 

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Sources et crédits : Le Monde

Chronologie : la guerre civile : 2004 à nos jours

2004, les origines du conflits : Au début des années 2000, le Yémen soit faire face à des mouvements de rebelles, notamment des Houthis, qui continuent de jouer un rôle majeur aujourd’hui. Les houthis sont des chiites (nous y reviendront) qui tirent leur nom de leur leader Hussein Badreddine al-Houthi, tué en 2004 par les autorités. Dès lors, la violence s’accélère. 

2009, l’installation du conflit et des protagonistes : 5 années sont passées et les rebelles houthis ont gagné du terrain. Ils mordent parfois sur le frontière avec l’Arabie Saoudite, quelques morts dans les deux camps. L’Iran est accusé de fournir des armes aux rebelles. 

2011, Printemps arabe, destitution du président : Grandes manifestations populaires dans plusieurs pays pendant les mouvements des Printemps arabe, en Tunisie, en Egypte, en Syrie et dans beaucoup d’autres pays. Le Yémen rejoint la contestation, le peuple rêve d’autre chose que Saleh, au pouvoir depuis 1990. 

Les jeunes, qui mènent les soulèvements, voient les rebelles houthistes rejoindre leur cause. Les manifestions sont réprimées dans le sang. Une partie du pays prend le parti des houthis. Les Etats-Unis et les pays du Golfe négocie le départ du président Saleh, et c’est l’un de ses proches, Mansour Hadi, qui accède au pouvoir. 

C’est à ce moment qu’Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA) profite du désordre pour étendre son influence dans le pays. 

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                               Les rangs des rebelles houthis comptent de nombreux enfants                               Crédits : Mohammed Huwais – AFP

 

2014, le conflit actuel démarre : Après la destitution du président, une période de 2 ans et demi de transition prend place. Le nouveau président Mansour Hadi propose un nouveau découpage des régions. Les houthis sont privés d’accès à la mer et n’ont pas leur propre province. Une forte hausse des prix provoque le mécontentement de la population, qui va prendre le parti des houthis. À l’été, ces derniers reprennent les armes et gagnent à nouveau du terrain. Ils entrent dans la capitale Sanaa en Septembre. 

2015, entrée en guerre des grandes puissances : Les houthis assiègent le palais présidentiel, en janvierEn mars, ils prennent Taëz, 3ème ville du pays.

Le président Mansour Hadi fuit à Aden et rejoint l’Arabie Saoudite. Cette dernière , à la tête d’une coalition soutenue notamment par les Etats-Unis, bombarde les principaux points contrôlés par les rebelles à Sanaa. 

Le président iranien condamne fermement et parle d’une « démarche dangereuse ». 

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Carte du conflit en 2015

 

2015-2017, le conflit, et la population : Les bombardements de la coalition emmenée par l’Arabie Saoudite touchent régulièrement les civils. Fin 2015, plus de 131 personnes sont tuées par un bombardement alors qu’elles célébraient un mariage. Octobre 2016, plus de 140 morts, cette fois c’est un cortège funéraire qui est visé. 

C’est à cette période que l’ONU commence à s’inquiéter du risque de famine. 

Fin 2016, le choléra : Depuis 2016, le Yémen est touché par une gravissime épidémie de choléra. Extrême pauvreté, famine, déplacements incessants, guerres, blessures, camps de réfugiés, etc, ont eu pour conséquence la résurgence massive de l’épidémie.

Le choléra est une toxico-infection provenant d’une bactérie, le choléra est contagieux et largement mortel. Le choléra provoque des diarrhées brutales et abondantes, qui provoquent la déshydratation. Au Yémen, on manque d’eau, évidemment. La situation est dramatique.

Les ONG considèrent que 17,8 millions de personnes manquent d’accès à l’eau potable et aux soins au Yémen.

En 2017, 1 million de cas de choléra étaient recensés, 371 000 en 2018. En Avril 2019, on comptait déjà 137 000 malades, pour 300 morts dans les trois premiers mois.

Avec la guerre, la « pré-famine », et le choléra, la situation au Yémen est régulièrement qualifiée de “pire situation humanitaire dans le monde”.

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         Saida Ahmad Baghili, jeune yéménite de 18 ans, devenue un symbole de la malnutrition                   / Photo : Stringer / AFP

Fin 2017, mort de Saleh : L’ex-président, déchu du pouvoir en 2011 a fait alliance avec les houthistes en 2015 pour reprendre le pouvoir. Le 2 décembre 2017, il change de camp pour obtenir la levée du blocus imposé par l’Arabie Saoudite, qui empêche le ravitaillement de la zone contrôlée par les rebelles. Des images de son cadavre circule le 4 décembre.

Décembre 2018, accord de Stockholm : Du 6 au 13 décembre dernier, à l’initiative de l’ONU et des principaux chef-d’états. Les forces en présence au Yémen, houthistes et pro-Hadi, ont trouvé un accord pour laisser entrer l’aide humanitaire et une mission d’observation de l’ONU. Cet accord a toujours, aujourd’hui, du mal à entrer en vigueur. 

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Année 2019, pas d’amélioration en vue : La situation de précarité alimentaire n’a jamais été aussi préoccupante. On peut parler de famine, même si on emploie encore le terme de « pré-famine ». Le choléra touche tous les jours 2000 nouvelles personnes, 300 morts étaient à déplorer dans les 3 premiers mois des suites de l’épidémie.

La communauté internationale commence sérieusement à être gênée par son association avec l’Arabie Saoudite, responsable de l’assassinat du journaliste Jamal Kashoggi. Par ailleurs, la France fournit des armes à l’Arabie Saoudite, et peine à justifier qu’elles ne sont pas utiliser contre des civils au Yémen. Des journalistes qui enquêtaient sur l’affaire ont été convoqué par les services français.

L’actualité du conflit au Yémen est permanente. Samedi, 2 aéroports saoudiens étaient touchés par une attaque houthis par drones. Difficile d’envisager une sortie de conflit. Les deux principaux camps désormais, houthis et pro-Hadi sont d’accord pour ne pas respecter l’accord de Stockholm. La population est otage de la guerre.

 


Arthur Guillaumot