Depuis des années, les Ouïghours, minorité musulmane qui vit en Chine est persécutée. Le gouvernement chinois invisibilise, opprime et déporte cette communauté, dont la voix est peu entendue. Nombreux sont ceux qui alertent le début des années 2010, sur des disparitions, des camps d’internement, et même sans doutes bien pire, les informations fiables passant difficilement la porte des camps. La Chine, le pays le plus puissant du monde, rencontre peu d’opposition à l’internationale dans son entreprise d’assimilation d’un peuple entier. 

Contexte 

Ils vivent majoritairement dans le Nord-Ouest de la Chine, dans la région du Xinjiang. Apparentés aux Ouzbecks et aux peuples mongols, les Ouïghours parlent leur propre langue, l’ouïghour, une langue turcophone. De religion musulmane, ils sont majoritairement sunnites. Les Ouïghours sont environ 12 millions en Chine, presque tous vivent dans la région autonome Ouïghoure du Xinjiang. 

langfr-1024px-Xinjiang_in_China_(de-facto).svg
En rouge, le Xinjiang, aussi appelée région autonome ouïghoure du Xinjiang, dans le Nord-Ouest de la Chine

La gouvernement chinois identifie la communauté Ouïghoure comme séparatiste et lui prête de nombreuses intentions terroristes. Le gouvernement chinois témoigne d’une volonté de nier cette population minoritaire dans le pays mais majoritaire dans sa région du Xinjiang. Le New-York Times révélait en novembre 2019 des extraits de discours du président chinois Xi Jinping qui appelle, dès 2014, à lutter sans pitié contre le séparatisme dans la région du Xinjiang. 

Histoire

Le séparatisme dans le Xinjiang est une longue histoire. Au 20ème siècle, pour ne remonter qu’à l’Histoire contemporaine, a été témoin de deux tentatives d’indépendantisation de la région à majorité Ouïghoure.

La première entre 1933 et 1934. Alors que la Chine a vu chuter son empire en 1911, suivent 20 années où les seigneurs de guerres se partagent le pouvoir dans la région, ce qui alimente encore les volontés d’indépendance. Un soulèvement Ouïghour a lieu en 1933. La République Islamique du Turkestan Oriental est née, à l’extreme ouest du Xinjiang, et le pouvoir est partagé pendant un an entre la mouvance islamique conservatrice et les réformistes.

Flag_of_Turkistan_Islamic_Party.svg
Drapeau de la Première République Islamique du Turkestan

Une année passe avant que les soviétiques ne répriment la République. Une année c’est court, mais elle servira d’inspiration à la pensée indépendantiste actuelle, et surtout à la Seconde République du Turkestan Oriental, une décennie plus tard. 

Si les Soviétiques sont responsables de la fin de la Première République Islamique du Turkestan, ils participent à l’avènement de la Seconde, en retirant leur soutien au seigneur de guerre local, qui tient pour eux la région, et lui préférant les rebelles indépendantistes en 1944. Cette fois-ci c’est le nord de la région du Xinjiang qui s’indépendantise. L’expérience dure 5 ans.

1280px-Flag_of_the_Second_East_Turkestan_Republic.svg
Drapeau de la seconde République Islamique du Turkestan Oriental

En 1949, alors que la guerre civile chinoise (nationaliste vs communistes (Mao Zedong)) est sur le point de se terminer, Mao Zedong invite les dirigeants du Turkestan pour la proclamation de la République Populaire de Chine. Les dirigeants de la seconde République du Turkestan périssent dans un accident d’avion. On apprendra en 1991, à la chute de l’Union Soviétique que l’assassinat de 5 des dirigeants étaient le fruit d’un accord entre Staline et Mao. Après la mort des dirigeants, le Turkestan est envahi par l’Armée Populaire de Libération communiste. Fin de la seconde République Islamique du Turkestan. 

Depuis, la relation entre la région du Xinjiang et le reste de la Chine est marquée par des tensions régulières. Par ailleurs, depuis 1949, la politique chinoise est celle de la sinisation et du repeuplement de la région par les Hans, l’ethnie majoritaire en Chine. Ils étaient 200 000 dans la région en 1949, contre près de 10 millions en 2010. 

  • En 1955, la région acquiert son statut actuel et devient autonome. 
  • En avril 1990, dans la ville d’Akto (Ouest de la région), les habitants se soulèvent contre le refus des autorités d’autoriser la construction d’une mosquée. Les troupes chinoises tirent dans la foule et font 60 mort.
  • En juillet 1990 commence une vague d’arrestation est lancée dans la région, 7900 personnes sont arrêtées, accusées de séparatisme ethnique. 
  • En juillet 1996, les autorités chinoises mettent en place l’opération « Frapper Fort »,  pour lutter contre la délinquance, qui s’en prend aux habitants du Xinjiang, pour leurs envies séparatistes encore une fois. Un certain nombre de militants indépendantistes sont exécutés publiquement. 10 000 personnes sont arrêtées. 
  • Février 1997, à la veille du Ramadan, des dignitaires religieux sont arrêtés dans la ville de Guldja (Nord-Ouest de la région). 600 jeunes Ouïghours manifestent immédiatement pour réclamer leur libération. Ils sont violemment réprimés. 
  • Le lendemain, dans la ville, d’intenses protestations ont lieu. Les policiers et les paramilitaires tirent dans la foule : 167 personnes meurent. Dans la foulée, 5000 personnes sont arrêtées et accusées de vouloir diviser la patrie. 7 jeunes Ouïghours sont condamnés à mort par le régime chinois. Ils sont exécutés pour l’exemple d’une balle dans la nuque avant d’être exhibés dans toute la ville. Si les Ouïghours approchent trop du camion qui promène les corps des 7 jeunes gens, ils sont abattus. C’est le cas de 9 personnes. 
  • Au début des années 2000, la Chine profite des tensions au Moyen-Orient et de la montée d’Al-Qaïda pour assimiler les Ouïghours aux terroristes musulmans. Le Parti Islamique du Turkestan Oriental, fondé en 1997, établi effectivement des liens avec la mouvance d’Al-Qaïda. 
  • En août 2008, alors que la Chine identifiait les Ouïghours et le Parti Islamique du Turkestan comme des dangers potentiels pour les Jeux Olympiques de Pékin, (du 8 au 24 août), 2 attentats ciblent des postes de police dans le Xinjiang, les 4 et 9 août et font 16 et 11 morts. 
  • En juillet 2009, à Urumqi, la capitale de la région autonome du Xinjiang, de violents affrontements éclatent entre Ouïghours et Hans, les chinois tradtionnels. Plus de 200 personnes perdent la vie entre ce soir et la fin du mois. La cause du conflit serait vraisemblablement la mort de deux ouvriers Ouïghours lors d’une dispute avec des Hans. Mais la politique de repeuplement de la région par les Hans irrite profondément les Ouïghours, qui se sentent remplacés. 
1233423-000_1hy2n3
Femmes ouïghoures bloquées par les policiers anti-émeutes en 2009 à Urumqi. Photo : Peter Parks /AFP

Si les relations entre les Ouïghours et la Chine n’ont jamais été simples depuis des siècles, ces 10 dernières années marquent un tournant dans la politique de sinisation de la région. La question religieuse, celle du séparatisme et la volonté d’indépendance de la région sont autant de prétextes pour justifier l’enfermement d’une part importante de la communauté Ouïghoure et d’autres groupes minoritaires (Kirghiz, Hui, Kazakhs, Tibétains, selont Vice). 

Les années 2010, incertitudes et inquiétudes

Si au cours des années 2000, la surveillance des Ouïghours est répandue, dans les années 2010, l’existence de camps d’internement des communautés musulmanes Ouïghoures et Kazakhs est établie. En août 2018, un comité d’expert des Nations Unies ainsi que l’ONG Amnesty International estimaient que les Ouïghours étaient 1 million à être détenus dans des camps d’internement, et 2 millions dans des camps politiques d’endoctrinement. La chine évoque simplement des camps d’éducation. 

Des camps ayant pour vocation à terminer le travail de sinisation de la région, en inculquant aux détenus l’idéologie communiste. De nombreuses sources s’accordent cependant pour dire que de nombreux détenus y sont par exemple forcés à boire de l’alcool et à manger du porc. En 2018, Slate publiait un article très détaillé sur les camps.

rts282xb
Un centre pour musulmans ouïghours, le 4 sept 2018. Photo : Thomas Peter / REUTERS

Par ailleurs, depuis 2017, le gouvernement chinois interdit le port du voile islamique pour les femmes et les hommes doivent porter des barbes dites « normales ». 29 prénoms à connotation musulmane sont interdits pour les nouveaux depuis 2017 également dans la région. 

Ces dernières années, les femmes dont les maris sont emprisonnés sont forcées d’accueillir chez elles des hommes envoyés par la régime chinois, et de dormir avec eux, comme le dénonçait l’ONG Human Rights Watch fin 2019, c’est à lire dans cet article de Slate. 

Un think tank australien en mars a révélé que 27 usines chinoises faisaient travailler des Ouïghours emprisonnés pour le compte de 83 grandes marques occidentales. Voilà la liste de la honte. 

Ces derniers temps, la communauté internationale est alertée, notamment via le député européen français Raphaël Glucksmann sur un possible marché de vente des organes Ouïghours à de riches clients musulmans, en besoin d’organes « halals ». Le journaliste Ethan Gutmannn estime ainsi que 25 000 Ouïghours qui ont entre 25 et 35 ans sont tués tous les ans pour leurs organes. Nous vous conseillons, pour vous renseigner sur la situation de lire ce papier extrêmement approfondi papier de Vice sur le sujet

https://video.vice.com/en_us/video/fr-le-chirurgien-chinois-qui-denonce-la-vente-des-organes-halal-de-ouigours-a-prix-dor/5ee3aadb44562c71471fb751?jwsource=cl

En revanche, avec une forte mobilisation ces derniers jours sur les réseaux-sociaux, un grand nombre d’images circulent et sont associées au sans avoir rien à voir avec la situation. Retrouvez le détail de ces informations erronés et de nature à décrédibiliser la cause. 

Il faut aussi comprendre ce qui a conduit le gouvernement chinois à de telles mesures n’est pas, ou pas seulement la religion. La religion, ou plutôt l’abandon de la religion, est utilisée par le régime chinois pour assimiler la population Ouïghoure. Ce qui conduit la Chine à cette répression, c’est plutôt les aspirations traditionnellement indépendantiste des Ouïghours dans cette région. 

Aujourd’hui, les incertitudes et les inquiétudes grandissent avec les jours et les mois concentrant le sort que la Chine réserve à la communauté Ouïghoure. Comme à Hong-Kong, la situation témoigne de la volonté de la Chine d’écraser toute opposition. Nous sommes face à un génocide culturel. Un pays, la Chine, veut nier la culture d’une minorité, les Ouïghours (entre autres),  qui vit en son sein, à minima en lui imposant des règles de vie différentes, au pire, et en l’éliminant. 


Nous avons une immense pensée pour la communauté Ouïghoure, aujourd’hui comme depuis plusieurs années. Que lumière soit faite. Et que les voix de chefs-d’états émergent à l’international pour réclamer la vérité. Et ces femmes, ces enfants, ces hommes, puissent vivre en paix.


Arthur Guillaumot / Rédaction Actu de Première Pluie / Photo de Une : AFP

Pour approfondir : Histoire millénaire des Ouïghours, avec Hérodote, le média de l’Histoire.

Le témoignage éclairant d’un Han sur les discriminations dont sont victimes les minorités en Chine.

Ici, la liste de la honte, les marques qui font travaillers des prisonniers Ouïghours.

Des pages Wikipédia. Sur les Ouïghours, sur le Xinjiang, sur la sinisation de la région, sur le Parti Islamique du Turkestan, etc. 

Sur Slate, le papier datant de 2018 sur la réalité des camps d’enfermements.

Sur Vice, l’enquête très détaillée sur le trafic d’organes.

Sur France 24 : La liste des photos qui n’ont pas de rapport avec l’enfermement et les violences faites aux Ouïghoures.

Mais les choses commencent progressivement à bouger, alors mobilisions-nous !