Des méandres poétiques planent sur Allen, le premier ep de Léo Lalanne paru il y a quelques jours. La voix d’un charisme rare, diffuse des poèmes comme des parfums dans l’air, sur des mélodies sobres et efficaces. Discussion.


Ce premier ep, Allen, son nom l’indique, il est placé sous la figure tutélaire d’Allen Ginsberg, quelle figure il a été pour toi ?  

Allen Ginsberg a suscité chez moi cette sensibilité pour la poésie, n’ayant pas une âme littéraire de haute voltige, il a contribué grandement à cet éveil lors de mon adolescence. Il m’a accompagné dans mon apprentissage de la langue anglaise, et a été une figure artistique au travers de laquelle mes questionnements intimes trouvaient une certaine résonance. La lecture et compréhension de ses oeuvres furent évolutives, « Howl, and Other Poems » a été mon compagnon de route pendant de nombreuses années et à chaque relecture, les poèmes éveillaient de nouveaux sens.

Intituler mon EP « Allen » s’est imposé comme une évidence, ce projet résulte en partie de l’impact qu’il a eu sur ma vie, l’hommage n’était que naturel.

Tu as fait ton entrée en musique il y a un an et demi, il a ressemblé à quoi le cheminement depuis ?  

Il y a un sentiment de fierté qui prédomine au passage de cette première étape qu’est « Allen ». La musique a toujours eu une place centrale dans ma vie, mais s’accomplir au travers d’elle paraissait impossible à mes yeux. La confiance manquait, la peur de s’exposer sans apparat était prédominante.

Le déclic est survenu lors de mon arrivée sur Paris, il y a un peu plus de deux ans. Je venais d’interviewer Clara Luciani, à l’aube de la sortie de son premier album, et après avoir discuté de son parcours, son cheminement vers la musique, je n’ai eu de cesse sur le chemin du retour de m’interroger sur le mien. Au fil des jours qui ont suivis cette rencontre, le blocage pourtant omniprésent est peu à peu devenu obsolète. La peur du vide s’est dissipée, et l’écriture a commencée.

Le cheminement parait toujours surprenant, une fois la première ligne d’arrivée franchie. La course fut parsemée de doutes, de questionnements mais surtout de rencontres grâce auxquelles mon premier EP a pu voir la lumière du jour. Je pense tout particulièrement à Apollo Noir, sans qui cette belle envolée ne serait peut-être pas arrivée.

La confiance manquait, la peur de s’exposer sans apparat était prédominante.

De quoi ton premier ep, Allen, est il la première fois ? 

« Allen » est toutes mes premières fois. J’y vois une traversée vers l’inconnue, où chaque avancée est essentielle. C’est un bain de minuit en pleine lumière. Il est tout à la fois, mais il est surtout un point de départ, et c’est ce qu’il y a de plus exaltant dans sa finalité.

Il t’a fait du bien cet ep ? J’ai l’impression qu’il y a des choses que tu dis et que tu te dis à toi aussi pour la première fois, je pense à Impair notamment.

Il est salvateur, pour ce qu’il évoque et ce qu’il représente maintenant à mes yeux. Il a été moteur d’un pas en avant, vers un horizon lumineux. Il a permis aux maux de devenir mots, enchantés par la musique qui les a traversée. Comme tu dis, il y a cet échange intérieur qui est omniprésent, dans « Garçon » comme sur « Impair ». L’idée de figer cette discussion salutaire autour d’un titre, d’un poème, a été d’une grande aide.  

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photo : Christophe Ideal

Tu fais de la musique pour qui ?  

Elle est pour moi au travers de sa création, avec tous les bien-faits que ce cheminement m’apporte. Lorsqu’elle est libérée, elle appartient à celles et ceux qui veulent l’écouter et la faire vivre par leurs interprétations. Elle représente des sentiments universels, si l’on se laisse bercer. Elle évoque des différences et des différents, elle me parle à ma manière et si elle parvient à émouvoir d’autres individus, le partage est réussi.

« Allen, c’est un bain de minuit en pleine lumière. »

Depuis combien de temps tu écris ? Il y a quelque chose du poème, de la sensation du poème dans tes chansons. Il y a même une chanson qui est adaptée d’un poème de Ginsberg si je ne m’abuse. 

J’écris depuis mon adolescence, mais beaucoup plus ardemment suite à mon arrivée sur Londres. Mon écriture s’est libérée au travers de l’anglais dans un premier temps, le français restait pour moi une langue dans laquelle je n’excellais pas, où la confiance manquait. Londres a été symbole de renaissance, où à contrario la France à l’époque était source de mal-être, d’échec. Mon parcours y avait été chaotique et éprouvant jusqu’à mes dix huit ans.

Mon écriture est imprégnée d’influences poétiques comme celle évidente d’Allen Ginsberg, et la reprise de « Song » en français présente dans l’EP sous le titre « Allen », un de ses premiers poèmes. J’affectionne aussi E.E. Cummings, qui a une plume bien particulière, Jean Cocteau et ses multiples talents. J’aborde l’écriture d’une chanson comme celle d’un poème, la structure y est souvent très éloignée ce qui est parfois déroutant. J’imagine que ces influences me nourrissent quand il en vient à poser le crayon sur un page blanche, ou le doigt sur le clavier.

Comment tu as travaillé la partie musicale, on sait qu’il y a la patte d’Apollo Noir notamment, ce minimalisme électronique sur le suave de ta voix, c’était un besoin de cohérence ? 

Tout les mérites reviennent à Apollo Noir, il a su comprendre un univers dont je ne maitrisais pas encore complètement la forme à l’heure de la composition de cet EP. Il a transcendé par son interprétation ce qui était nécessaire pour que la musique puisse exister au travers de ce projet, c’est grâce à son génie que ma voix et mes mots peuvent s’exprimer aujourd’hui dans ce si bel écrin. Je suis toujours subjugué par l’aisance qu’il a eu à me comprendre, et m’amener dès les premières heures en studio là où je rêvais de m’aventurer. D’ailleurs, son deuxième album « CHAOS ID » est une petite pépite, « Mike » et « Idol » sont mes coups de coeur, c’est une chaude recommandation. 

« Sur cet ep, il y a un échange intérieur qui est omniprésent. » »

Il y a une démarche très esthétique dans ton projet, c’était évident pour toi qui vient de la mode d’allier la musique et l’esthétique ?  

L’image est toujours projetée lorsque j’écris, ou que la musique s’installe sur un texte. L’esthétique est complémentaire, et passionnante à travailler, au même titre que le langage corporel. Associer l’image aux mots, le mouvement au propos, est essentiel dans mon travail. « Spells of Deconstruction » a été mon premier essai, avant même que la musique ne soit là, l’idée d’une poésie en mouvement, en image, était omniprésente et a motivée la réalisation de « Nuit » et « High ». 

Christophe Ideal a réalisé les deux clips de cet EP, pour « Caïds » et « Allen ». L’élaboration de ces deux tableaux a permis de donner une dimension encore plus grande aux deux singles, d’accentuer justement le propos et de créer un univers visuel dans lequel les mots se baladent et laissent le spectateur s’interroger quant à leurs sens.

Qu’est ce que tu trouves transgressif ? 

Notre société fait preuve de transgression, elle transgresse l’individu et ce qui lui est essentiel au profit d’une jouissance monétaire. Enrôlé consciemment, ou inconsciemment dans un schéma qui nous asservi. L’art et la culture ont pour visée commune de transgresser cette même transgression, afin de nous éclairer sur les valeurs humaines d’expression, de création, de partage et d’enseignement. Aujourd’hui, plus que jamais, l’important est de respecter nos singularités.  

Pour finir, qu’est ce que ça t’évoque, la Première Pluie ? 

Les premiers émois d’une première fois qui glisse sur nous pour ne devenir qu’un souvenir lointain.


Arthur Guillaumot / Photos : Christophe Ideal

Allen, le premier de Léo Lalanne est paru le 17 avril 2020