Le 14 avril 1930, à 10h15, à Moscou, Vladimir Maïakovski se tire une balle dans le coeur. Harassé de la vie qu’il vient de vivre, il a 37 ans. Le poète et dramaturge soviétique laisse derrière lui une oeuvre mal comprise de son vivant et des histoires tourmentées, dans l’ébullition du début de siècle. 

Deux jours avant sa mort, Maïakovski écrit une lettre, elle sera sa dernière, son épitaphe.

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La lettre de suicide de Vladimir Maïakovski

« Comme on dit : « L’incident est clos. »

Le canot de l’amour
S’est brisé contre la vie courante.
Je suis quitte avec la vie.
Inutile de passer en revue
Les douleurs,
Les malheurs,
Et les torts réciproques.
Soyez heureux. »

Dans la Russie des révolutions, Maïakovski est un prophète et un damné à la fois, reconnu et rejeté par ceux qu’il croyait célébrer et qui n’ont pas manqués de lui rendre la vie plus dure ou plus douce au fil des saisons. Il adhère au Parti Social démocrate à 15 ans, et c’est en prison, à 19 ans, qu’il commencera tout naturellement la poésie.

À ses 21 ans, il étudie la peinture la sculpture et l’architecture, se préparant à embrasser de nombreux champs culturels tout au long de sa vie. Il sera dramaturge, acteur, théoricien, peintre, éditeur, scénariste, même réalisateur et un tout petit peu ambassadeur. C’est au poète que nous nous intéressons, mais ce prisme poétique embrasse toute sa carrière et sa vie. Son oeuvre principale se déploie entre les années 1915 et sa mort en 1930. 

Dès le début de sa carrière artistique, il devient l’un des meneurs du mouvement futuriste. Un mouvement culturel venu d’Italie et commun à l’Europe, qui rejette l’esthétique en place et s’enthousiasme du progrès et des modernités, des machines et de la vitesse. 

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Lili Brick et Vladimir Maïakovski, en 1915

Ses débuts sont marqués par sa relation avec Lili Brick, actrice et réalisatrice, soeur d’Elsa Triolet. Cette relation l’accompagnera toute sa vie, Lili Brick est sa muse, et même si elle est mariée, un ménage à 3 s’instaure jusqu’en 1924.

Dans sa lettre de suicide, il écrit « Lili, aime-moi ».

 

Les poèmes les plus reconnus de Maïakovski sont ceux du début de sa carrière, notamment « Nuage en pantalon » ou « La flûte en colonne vertébrale » dont voici le prologue.

« En un toast / à vous toutes / qui m’avez plu et me plaise, / icônes bien gardées au creux de l’âme, / comme une coupe je soulève mon crâne plein à ras bord de poésie.

De plus en plus je me demande / s’il ne serait pas mieux / que je me mette d’une balle un point final. / Aujourd’hui / à tout hasard / je donne un concert d’adieu.

Mémoire ! / Rassemble dans ma salle cérébrale / les files infinies des femmes chères. /Verse le rire d’oeil en oeil. / Pare la nuit en noces ancestrales. 

Verse la joie de chair en chair. / Je vais jouer de la flûte aujourd’hui / sur ma propre colonne vertébrale. » 

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Vladimir Maïakovski en 1920

Son oeuvre est sans cesse heurtée par sa vie et voit s’entrechoquer ses paradoxes. L’amour y revient constamment, avec la figure tutélaire de Lili Brick. La vie politique du pays le marque également profondément. Dès 1917, sa plume se trempe dans le temps et son oeuvre poétique et satirique prend le partie d’un réel poétisé. 

Il était un adepte de la roulette russe, il est mort d’une balle dans le coeur. Il était né en Géorgie, et sa ville prit son nom. Tour à tour rejeté et réhabilité. Staline lui offrira des funérailles nationales et le qualifiera de « poète de la révolution ». Trotsky critiquera la version de son suicide sans lien avec ses activités politiques. Vladimir Maïakovski a partagé son coeur, ses mots, ses paradoxes entre les femmes, les pays, et les causes tourmenté de méandres. Harassé de vivre, il laisse une oeuvre dense et qui mérite d’être mieux connue. 

On n’efface pas l’amour, / ni les injures, / ni les verstes. Il est réfléchi, / rectifié, / vérifié. / Levant devant tous ces lignes aux doigts de vers, / je le jure — / j’aime / pour de bon et à jamais. 


Arthur Guillaumot /

Couverture : Collage w/ Vasily Kandinsky Composition 8 (Komposition 8), 1923 Huile sur toile 140 x 201 cm Solomon R. Guggenheim Museum, New York x Lettre de