Suzane fait une musique ample qui remplit les coeurs, et anime les corps, dans les frissons et les grands vibrations. Des sonorités pour tous les moments et des mots pour toutes les émotions. Révélation scène pour ses performances, elle mouille le maillot, parce que pour elle, c’est le plus bel endroit du monde. Elle confie que Toï Toï, son premier album, rassemble des moments précis de sa vie. Et bien plus. Discussion.

Toï Toï, le premier album de Suzane est sorti en janvier dernier. Vous pouvez l’écouter ici.

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Tu pensais au fait de fixer des premières fois, sur Toï Toï ?

Justement, quand c’est le premier, on ne pense pas trop. Cet album, il est sorti. Il fallait qu’il sorte par tous les moyens. Il s’est fabriqué dans ma tête. J’entendais des mots, des mélodies. Je m’arrêtais sur des situations dans mon quotidien, pour les transformer en chansons. Au final, c’était assez naïf et spontané. Ce n’était pas réfléchi. Je me suis lancée avec mes armes. En essayant d’allier l’écriture, la musique, et tout ce que je suis, dans cet album. 

Est-ce que le fait qu’il arrive “tard”, et je mets vraiment des guillemets, ça a renforcé cette sensation de besoin, d’urgence ? 

Oui, je crois. Il y a un moment où je me suis sentie prête. J’ai toujours su que je voulais écrire des chansons. Il y a quelques années, mon rêve c’était d’écrire tout un album. Mais entre mes 20 et mes 25 ans, je n’étais pas encore prête pour le faire. Je me jugeais beaucoup, j’écrivais deux phrases et je jetais tout à la poubelle. Il fallait que je vive des expériences dans ma vie personnelle. Et à un moment, le karma a tout aligné. Vers mes 25 ans, je suis arrivée à Paris. J’ai été serveuse. J’ai eu besoin d’écrire. Je me jugeais beaucoup moins. J’étais dans une période où j’avais besoin que ça sorte. J’ai écris cet album parce que c’était urgent de le faire. 

Cet album, c’est des moments de ma vie. 

Ça t’a fait du bien à titre personnel de travailler sur cette période de ta vie ?

Il m’a fait du bien, évidemment. Partager ce qu’on a dans le ventre, dans la tête, dans le cœur, avec les gens, en chansons, c’est très fort. Et puis de le toucher, que ce soit un objet, de savoir qu’il est dans le salon de mes parents, dans certaines oreilles, c’est dingue. J’ai parfois du mal à conscientiser que maintenant, tout ce qui sort de ma tête peut être écouté. Je trouve ça fou. J’espère que ça va durer longtemps et que je vais faire beaucoup d’albums. 

Mais c’est vrai que quand on prépare un album, qu’on vit cette espèce de grossesse, ce n’est pas tous les jours tout rose. C’est un long exercice d’introspection. C’est un travail de tous les jours et qui prend toute la tête. Il prend tout l’espace. 

Est-ce qu’il a fallu que t’autorises, toi aussi, à le faire cet album, dans ton cheminement ? 

Non pas forcément. J’ai laissé les chansons venir au gré de ma vie. L’inspiration c’est un peu comme le bonheur, ce n’est pas constant. Je ne me force jamais. Je ne me dis jamais que je vais écrire une chanson de 9h à 18h. Sinon je travaillerai dans un bureau. Mais ça peut venir n’importe quand. La nuit, dans un train, dans une conversation avec quelqu’un. Et là par contre, il faut que je sache être attentive et intuitive pour garder l’énergie du moment. Que je le note quelque part. Cet album, c’est des moments de ma vie. 

Alors c’est quoi la technique pour fixer un moment de vie, tu fais des mémos vocaux, tu écris à la main, tu fais des photos ? 

C’est vrai que ça se passe souvent sur mon téléphone. C’est le côté pratique de cet objet qu’on a tout le temps sous la main. Moi ça me vient souvent dans la nuit. J’ai une chanson dans la tête depuis plusieurs jours, j’ai le film, je vois ce que je veux dire. Mais les phrases ne viennent pas toujours tout de suite. Et là, au milieu de la nuit, mon cerveau aligne tout ce que je voulais, parfaitement. Alors il faut avoir la force, de se lever, de la noter. Vite, vite, vite. Parfois c’est trop dur et le lendemain, la phrase est perdue. C’est une sensation horrible. 

Parfois j’ai des mélodies aussi qui me viennent dans la tête, donc je prends mon dictaphone. Parfois je me dis que c’est chelou, parfois ça me reste dans le crâne. Et dans ce cas, je vais un peu plus loin avec cette chanson. C’est un peu comme une rencontre. 

Est-ce qu’il y a des chansons, des thèmes, que tu as essayé d’investir, mais où tu n’as pas pu aller au bout de ce que tu voulais ? 

Oui c’est déjà arrivé. Sur les sujets qui tiennent vraiment à cœur, les chansons personnelles. J’ai tenté une fois de faire une chanson, et à un moment, j’ai compris que je n’étais pas encore prête. C’était encore trop frais pour que je puisse écrire cette chanson et la chanter sur scène. Je n’avais pas digéré cette émotion, donc je n’arrivais pas à la raconter. Donc je le ferai plus tard. Elle est dans un coin de mon crâne, elle reviendra que je serai prête. 

Elles ressemblent à quoi les chansons que tu ne gardes pas, pour d’autres raisons ? 

Sincèrement, il y a peu de chansons que je ne garde pas. Sur l’album Toï toï, je n’ai pas fait 60 chansons pour en garder 14. En général, quand je commence une chanson, c’est que je suis sûre de vouloir l’écrire, de vouloir aller jusqu’au bout. C’est rare qu’elles n’aboutissent pas. 

Comment on fait pour écrire sur les gens, pour investir leur histoire ? 

Déjà, il faut avoir de l’empathie pour les gens. 

Je pense aussi à une chanson, Novembre. De quoi elle est faite cette chanson ? 

Novembre, c’est un peu la thérapie pour le coup. J’étais à Paris, le soir des attentats, le 13 novembre 2015. J’étais dans le XXème, dans mon appartement. Je me rappelle très précisément de ce soir-là. J’étais allée chercher un petit truc à manger à l’épicerie en bas de chez comme peut le faire n’importe quel parisien, le soir vers 22h. Et je commence à recevoir plein de messages. Je me dis que ce n’est pas possible. Je remonte chez moi et on commence à entendre la panique. Je crois que je n’ai pas pu dormir pendant 3 jours, tellement j’ai été choquée par ce qui se passait. Par la déshumanité. J’étais sans voix, et le seul moyen de reprendre la parole, c’était d’écrire. 3 jours après les attentats, j’ai commencé à écrire Novembre. Au début, je ne voulais pas du tout que ça soit une chanson. Je voulais juste qu’elle soit là, dans un coin de mon carnet. Pour le coup, celle-ci n’est pas passée par mon téléphone. Je crois que ce n’est pas anodin. Je voulais qu’elle reste. C’est la personne qui vit avec moi qui m’a convaincue plus tard de la mettre en chanson. Elle m’a dit que c’était un bon remède pour rassembler, un bel hommage. 

C’est arrivé d’autres fois que tu commences en faisant la chanson pour toi. Et que par la force des choses tu décides de la partager ? 

Je pense un peu pour toutes. Certaines plus que d’autres évidemment. SLT, P’tit gars, ou Anouchka, c’est un peu des cris du cœur, il faut que ça sorte. C’est des chansons urgentes. Des chansons importantes pour moi. Il y en a certaines que j’écris aussi parce que je me sens un peu impuissante. Je me dis que des gens qui sont dans la même situation se sentiront un peu moins seuls en entendant ces chansons-là. 

Est-ce que justement, depuis la sortie de Toï toï, et avec toutes les dates que tu fais, tu as senti, pas forcément que tu étais dépossédée, pas que tu étais investie, mais que les chansons te dépassaient parfois ? 

Bien sur. C’est arrivé plein de fois. Je pense que vivre ses rêves, ça peut être dangereux aussi. C’est beau de les vivre, mais il y a aussi plein de choses qui sont nocives, quand on court après. Il y a des fois où je me demande qui je suis quand on m’a trop posé la question quoi. Quand ça arrive 20 fois par jour, “Qui es-tu Suzanne ?” “D’où tu viens ?”. Parfois je me perds un peu tu vois ? Je me vois sur des images… C’est moi, mais c’est pas moi. C’est compliqué à gérer parfois, avec le regard des gens en plus. Alors que moi je suis moi-même au fond. C’est le regard des autres qui est différent. Même le regard de ma famille et des gens qui m’entourent. Quand je rentre dans ma ville natale, les gens me regardent autrement aussi. Et voilà, parfois, c’est dur de s’adapter à tout ça. 

Je ne vais pas m’enfermer dans les codes qui ont marché sur ce premier album. J’ai envie de faire toujours ce qui me plaît.

Tu as senti parfois que tu devais rentrer dans un personnage Suzane, qui correspondait à une énergie particulière ? 

Je crois qu’il n’y a jamais eu de personnage Suzane. Pour écrire, c’est toujours venu de l’intérieur. J’évolue petit à petit, j’enlève quelques couches, j’écris en Je. Ce qui m’intéresse, c’est de me balader dans différentes émotions, de raconter l’histoire de quelqu’un qui m’a touché, de raconter mon histoire aussi si quelqu’un peut s’y retrouver. Ça sera toujours une manière différente de raconter tout ça. J’évolue. On verra où ça va me mener. Je ne vais pas m’enfermer dans les codes qui ont marché sur ce premier album. J’ai envie de faire toujours ce qui me plaît. En faisant la musique qui me plaît, c’est comme ça que je me sens bien. 

Et c’est plus excitant de tenter des nouvelles choses. Faire toujours la même chose c’est lassant. 

Ah oui non c’est chiant. 

Je trouve que ça a du sens de t’entendre aujourd’hui, parce que la scène nous manque, et que tu es révalation scène des dernières Victoires de la musique. Quel espace c’est pour toi ? 

Je pense que sincèrement, c’est le meilleur endroit du monde, la scène. On peut me vendre 10 000 voyages exotiques, je ne me sentirai jamais aussi bien que sur scène. Les moments comme ça sont rares dans l’existence, des moments où on s’arrête de penser. Avec la scène, on peut les compter sur les doigts d’une main. Lire, faire l’amour…. Il y en a peu. Monter sur scène, ça fait partie de ces moments où on déconnecte au point d’être dans une autre dimension. Comme une espèce de transe où on est un petit peu en dehors de nous. C’est un moment fou de te retrouver devant plein de gens, plein de regards qui te font exister. 

La scène, c’est le meilleur endroit du monde

Qu’est ce que ça t’évoque la Première Pluie ? 

La première pluie, ça m’évoque le moment où on arrête la sécheresse. Ou la rosée du matin. Un moment plus calme. La première pluie qu’on reçoit sur le visage, j’imagine qu’elle nous réveille un petit peu.

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Arthur Guillaumot / Photos : Liswaya