Walter Laguerre entame un voyage solitaire, avec Un groupe français, et ses mystères. Son premier ep, Secret d’oreiller, sortira le 15 mai prochain. Son auteur trempe ses notes dans sa palette picturale et le peintre répond au musicien. Dialogue d’artiste, intime et doux. Sensation groovy qui se balade dans des influences anglo-saxonnes, Secret d’oreiller est le recueil poétique d’une pop moderne et onirique. Les sonorités du printemps. 

On est dans le hall d’un hôtel. Il y a un bouquet de fleurs séchées sur la table. Dehors il pleut. On manque de qualificatif pour dire comme il pleut. Tout est un peu bleuté. Walter parle et dit des secrets. Ça commence comme ça :

Ça ne changerait rien pour moi si on devait être confinés. J’ai quand même prévu le coup, j’ai acheté 4 toiles. Si jamais je ne peux pas sortir, je suis occupé pour un mois / un mois et demi. Pareil pour la musique. 

Dans cette interview, nous parlons beaucoup de la peinture de Walter, vous pouvez retrouver ses créations sur son compte insta dédié : @walter.laguerre

Si là un truc s’abat sur nous, tu fais une toile ou une chanson ? 

Euh, une toile chanson ! Un truc concept. Faire interagir la toile et la musique. Je créerai un truc connecté par un fil entre la toile et une touche du clavier. 

À l’heure actuelle, je dessine des corps dans des corps et des têtes dans des têtes. Donc je ferai sans doute des têtes effrayées. Comme le cri. 

Mais si je le fais c’est que c’est mauvais signe. 

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Photo : Giulia Charbit

Chez toi, la main qui peint et celle qui compose, c’est la même, tu vois des liens, des dialogues, dans ton travail ? 

Je pense qu’il n’y en a pas. En tout cas pas entre la musique que je fais et ce que je peins. J’ai un ami qui m’a dit un jour “Tu as une manière picturale de faire de la musique”. Je connais cet ami depuis longtemps, on fait de la musique et c’est mon coloc, donc il me connait bien. Il m’a dit ça il y a 4-5 ans, sans vouloir m’expliquer pourquoi. Il disait que j’allais comprendre tout seul, plus tard. Un peu mystérieux. 

Tu envisages un grand projet où des toiles répondraient aux chansons ? 

Oui. J’aimerai bien faire un événement par exemple. Expo-concert. C’est peut-être le but de la release. Je pense que ça serait beau, dans un rapport intimiste. Je pourrai m’arrêter au milieu d’une chanson pour décrire une toile. Pour le moment je n’ai que 3 toiles, mais avec le confinement, ça peut aller vite. 

Un ep, c’est un format court, on garde un petit nombre de chansons, alors qu’il y en avait beaucoup plus j’imagine, c’est compliqué de sélectionner des titres ?  

Ça été très long. Il y a eu un long processus de remise en question sur ce projet. Avant c’était un groupe avec plusieurs personnes, maintenant c’est plus un projet solo. Mais on ne se l’était pas dit. Les titres que tu as sur l’ep sont prêts depuis plus d’un an et demi. Après il y a eu un temps pour décider comment était incarné le projet. 

Et après il faut du temps pour apprendre à porter un projet solo…

Oui. Et ça c’est ma première fois. Le processus a été long, pour ces chansons, mais maintenant tout est plus clair. Et puis, on peut faire une musique en une heure. J’aime bien ces vidéos de challenge sur youtube où tu dois faire une musique en 10 minutes. J’aime bien cette spontanéité. 

« Je ne regrette rien et je sais où je vais. »

Toi, sur cet ep, qui est enregistré depuis longtemps, donc, il y a des choses que tu voudrais changer ? Un jaune que ton oeil de peintre voudrait éclaircir ? 

Non. Je suis trop content. De tout. Je n’ai aucun regret. Comme je te disais, ça a été très long. De savoir où on allait, comment, et avec qui. 

Il y avait des réunions où on se voyait et où ne parlait plus de musique. Uniquement de comment on allait faire vivre le projet. Je pensais que c’était inutile et en fait c’était primordial pour maintenant. Donc je ne regrette rien et je sais où je vais. C’est cool. 

Je me demandais ; qu’est ce que la chanson peut dire que la peinture ne peut pas dire ? Et sans doute inversement. 

Elle est compliquée cette question… Ce qui est cool dans la musique, c’est que tu peux avoir différentes émotions. Mais tu peux vraiment l’exprimer et l’interpréter. C’est pas figé. Tandis que sur un dessin, tu peux montrer une posture, un visage, il sera figé. Et c’est ton libre imaginaire qui te fait penser au moment avant et au moment après. 

Alors que dans la musique, l’ambiance peut changer sur une même composition, sur le pont ou sur le deuxième couplet. 

Je pense que c’est plus facile de s’exprimer en musique qu’en peinture. Mais en peinture le champs est large. Tu peux faire des trucs super réalistes ou abstraits…

Oui parce que dans la même mesure, on peut imaginer que la peinture peut dire des choses que là encore, la musique ne peut pas dire. 

Oui… C’est une très bonne question. C’est vraiment intéressant. 

Ça fait 20 ans que je dessine. Un peu moins que je fais de la musique. Et je n’ai jamais voulu, jamais pensé concilié les deux. Il y a toujours eu du spontané et de l’instinctif. Je suis un autodidacte. J’ai voulu faire une école d’art mais je ne l’ai pas fait. Mon père m’a forcé à faire des cours de jazz, j’ai arrêté au bout d’un cours. J’ai jamais voulu prendre des cours de musique. Alors ça implique beaucoup de lacunes, mais j’ai toujours ce rapport spontané. Je ne me pose pas trop de question. Et je n’ai jamais concilié les deux. Et maintenant je pense que le moment est intéressant pour concilier les deux. C’est pour ça… Tes questions… Elles sont un peu relous… (rires)

« Ça fait 20 ans que je dessine. Un peu moins que je fais de la musique. Et je n’ai jamais voulu, jamais pensé concilier les deux. »

Oui, j’ai l’impression depuis le début de l’entretien, que c’est deux disciplines et deux hygiènes distinctes, mais qui demandent, là, à se parler. 

Oui. Je reviens sur la question que tu posais tout à l’heure. Sur l’organisation de mes journées. C’est une question de mood, et de pulsion. Alors parfois, je fais de la peinture plutôt que de la musique pour ne pas déranger mes colocs, mais la plupart du temps, je me demande juste ce que j’ai envie de faire. 

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Photo : Eliott Sebbag

Je me demandais, mais tu as déjà en partie répondu à cette question, de quoi ce premier ep, Secret d’oreiller est-il la première fois ? 

Beaucoup de premières fois, et à tous les niveaux. Premier Ep. Premier où j’ai presque tout composé et produit. Chose que je n’avais jamais faite avant. 

C’était important d’avoir la main partout ? 

En fait, ça s’est fait naturellement, dans la transition de groupe à projet solo. J’ai toujours aimé ça. Par ma formation, je m’y connais en technique, et c’était cool de tester des choses. 

C’est aussi ma première interview. Là tout de suite. 

Emerveillement de plein de choses, première fois pour tout. Que ça plaise ou pas, moi je suis heureux là. 

J’imagine que dans tous les cas c’est heureux de le voir aboutir, après ce long cheminement.

Oui. Après moi ça me manque un petit peu, la vie de groupe. C’est pas la même ambiance de travailler tout seul. Même si moi je suis quelqu’un de très solitaire. Je peux être enfermé un mois je suis content. Mais quand même, une autre personne à côté pour dire si le travail va dans la bonne direction c’est chouette. 

C’est quoi les nouveaux horizons maintenant ? Tu prépares le live ? 

Oui, carrément. Parce que le processus ça a été de m’enfermer dans ma chambre et de composer. Les musiques n’ont pas été faites pour le live. Je voulais pas me limiter, avec la question du live. C’était lié à la question du groupe, avec le batteur qui était parti au Brésil. Je ne pouvais pas composer en pensant au live. Donc là il y a un souci de réorganisation. Ça va se faire naturellement. 

Les versions acoustiques sont magnifiques, la tentation ça serait d’aller vers ça ? 

Je crois que c’est Brian, mon manager, qui me disait qu’il fallait faire une version acoustique… Et au même moment, j’ai rencontré une pote de mon coloc, qui vient de Providence aux Etats-Unis, qui jouait du violon. J’ai pensé naturellement à ajouter du violon au piano-voix. On a fait une repet’ et c’était calé. 

Donc je pense qu’il y a plusieurs déclinaisons de live. Il y aura du live pur et dur où je pense que j’aimerai aussi être fidèle à l’ep. Parce que c’est ça que moi j’ai envie de défendre, au niveau des paroles et de l’univers. 

Ça correspond à quel moment de ta vie, cet ep, Secret d’oreiller ? 

Je peux pas dire toutes les phrases type genre “C’est l’ep de la maturité”. En plus c’est pas le cas. Les paroles sont celles de l’ancien batteur, qui faisait partie du projet. À l’époque on faisait les première parties de The Shoes dans de grosses salles. Lui il écrivait et voulait monter un label. Il est tombé malade et ça a tout stoppé. Les tracks proviennent des poèmes qu’il a écrit à l’hôpital. Moi j’ai adapté les poèmes pour la musique. Je mettais une ambiance et un feeling sur ses mots. On s’appelait beaucoup. On bougeait des mots, je modulais les refrains. 

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Photo : Eliott Sebbag

Donc ce n’est sans doute pas ma vie qui passe par les textes. Même si ça va changer avec les prochains morceaux, parce que j’ai cette envie. Peut-être que je n’étais pas prêt pour écrire. Comme je me suis beaucoup impliqué dans la réalisation et la composition, je gardais des premières fois pour la suite. 

« Je gardais des premières fois pour la suite. Déjà dans les prochains morceaux, je me rends compte que je suis dans la mise à nue totale dès qu’il s’agit d’écrire. »

Déjà dans les prochains morceaux, je me rends compte que je suis dans la mise à nue totale dès qu’il s’agit d’écrire. Je parle de ma mère, qui a des problèmes de santé par exemple. Les choses se font en douceur. Je sais où je vais pour le deuxième ep, c’est plaisant.

Qu’est ce que tu trouves beau ? Je m’adresse aussi au peintre, là. 

Dans la musique ? 

Partout, justement.

Dans la musique, la sincérité de l’interprétation et du texte. 

Récemment je suis allé à un concert au FGO Barbara. C’était une nana, guitare-voix, et l’autre un live très rodé, séquence, truc de ouf. J’ai vu juste la meuf guitare-voix, avec toute la fragilité, et j’ai pris une claque, alors que je me retrouvais pas dans le concert plus rodé. Je n’ai que 28 ans, mais il y a 8 ans je n’aurai pas raisonné comme ça. Aujourd’hui, ce qui m’importe, c’est le texte, l’interprétation. 

Pour le peinture, je suis plus dans une recherche du fond que de la forme. La claque récente pour moi dans la peinture c’est Bacon. Je ne connaissais pas et je suis allé à l’exposition En toutes lettres, à Beaubourg. C’est trop fort. J’étais bouleversé. J’ai acheté les livres et tout. J’avais besoin de comprendre. Ses corps en mouvements, qui fondent. Il se passe plein de trucs. Une symétrie, avec des muses. Encore une fois j’étais frappé par la sincérité du propos. 

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Photo : Eliott Sebbag

C’est important, en temps qu’artiste, de prendre régulièrement des claques, d’aller à des concerts, d’écouter les disques qui sortent ? Ou alors il y a des périodes où tu es plus renfermé et tu as besoin de te concentrer sur ton projet ? 

C’est une trop bonne question. Je m’attendais à une question sur mes influences musicales. Si tu m’avais posé cette question, je n’aurai pas su quoi répondre, parce que j’écoute de tout. Et il y a des grosses périodes je n’écoute rien, et de grosses périodes où j’écoute tout. Et en boucle. En ce moment, c’est Sault. J’ai adoré ce projet, parce que ça faisait longtemps que je n’écoutais rien, que je n’étais pas au courant de ce qui sortait. J’essaye de ne pas être influencé et d’écouter des choses très différentes pour me nourrir. 

Qu’est-ce que tu trouves transgressif ? 

Ne pas laisser les gens être comme ils sont. Les pousser à la liberté. Je dis ça par rapport à la peinture, la musique. Et même par rapport à la vie de coloc. T’as envie d’être comme ça un jour, sois-le. Pars, fais ce que tu veux. Liberté de faire. Je pense qu’il y a toujours des gens pour te détourner. Il y a des empêcheurs, qui sont des transgressifs tristes. 

Alors, c’est maintenant le moment fatidique. Qu’est ce que ça t’évoque, la Première Pluie ?

Ah ! Alors ça je l’ai préparé. Je sors mon téléphone. 

Ça me fait plaisir. Je crois que tu es le premier qui prépare cette question. 

Mais j’ai lu des interviews de Première Pluie figure-toi ! 

Je me disais que ça pourrait être le titre d’un film coréen. Un film de Bong Joon-ho.

Ou sinon. Après une étreinte amoureuse, charnelle, la première pluie qui tombe sur ton toit, tout doucement. Tic Tic Tic.


Interview par Arthur Guillaumot / Photo de couverture, argentique, Eliott Sebbag.

Merci à l’hôtel Rendez-vous Batignolles pour l’accueil et merci à Scopitone. Walter a un insta pour exposer ses peintures : @walter.laguerre 

Secret d’oreiller, le premier ep d’Un groupe français, paraitra le 15 mai prochain. 

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