La première rave party du monde, comme la décrit Jean Teulé, une danse de la désespérance, comme il la qualifie aussi. C’est une histoire méconnue, complètement folle. Une épidémie de danse, à Strasbourg, en 1518. Oui, une épidémie de danse. Des centaines de personnes qui se mettent à danser, jusqu’à la mort, pendant deux mois. Vous avez envie de lire la suite hein ? 

C’est une histoire vraie et largement documentée par les archives, les médecins, et les chroniqueurs de l’époque. Elle est même remontée jusqu’aux oreilles de William Shakespeare qui ne s’y est pas trompé, il l’appelait « The dancing Plague » : La peste dansante.

Shakespeare l’appelait « La peste dansante »

La peste dansante de Strasbourg n’est pas un cas unique. En tout, on recense une vingtaine d’évènements de ce type dans l’Histoire. L’une à Erfurt en 1237, en 1374 aux Pays-bas, à Aix-La-Chapelle en 1417. La dernière est signalée à Madagascar en 1863.

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Gravure de Hendrik Hondius I, montrant 3 femmes infectées par la peste dansante,

À Strasbourg, elle commence le vendredi 12 juillet 1518 (oui, il devait faire chaud, en plus). Frau Troffea sort de chez elle, rue du jeu des enfants, dans la ville alsacienne. Elle porte dans ses bras son nourrisson. La jeune femme, comme tous les habitants de la ville est désespérée, ravagée par la famine et n’a plus de lait pour son enfant. Arrivée au Pont du Corbeau, elle jette son nourrisson à l’eau. Frau Toffea a préféré le jeter à l’eau plutôt que de le manger, comme certains de ces concitoyens. 

Arrivée devant chez elle, elle se met à danser. Une transe de la malchance et de la vie invivable. Rapidement, d’autres strasbourgeois, qui connaissent le même désespoir qu’elle rejoignent la danse. En une dizaine de jours, ils sont 50, au bout d’un mois ils sont 400, à danser de façon erratique, jusqu’à la mort. Au plus fort de l’épidémie, ils sont des dizaines à mourir d’épuisement, de faim, de crises cardiaques. Parce que quand les danseurs rentrent dans la danse, ils ne peuvent plus s’arrêter.

La ville, les médecins et le clergé sont gênés par cette situation. Pourtant, personne ne comprend la cause de cette danse collective. Ce n’est pas une crise d’épilepsie collective : les danseurs ne bavent pas. Ce n’est pas non plus une crise d’ergotisme (moisissure du seigle, qui produit les mêmes effets que le LSD).

Quelques années plus tard, en 1526, le médecin Paraclese nommera cette épisode la « chorea lasciva » et estime qu’il s’agit d’une révolte de femmes contre la tyrannie conjugale. 

« On n’a plus rien, alors on danse. »

En fait, l’évènement est vraisemblablement une danse du désespoir. Une femme qui est entrée dans le cercle a crié « On n’a plus rien, alors on danse. » À l’époque, le clergé terrorise la population lui faisant acheter très cher le rachat de ses péchés, pour éviter l’enfer et l’enterrement dans la partie non bénie de la ville. C’est le scandale des indulgences (le protestantisme gagnera la région quelques années après la peste dansante). Les habitants ont faim, une invasion turque menace aussi la ville, qui vient d’être victime de plusieurs catastrophes naturelles.

La solution mise en place par la ville n’est pas moins intrigante : attendre que les danseurs suent suffisamment pour qu’ils viennent eux-mêmes à bout de cette fièvre. La ville de Strasbourg fait alors monter une estrade et engage des musiciennes pour que les danseurs dansent. Ils sont nourrit pour qu’ils cessent de mourir de faim et le quartier est mis en quarantaine pour la propagation cesse. 2000 des 16 000 strasbourgeois de l’époque dansèrent. Et l’épidémie ne cessa qu’au bout de deux mois.

Une danse de désespérance, la plus grande des transes, la première rave party, c’est comme vous voulez. Cette histoire a longtemps été cachée par l’Eglise, elle est très peu connue. En 2018, Jean Teulé en a fait un roman génial, qui décrit cette épisode fascinant, avec la poésie singulière et brutale qui fait sa signature. Dansez, c’est ce qu’on peut répondre de mieux au désespoir. 


Bonus : 

Des épidémies de transe collectives sont arrivées d’autres fois sous d’autres formes que la danse. En 1632, à Loudon, dans la communauté de nonnes des Ursulines Jeanne des Anges est prise de convulsion et d’hallucination érotiques. Son mal se propage vite dans tout le couvent et ne s’arrête qu’en 1638 avec la guérison de Jeanne des Anges. 

À Pont Saint Esprit, dans le Gard, en 1951, un empoisonnement collectif à l’ergot de seigle frappe une centaine de personnes. Elles marchent dans les rues la nuit, se prennent pour des oiseaux ou se jette dans le Rhône, ne dormant plus dans des semaines entières. 5 morts et 30 internés. 

Enfin, en 1962, une crise de rire s’est répandue en Tanganyika. Elle démarre dans un pensionnat de filles, avec 3 filles. Puis se propage dans l’école et 95 des 159 élèves sont touchées. L’école est obligée de fermer. La crise de rire a touché des centaines de jeunes gens dans le pays. Les symptômes pouvant durer entre quelques heure et 16 jours. Un phénomène vraisemblablement provoqué par le stress.


Arthur Guillaumot / Tableau de couverture : Pèlerinage des épileptiques de Moelenbeek, Bruegel le Jeune, 1592