Duc de Pigalle, il arpente les boulevards, le pas nonchalant qui contraste avec le vif de son regard, dans le quartier de la poésie, long trench bleu très nuit. Sur le territoire, les feuilles désertent les arbres. C’est octobre, qui ne sait jamais s’il doit s’allier avec l’été ou avec l’hiver. Chaton vient de faire paraître un troisième album en 2 ans. Princesse Pigalle, qui prolonge l’oeuvre de poésies intimes de leur auteur, se distingue par sa maturité et sa hauteur de vue. Chat sauvage, rêveur doux, ascendant griffes dehors quand il faut, il écrit juste et chante sa pudeur le cœur à l’air. Chaton a répondu à nos questions.


Arthur : Elle est où la poésie, Chaton ? 

Chaton : Elle est partout. En fait dans cette chanson, (Poésie, ndlr) je parlais pas que de poésie au sens littéraire du terme. Le mec qui fait du pain avec le même amour que moi je fais ma musique, c’est aussi un poète. C’est valable pour tout le monde, ceux qui font des fringues ou ceux qui lavent les vitres à La Défense. Les mecs suspendus dans le vide avec des baudriers dans le vide, je me dis que c’est des poètes. La poésie est partout. L’idée, c’est que quoi que tu fasses, quoi que tu saches, il faut le faire au mieux pour apporter au groupe.

Moi dans mon extrême solitude quotidienne, depuis toujours, ma façon d’apporter quelque chose au groupe, c’est de m’exprimer en musique tu vois. Je suis pas hyper confiant en l’espèce humaine. Dans ceux qui arrivent à en sortir de nos natures égocentrées quelque chose de beau et de généreux pour l’ensemble, je trouve ça fort. C’est assez rare au final. Je connais plus de gens qui essayent de niquer les autres que des gens qui essayent d’aider les autres. Et aider les autres ça commence par s’aider soi-même je pense. 

La poésie c’est la générosité. Mais parfois on ne se rend pas compte de ce qui est vraiment généreux. Plein de gens veulent juste faire carrière et pout autant passent pour des gens généreux. Je parle pas spécialement dans la musique, c’est juste pour tous les domaines. Le nombre de gens dont le groupe pense que ce sont des gens qui les aident alors qu’au contraire ils les niquent tu vois. Les gens qui veulent dominer, qu’est ce qu’il se passe quand ils sont seuls ? Est-ce qu’ils se disent, au lit le soir, « Je suis le meilleur » ? Est-ce qu’ils pensent qu’ils sont des belles personnes ? 

Je vais te raconter un truc. Ce matin je vais poser ma fille à la crèche. Et là il y a une gamine qui attrape sa tétine et qui la jette, genre méchante. Je prends ma fille et je demande à vois la directrice. C’était déjà arrivé, ma fille était griffée. 

Moi ça met face à un dilemme. Est-ce qu’il faut lui apprendre à ne pas être la victime, et que ça soit elle qui griffe. Qu’est ce qui est bien, qu’est ce qui est mal ? Je pense que beaucoup de gens se posent des questions, veulent le bien. Mais tu dois aussi avoir des gens qui apprennent à leurs enfants à gagner, à dominer. 

C’est une question qui m’intéresse vraiment : « Qu’est ce qui anime ces gens, qui justement, ne font pas de la poésie ? »

Moi je ne comprends que les gens qui essayent de faire du bien, même quand ils font du mal. On est esclaves de notre nature. On n’est pas des anges. On a tous des fêlures, des bagages lourds à porter, on n’est pas tous des gens justes. Mais on peut essayer de tendre vers quelque chose de plus juste. Moi c’est un vrai travail quotidien sur moi pour essayer de tendre vers quelque chose de plus juste. Les gens qui ne vont pas vers ça, c’est quoi leur moteur, qu’est-ce qu’ils se disent ? 

Arthur : Peut-être qu’ils ont l’impression d’être justes, d’avoir fait ce qui leur semblait juste. 

Chaton : Ouais mais tu peux pas. Ou alors ils ferment complètement les yeux. Déjà tu peux pas ouvrir les yeux en grand, parce que tu peux pas supporter la misère du monde, clairement. Si tu fermes un peu les yeux et que tu considères que ton entourage proche ou géographique, social, tu t’arranges avec la réalité. Je pourrai faire des heures de réponse là-dessus.

La poésie, pour moi, c’est essayer de tendre au plus juste, vers ce qu’on peut fournir de mieux. 

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photo : Pauline Gauer

Arthur : J’aimerais savoir, à quoi ressemble le rythme de ta vie ? Est-ce qu’il a quelque chose à voir avec le rythme de ta musique ? Parce que ta musique elle est très intime, très introspective. Alors, est-ce que le rythme de tes journées ressemble au rythme de ta musique ? Assez doux et qui en même temps qui trébuche sur des réalités ? 

Chaton : Bah en fait à la fois il ressemble aux deux parties. Il y a un truc très doux dans l’enrobage et en même temps ce que je raconte c’est assez violent en général. 

C’est un peu un mix des deux mais parce que moi je suis un peu changeant aussi. Comme je pense toutes les personnes très sensibles, ou les personnes atteintes psychiquement. 

Je pourrais pas définir une journée mais plutôt une semaine. Une journée c’est très trouble parce que j’ai mes horaires qui changent. Quand je suis sur la route c’est différent aussi de quand je suis pas sur la route. Le truc essentiel pour moi c’est de pouvoir m’occuper de ma famille et de pouvoir travailler, c’est les deux seules choses qui comptent vraiment. Donc m’occuper de ma famille j’essaye de faire ça plutôt peace j’essaye que ce soit des bons moments. Travailler ça peut être douloureux parce que quand tu dis des choses un peu violentes c’est que t’as besoin de les exulter, c’est que tu les ressens et du coup c’est un peu le moment ou tu catalyses tout ça. Vraiment c’est beaucoup plus simple après pour moi, quand j’ai publié les albums je suis comme vidé de quelque chose. 

Quand j’écris c’est assez dur. En fait comme j’essaye de vraiment être honnête, ça veut dire aussi que je me donne pas nécessairement le bon rôle, que je me donne juste le rôle qui est le vrai quoi, bah ça peut être assez douloureux. Même si c’est contrebalancé par ce truc passionnel et passionné de bricoler, de musique, de production, d’écriture etc quoi. 

Après le reste de ma journée ou de mes semaines très sincèrement…  J’ai quasi pas d’entourage à part mes équipes. J’ai pas de famille proche ici, juste un beau frère donc j’ai pas vraiment de vie familiale. 

Donc le reste du temps c’est beaucoup d’aller voir des trucs. je vais voir énormément de choses, j’ai la chance aussi d’être invité à beaucoup de choses. En musique en spectacle en exposition en théâtre. Voir beaucoup de choses, me nourrir. Ecouter énormément de musique, lire. 

Mais c’est assez solitaire, j’ai la famille et de l’autre côté je travaille seul. Je crois que c’est que la même vie que chacun sauf que la mienne est moins réglée. Donc les moments de bonheur et les moments de douleurs sont moins réglés. Je pense que par exemple quand t’as un travail “normal” bah le lundi ça te fait chier, t’es pas content parce que tu vas au travail. Le soir tu rentres c’est un peu doux parce que t’arrives chez toi, que c’est la fin de ta journée etc. Tu sais à peu près quand tu vas être heureux, malheureux, moi je le sais pas quoi. 

Je pense que qu’il y a des gens qui ont le même terreau psychologique que moi, un peu détruit ou biscornu et qui peuvent pas l’exprimer et je pense que eux leurs vies c’est un enfer, tout simplement.

Arthur : Ça peut te tomber dessus à n’importe quel moment…

Chaton : Mais je pense que c’est aussi ma faiblesse psychologique qui fait ma force d’écriture. C’est un truc que j’ai appris à accepter aussi. Ça peut me faire mal la vie quoi. Sur une même journée ça peut me faire beaucoup de bien comme beaucoup de mal. J’ai la chance de pouvoir l’exprimer, c’est déjà ça. Je pense que qu’il y a des gens qui ont le même terreau psychologique que moi, un peu détruit ou biscornu et qui peuvent pas l’exprimer et je pense que eux leurs vies c’est un enfer, tout simplement.

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Photo : Pauline Gauer

Arthur : Est-ce que la solitude de l’indépendance elle était nécessaire ? Est-ce que t’aurais vraiment pas pu travailler dans une grosse compagnie ? T’as des mots très durs sur l’industrie musicale.

Chaton : Déjà je suis pas seul dans mon combat. 

Je pense que l’indépendance c’est la liberté. Et que la liberté ça a un coup, un prix. Et ce dans tous les domaines, dans toutes les vies, dans tous les registres. Et en même temps c’est tellement précieux. 

C’est pas tant qu’on va t’interdire ou t’empêcher de dire des choses quand t’es avec des gens qui donnent de l’argent, qui investissent sur toi. C’est plutôt qu’on va te conseiller de pas le dire. 

Et en fait on le fait avec une sorte de bienveillance et c’est la pire chose. Moi je l’ai vécu toute ma vie et pas que pour moi mais aussi sur les gens avec qui j’ai travaillé etc. 

Il y a un espèce de ton bienveillant. Tu sais quoi pour enculer les gens on leur parle bien doucement et avec le sourire quoi. Je connais très bien l’industrie de la musique et je pense que chaque industrie est pareille. Le problème c’est que l’industrie de la musique elle oublie qu’elle deale avec des humains, des âmes. Des gens qui en plus sont des gens sensibles. Et que du coup elle sait pas faire. 

Je pense que l’industrialisation des choses est cruelle en général mais elle est assez logique, tu vois. T’ai étudié l’économie quand j’étais petit et ça me paraissait assez logique. Sauf que tu peux pas l’appliquer à tout. Et c’est un peu le problème de l’industrie de la musique, c’est qu’on applique une formule à chaque artiste alors que chaque artiste est différent. 

C’est juste ce que je connais, si j’avais bosser à la banque toute ma vie, j’te dirais la même chose de la banque. L’indépendance, je trouve ça merveilleux, c’est une chance. Moi ça fait 10 ans que je me prépare à ça. Le contenu on l’a monté y’a 5, 6 ans, à l’époque où j’étais encore dans la variété. Je suis éditeur, producteur de spectacle et ça ça demande des commissions…des choses qui mettent du temps à construire. 

J’ai aussi intégré cette industrie, et j’ai fais vraiment tous les postes, toutes les échelles, pour essayer de la comprendre pour pouvoir aider les jeunes artistes, leur faire gagner du temps quand moi je serai usé ou que j’aurais plus envie de le faire. C’est pas un truc que j’ai fais sur un coup de tête, c’est une vision de long terme et y’a de vraies volontés de faire les choses différemment. Et on a eu la chance d’avoir des artistes qui nous ont inspiré dans ce sens là et qui ont développé des choses. Des gens qui ont été indépendants jusqu’au sommet.

Moi j’ai 36 ans, et les potes disent que c’était mieux avant, que les gamins étaient mieux éduqués avant. Mais c’est faux, y’a juste des choses qui ont changé. Oui on a tué le désir, mais y’a d’autres choses.

Arthur : Comme PNL par exemple ?

Chaton : Je pensais plutôt à JuL parce que PNL, oui je suis d’accord, mais PNL avait de l’argent à la base. Je pense que JuL y’a un truc en plus, je sais plus exactement d’où c’est parti mais c’est monté petit à petit et je trouve ça incroyable. 

Après y’en a d’autres aussi, maintenant même des sociétés permettent à des artistes d’être indépendants. On est de plus en plus hors du service, et je trouve ça plutôt sain. 

Il faut comprendre que y’a 20 ans et avant, ça marchait vraiment, ça gagnait beaucoup d’argent, on vendait des singles, des CD singles. Ils ont bien n*qué les gens pendant des années, les mecs qui avaient des postes, genre Direction Artistique, avaient des avantages comme tu n’as pas idée. Et eux, cette même génération, s’est pris en pleine face le streaming, le téléchargement. Ils ont pas voulu y croire et du coup ils nous ont fait perdre 10 ans. Parce qu’on se rend compte maintenant que le streaming c’est juste un magasin éternel, c’est magnifique, c’est merveilleux.

Mais les mecs ont pas voulu y croire, ils ont voulu combattre le téléchargement, le piratage.. au lieu de travailler avec les plateformes de streaming. Au lieu d’avoir un peu de vision, ils ont voulu retenir le temps, mais on retient pas le temps. C’est comme si moi j’te disais : “j’veux absolument pas être en streaming, moi j’fais des albums”. Mais en fait le temps arrive et passe, et tout est merveilleux avec le temps.

Je le dis d’ailleurs dans la première chanson de Princesse, j’essaie de voir des vieux amis mais ils sont devenus amers. Et vraiment, moi j’ai 36 ans, et les potes disent que c’était mieux avant, que les gamins étaient mieux éduqués avant. Mais c’est faux, y’a juste des choses qui ont changé. Oui on a tué le désir, mais y’a d’autres choses. On a tué le désir romantique, même dans les relations amoureuses.

Moi, quand j’étais petit, j’enregistrais des cassettes avec des reprises de Stairway to Heaven à des meufs, tu vois c’que j’veux dire. Et j’arrivais à les pécho comme ça parce que j’avais pas à leur envoyer un DM et me tromper, leur envoyer 10 DM et m’emballer. J’étais obligé de faire une vraie cassette, avec un petit mot. Maintenant tu vas un DM, deux DM, on te réponds pas… en  3 trois jours t’as tué une relation, c’est terminé. C’est juste ça. Mais c’est pas du tout moins bien, c’est juste différent.

J’pense que les gamins aujourd’hui, ils ont accès à toute la beauté du monde en un clic, toute l’information du monde. On peut pas toujours voir du mauvais côté, et c’est tellement con. C’était moins bien que ce que nos parents disaient que c’était mieux avant que ce que leurs parents disaient… Et même dans la musique. 

Quand j’entends dire : “NTM c’était du vrai rap, PNL c’est de la merde”. Mais comment vous pouvez être aussi cons ? Les mecs je les vois à 100 mètres. La dernière fois on était dans une salle le régisseur savait même pas ce que je faisais, il me dit : “toi tu fais du rap ? non mais le rap moi je peux plus, l’autotune c’est de la merde, ça a tué le rap, avant ça rappait, des vrais sujets”. Mais en fait ton gamin qui écoute PNL aujourd’hui il dira à son fils pareil 

Arthur : Alors qu’on a le luxe de pouvoir écouter NTM, et ce qui se fait aujourd’hui.

Chaton : Mais je pense que ça fait très peur le temps qui passe, et je pense que ce qui fait le plus peur, c’est quand tu commences à être dépassé. Par exemple, moi j’ai pas Snap, et quand je verrai ma gamine sur ces trucs, peut être plus Snap mais autre chose, je vais comprendre le décalage. Et quand tu comprends le décalage, tu comprends ton âge, tu comprends le fossé et que t’es plus proche de la fin que du début. 

La plupart des gens vivent leur meilleur vie jusqu’à 25 ans et après c’est mort. Ils ont une vie de merde, une vie de résignation. C’est dur de combattre le flux qu’on t’impose. Dur d’assumer une sexualité marginale, par exemple. Donc plein de gens abandonnent. C’est vachement facile d’être un héros à 20 ans mais c’est bien plus dur de l’être à 40. Donc finalement ils se résignent donc leur meilleure vie c’est dans le passé, donc ils ont pas envie que quelqu’un ait cette vie là maintenant parce qu’eux l’auront plus jamais.

C’est horrible quoi, se dire qu’à 35 piges, le meilleur est passé.

Arthur : Tu dois vivre avec un quota de souvenir…

Chaton : Il te reste quoi, il te reste juste de kiffer certains trucs. Moi c’est tout ce que j’essaie d’éviter, autant mon quotidien il peut être complexe, autant je regrette jamais mes choix une seconde quoi. Tu vois il y avait  des moment on avait plus rien, on a fait ces choix là. Quand tu choisis l’indépendance tu choisis des moments où t’as moins d’oseille. Jamais de ma vie j’ai regretté ces choix, parce que justement, à chaque fois que je suis dans un genre d’hôtel un peu confort et que parfois t’as des meilleures conditions de vie que chez toi, t’es dans ta baignoire immense, et parfois je me projette et je me dis, “Okay, si c’était comme ça chez moi, j’aurais plus rien à désirer en fait”. Moi, j’aime pas les gamins qui sont dans le gros argent, ça donne une génération de dépressifs d’ailleurs. Et du coup quand tu deviens père tu comprends qu’il faut mettre les curseurs à la fois, entre donner une belle vie à tes enfants mais ne pas trop leur pré-mâcher le truc parce que sinon tu vas leur couper toute envie quoi. C’est tout un programme

Arthur : Est-ce que ça participe aussi, tout ce qu’on vient de dire, au besoin de sortir des albums avec un intervalle régulier. Parce que là il y en a eu 3 en très peu de temps par exemple ? 

Chaton : Non, c’est plutôt que ça permet ça. L’indépendance ça permet ça. J’ai toujours eu des cycles de productions plus courts que ceux de l’industrie, déjà quand je travaillais pour des gens. C’est aussi pour ça que je le fais, pour pouvoir faire ¾ albums par an. Parce que ils en faisaient qu’un chacun, mais moi je bossais non-stop comme je le fais maintenant, sans pause, et c’était plutôt l’avantage. Quand ce projet est né, par hasard, par amour plutôt, mais bon, bref. Je me suis retrouvé à faire que ça. Avoir la chance de faire que ça, vouloir ne faire plus que ça. Parce que j’avais la chance de me rendre compte à quel point c’était vraiment épanouissant de parler en mon nom. Pour moi, et de plus à réfléchir si X ou Y va aimer tel mot ou tel machin. Et je me suis dit, ok : “en fait quand j’ai des choses à dire je les dis”, je suis plutôt un travailleur. Et du coup ça donne que mes cycles ils sont pas moins courts, ça donne un album tous les 6/8 mois admettons. 

Et l’indépendance ça permet ça. Parce qu’en fait il n’y a que nous qui décidons aujourd’hui. La seule chose qui varie c’est : “Oui quand tu sors 3 albums en 18 mois, tu peux pas demander aux médias ou en tout cas à tous les médias d’en parler les trois fois” tu vois ? Donc ça change juste au niveau du fait que certains médias vont parler de l’un ou l’autre album etc. Les gens c’est pas pareil, le truc c’est qu’avec le stream maintenant quand il y a un disque t’as pas besoin de l’acheter, tu leur demande pas un effort.

Arthur : Ils sont content qu’il y ai un renouvellement du coup 

Chaton : Ça c’est plutôt bien, juste voilà sinon ça change pas grand chose et nous on peut le faire. Parce que maintenant le contenu est vraiment indépendant, on a juste des distributeurs ou autre qui font que c’est nous qui décidons tout. Voilà, si j’ai envie d’en ressortir un demain je peux, d’autant que là il a fallu mettre la tournée en place et tout. 

Arthur : Ça a été une nécessité, de reparler en ton nom après avoir collaboré avec autant d’artiste ? 

Chaton : Bah en fait, je sais pas comment c’est vraiment né. Moi j’ai jamais arrêté d’écrire en mon nom, et puis faut savoir que quand t’écris pour les autres, t’écris pour toi en fait. C’est pareil, sauf que tu leur donne l’impression que c’est eux qui ont eu l’idée quoi. C’est le même process, sauf qu’il est un tout petit peu atrophié par le fait que tu puisses pas tout dire. 

Je préfère écrire pour des meufs quand j’écris pour quelqu’un d’autre, je déteste un peu les mecs (rires).

Une femme c’est quand même vachement plus fin intellectuellement et que, du coup, il y a un peu plus de nuances. Surtout le truc c’est que quand tu bosses avec un mec bah tu peux pas leur trouver des nuances, la plupart c’est des gros bourrins les variéteux. Et tu te dis : “laisse tomber…” Bref peu importe. Tout ça pour dire que j’ai toujours plus ou moins continué à écrire, en tout cas l’opportunité s’est présentée et voilà.

En tout cas il y a un moment ou j’en ai eu marre, il y a un projet qui s’est pas bien passé, ça nous a mis un peu dedans, et que j’ai eu trois mois. C’était soit partir en vacances, soit travailler. Et en fait j’avais pas spécialement envie de partir en vacances, ni les moyens je pense. On venait de se faire niquer une certaine somme et je me suis mis à mon bureau et j’ai commencé. Surtout le besoin il était pas tellement d’écrire en mon nom, mais de retrouver les raisons pour lesquelles je faisais ça quand j’avais 15 ans.

Arthur : De retrouver du plaisir ?

Chaton : Ouai. La raison pour laquelle tu fais ce que tu fais. L’enjeu, c’est quand dans 10 ans tu fais ça professionnellement à un autre level. De garder les bases, parce que c’est le seul moyen d’aussi garder une ligne éditoriale et par là je veux dire, et pas forcément pour être un canard c’est une ligne éditoriale de vie. Qui soit en vrai raccord avec ce que tu voulais, et pas avec une manière de fils de pute, ou une pute en fait. 

Arthur : De pas se trahir du coup ? 

Chaton : Oui, donc de pas devenir une pute. On parlait de l’industrie du disque tout à l’heure, et je pense que personne n’est rentré dans cette industrie avec de mauvaises intentions. Parceque tous rentrent par la porte de la musique, parce qu’ils aiment la musique. Et au final, au bout de deux semaines ils comprennent que la musique a pas lieu d’être dans l’industrie de la musique. 

Et ceux qui continuent à écouter de la musique, c’est souvent les petites mains. Il y a des mecs qui sont passionnés de musique, mais qui sont pas aux postes clés. Les mecs qui sont au poste clés mais laisse tomber, c’est que des conneries.

Arthur : Dans ce disque, tu dis que tu verrais bien ton rôle joué par une femme… 

Chaton : Ah il y en a qui écoutent les paroles, ça fait plaisir (rires) 

Arthur : Parle nous de ta part de féminité 

Chaton : Ma part de féminité elle est que j’essaye le moins possible de genrer les choses. Alors maintenant c’est devenu un débat national et c’est devenu à la mode d’en parler, et moi c’est un truc qui me gène depuis toujours, profondément. 

C’est complètement aberrant pour moi de genrer depuis toujours en fait. Moi j’ai grandi en province et ben en province il y avait la question à la préadolescence de demander si t’étais pd ou pas, tu vois. À toi, aux autres, et que c’était potentiellement un problème. 

Genre potentiellement, des parents vont parler entre eux en disant : “Ah ouai est-ce ton gamin il va t’annoncer qu’il est pd ? », en faisant une semi blague. Bienvenue à la préhistoire quoi, à l’époque on était en 2000 admettons et je trouvais déjà ça préhistorique alors en 2019, n’en parlons pas. 

Mais voilà et c’est pareil sur les activités, moi quand j’étais gamin, je jouais à la poupée quoi. Et en même temps j’étais le plus bagarreur. Ça me paraissait pas être deux choses opposées. Alors qu’on essaye de nous le faire croire. Et on essaye de conditionner, les garçons, les filles, les riches, les pauvres, les juifs, les arabes, les gays. Alors qu’en fait, tu sais quoi, dans une vie, très sincèrement, tu peux tout être à la fois, vas tout être à la fois. 

Arthur : C’est une faille totale de construire une société sur des oppositions. Je trouve ça terrible.

Chaton : Oui oui, mais en fait je pense que ça sert les gens qui sont très lucides. Je pense que ça leur sert de mettre en opposition les gens très jeunes. Tu connais l’histoire. Tu sais qu’au fond les puissants restent des lignées. Je suppose que ces gens sont très éduqués. Je pense que quand tu es très éduqué, tu peux pas être homophobe par exemple. Tu peux pas être raciste. Quand tu as un minimum lu, quand tu as un minimum vu du pays.

En fait tout ça, je pense que c’est un peu fabriqué. Je pense que ça arrange bien tout le monde quand il y a une manif anti-mariage gay et anti-adoption homosexuelle, ou je sais pas quoi. Le connard de million de personnes qui est dans la rue une fois par an, je pense que ça arrange bien tout le monde puisque ça dévie le débat. Et que le vrai débat, pour les puissants il est pas là. Ils s’en tapent de ça. Leur vrai débat c’est l’argent.

https://www.youtube.com/watch?v=Kan1PVbe-OA

Arthur : On se demandait, de quoi ta musique, elle est la rencontre justement, la fusion ?

Chaton : Le texte c’est un peu plus simple, c’est un peu plus flagrant. J’ai la double culture en gros. Comme si j’avais le double cursus où j’ai lu et écouté les grands classiques, et à la fois toute la musique contemporaine. C’est ça qui donne mes textes, quoi. C’est ce qui fait que comme toute ma génération, j’entends par ça ceux qui ont vécu les années 80 à 2020, on a ce truc là de.. Même les mecs très lettrés vont parler en verlan, par exemple.

Après, musicalement c’est pareil. J’ai une formation classique et à la fois le premier concert que j’ai vu, c’était Black Uhuru, c’était un groupe de reggae digital des années 70. A l’époque, c’était Sly and Robbie, qui sont le plus grand basse batterie du reggae. Ceux qui ont joué sur l’album reggae de Gainsbourg, Aux armes et caetera. C’est d’ailleurs cet album qui m’a amené vers Gainsbourg. Il y a vraiment un mix d’un milliard de choses, et encore aujourd’hui en fait.

Il y a plein de choses que je sais pas faire. Pour lesquelles j’ai pas les capacités, mais dont je m’influencerais volontiers. Il y a plein d’artistes et de productions actuels que je trouve géniaux. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui font, de manière générale. En fait, pour moi, celui qui sort de sa niche musicale pour la rendre universelle, je vais forcément l’écouter et l’aimer. Après, j’ai pas la chance de pouvoir être spécialiste dans toutes les niches quoi. Je vois les nuances dans la pop, dans le reggae mais dans le jazz moins tu vois par exemple. J’écoute du jazz mais je peux pas en parler. Il faut du bagage quoi, pour apprécier tout ça. Comme en littérature.

C’est comme aujourd’hui, les gens lisent massivement des choses parce qu’ils ont pas la culture pour lire un truc un peu plus complexe en fait, tout simplement. Et là où je trouve étonnant, c’est que Houellebecq soit lu aussi massivement. Le mec fait 370 000 copies je crois. Je trouve ça étonnant. Je trouve ça beau. Je trouve ça génial. En fait, ça se lit facilement, mais c’est quand même pas simple. C’est pas Marc Levy quoi. C’est même pas Amélie Nothomb tu vois.

Arthur : Qu’est-ce que tu trouves de transgressif ? Il y a des moments en écoutant Princesse Pigalle, je me dis “ça c’est transgressif” tu vois ?

Chaton : Je crois que si j’avais pas l’amour, je parlerais à 100% des choses qui me dérangent dans la vie, et ce serait beaucoup plus transgressif. Il se trouve que j’ai de la chance d’avoir l’amour dans 80% du temps. Si j’avais pas l’amour, je pourrais pas faire une interview sans dire tellement d’horreur. Qu’est-ce qui est transgressif ? Dans la vie en général ou dans l’art ?

« Chercher le beau, c’est ce qui va être le plus transgressif. »

Arthur : Dans ce que tu veux. Tu sais, ça peut être des personnes aussi !

Chaton : Je pense que le problèmes c’est qu’il y a de moins en moins de gens qui sont transgressifs. Le dernier truc un peu transgressif que j’ai écouté, c’est l’album de Vald qui est sorti la semaine dernière. Et je me dis “ok, dans quelle mesure…”. Son album m’a fait penser au rock un peu indé des années 90, un peu revendicatif. Tu vois, le mec parle beaucoup du truc de puissance, de société et tout. Et en même temps, il y a tellement de postures. Je sais pas. Je pense qu’au final tout ce qui transgressif c’est quand on essaie de chercher le beau quoi. Parce que j’ai le sentiment que le reste, c’est très relatif en fait. C’est à dire que, si je commence à attaquer quelqu’un, sur ce qu’il est par exemple, comment lui il peut pas me rendre en retour “Non mais mec, tu vas m’attaquer sur ma morale, t’es à Paris, t’es en France, t’as un toit. Il y a combien de personne qui ont pas à manger sur Terre ? Donc en fait toi t’es une merde.”

Finalement, tout est tellement relatif que chercher le beau, c’est ce qui va être le plus transgressif.

Arthur : C’est intéressant, très bonne réponse. Et la dernière question, qu’est ce que ça t’évoque la première pluie ?

Chaton : C’est quoi, c’est la première pluie du monde ? La première pluie, c’est mon premier chagrin d’amour. Quand j’étais gamin, j’étais vraiment content. Et la première fois que je me suis fait péter le cœur en deux, ça a été vraiment ma première pluie à moi. Mon premier orage, ça c’est sûr. Je veux dire, j’étais un peu casse-cou. Je m’en foutais. Je pouvais me castagner, j’avais jamais mal, jamais peur de rien. Et d’ailleurs j’ai jamais eu peur de rien, si ce n’est de l’amour depuis.

Arthur : C’est une putain de belle réponse.

Pauline : C’est triste, un peu. Merci beaucoup Chaton !