Reviens pour l’hiver est le titre rimbaldien du premier album du reste de la vie de Barbara Pravi. Elle fait une peinture très chansonnante de la douceur des tristesses et des tristesses de l’amour, des couleurs des velours et des voleurs de couleurs. Un album pour se balader dans les rues d’une ville, ou pour partir habiter définitivement à la campagne. Il sent la mélancolie, les pluie de l’automne et les feuilles qui s’envolent, on dirait des tourbillons. Discussion avec Barbara Pravi. Chic, vive et déterminée. 

Tout a changé chez Barbara Pravi, à commencer par l’entourage, c’est juste ? 

Plus ça avance, et plus j’ai l’impression que je fais exactement ce que je veux, ce que j’aime, ce que je suis. Ma crainte c’était de dire des choses, et de ne pas les assumer en privé. Quand je véhicule un message, j’essaie que ça soit aligné avec ma vie. Pas de façade. C’est très difficile, dans ta vie perso, d’avoir l’entourage qui va avec les ambitions que tu as. Chaque personne qui m’entoure est saine. Ça me soulage d’un poids de vie immense. Quand tu ne sais pas que tu peux avoir des géniaux dans ta vie, tu subis ta situation. 

Qu’est ce qui t’a aidé à tout réinventer ? Il y a eu quelque chose de l’ordre du déclic ? 

Je n’ai pas eu le choix. À un moment donné, j’étais tellement mal entouré que j’étais obligée de m’en rendre compte. Il y a eu beaucoup de malhonnêteté et de méchanceté, dans mes relations professionnelles. Il y a des gens qui m’ont aidé à me rendre compte que c’était pas normal. Mais il y aussi un vieux système qui veut qu’on pense les managers peuvent mal nous parler parce qu’on est artistes. C’est une idée commune. Comme quand on dit qu’un artiste ne travaille pas. Ou que l’artiste est trop dans la Lune et qu’il faut un peu le secouer. Je m’étais persuadés de ça. 

« Aujourd’hui, si on me secoue, je me casse. »

Aujourd’hui, si on me secoue, je me casse. Je suis la meuf la plus secouée de la terre, j’ai juste besoin d’amour. Qu’on se renvoie des bonnes ondes autour de moi. 

J’ai suffoqué avec le temps, en acceptant des choses qui étaient le contraire de mes valeurs. Mais un jour j’ai mis tout le monde dehors, adieu à jamais. C’est quelque chose que les gens ne comprennent pas, parce qu’ils ont l’impression de te posséder. Alors quand tu leur échappe, ils pensent et te disent que tu ne vas jamais réussir sans eux. Les connards ne savent pas qu’ils sont des connards. Mais je suis sortie de tout ça, j’ai réussi. 

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Reviens pour l’hiver, est-ce que c’est une référence à Rimbaud ? 

Pas du tout ! Apprends-moi, qu’est ce que c’est ? 

L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose / Avec des coussins bleus / Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose / Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace, / Grimacer les ombres des soirs, / Ces monstruosités hargneuses, populace / De démons noirs et de loups noirs.

Et ça continue comme ça. Un poème qu’il a écrit dans un train, en 1870.

C’est magnifique. Je connaissais pas. Je suis hyper heureuse. Rêvé pour l’hiver, c’est encore plus beau que Reviens pour l’hiver. Mince alors. Je vais le lire directement en partant. 

Ahah ça annule la question mais je suis content de te l’apprendre. On est d’accord pour dire que ce deuxième album, il te ressemble comme jamais ?

Oh oui. Et encore, je suis déjà sur la suite donc j’ai envie de dire que la suite l’est encore plus. Mais c’est parce qu’on se découvre toujours plus. 

« J’avais tellement besoin de douceur et tellement besoin d’amour, que je crois que c’est exactement ce qu’il y a dans ce disque. »

Tu dis que c’est un carnet intime de voyage, c’était aussi une façon de témoigner de tout ce qui s’était passé, pour toi, ces derniers temps ?

Oui. J’avais tellement besoin de douceur et tellement besoin d’amour, que je crois que c’est exactement ce qu’il y a dans ce disque. Il est doux. Tu l’as trop bien dit, on l’écoute en marchant, sans se presser, on se laisse bercer. 

Ça met dans un bon mood, malgré que ça soit des chansons plutôt tristes d’ailleurs. 

Une espèce de mélancolie positive. J’avais tellement besoin de douceur que j’ai fait cet album. Maintenant que j’ai posé la douceur, j’ai aussi une part qui se pose plus de questions. Il y a plus de recul dans ce qui arrivera après. 

Et puis ça, ça participe aussi à l’artiste que tu es, avec les journées de la femme. 

Oui, précisément. Mais je ne faisais pas ça pour moi, maintenant ça trouve sa place dans mes chansons. Un peu plus rugueux, aussi, un peu plus sauvage. 

« Ce sur quoi je travaille pour la suite est plus rugueux, un peu plus sauvage »

J’imagine que ça, il fallait aussi du temps pour l’installer, quand on est investie d’un message ou d’une cause, il faut la chérir, en prendre soin, trouver les mots justes. Il y a une forme de responsabilité. 

Oui, il faut être juste. La responsabilité, elle est d’abord vis-à-vis de moi. C’est ce que je te disais plus tôt. Je ne veux pas me tromper. Dans 10 ans, je ne veux pas me dire qu’avec l’âge j’aurai écrit les choses complètement différemment. Ce que j’écris, ce que je fais, je le fais avec tellement de sincérité au moment où je le fais, que dans 10 ans, je me dirai que c’est précisément ce que je pensais. 

Notes pour trop tard, je ne sais pas si je le referai de la même façon. Je ne suis plus dans le même état d’esprit. En revanche, elle est tellement significative d’un instant, où je me séparais de tout le monde, cette chanson, elle m’a sauvée la vie.  

Et plein de gens s’en sont emparés. 

Oui. Mais ça tu ne peux pas du tout le prévoir. Je ne pensais pas que les gens l’écoutaient, ou alors qu’ils allaient se demander d’où je venais avec mes gros sabots. Il se trouve que ça n’a pas du tout été le cas. Mais quand bien même, j’étais tellement en phase avec ce que je racontais dedans il y a un an, avec tout ce que j’étais en train de vivre, que j’en suis trop fière de cette chanson. Toute ma vie j’en serai fière. 

Et c’est très dur de dire des mots à instant précis de ta vie, des mots que tu sois sûre de ne jamais regretter. En plus quand tu portes des responsabilités dans tes mots. 

De quoi Reviens pour l’hiver est il la première fois, qu’est ce que tu as tenté ? 

Oh. J’ai tout fait pour la première fois à vrai dire… Il y a des choses que j’ai écrites seule. Sur le premier aussi je crois, mais je demandais l’avis des autres. Là je n’ai demandé l’avis de personne. J’ai fait écouter à ma manageuse. Mais c’est mon avis qui l’emportait. J’ai composé aussi. J’ai co-réalisé aussi. Avec mon feeling et le talent de ceux qui m’accompagnent. Je deviens cheffe d’orchestre en s’entourant de musiciens géniaux. 

Ils ont ressemblé à quoi tes moments de doute entre ces deux projets ? 

Oh… 

Il y a des moments où tu as pensé que c’était terminé ? 

Oui. Déjà pour me séparer de mon équipe précédente, j’ai été obligée de me faire de l’auto-suggestion. De me dire que j’arrêtais la musique. Que la musique en mon nom c’était terminé et que j’allais juste écrire pour les autres. Je pense que je n’aurai jamais réussi à prendre la décision de me barrer si je ne m’étais pas mis ça en tête. 

Avant d’écrire Notes pour trop tard, j’avais pris la décision d’arrêter. Et puis il y a eu cette impulsion. À partir de là j’ai senti que j’avais trop de choses à dire, à faire, de gens avec qui travailler. Ça me porte. Et c’est la même chose cette année. 

Est-ce que c’était un besoin de revenir avec un projet qui se détournait de la pop, pour aller vers la chanson, avec une plus grande place pour ta voix ? 

Oui, complètement. C’est compliqué de se trouver, d’être complètement soi. C’est le combat d’une vie pour certaines personnes. À une époque je ne savais pas qui j’étais, et c’est toujours rassurant de se laisser habiller par d’autres. Et à ce moment-là, je travaillais avec un gars qui n’écoutait que de la pop. Moi je n’avais jamais écouté de pop. On a décidé que j’allais écrire les textes et que lui apporterait sa personnalité musicale. On pensait que c’était une formule magique. Mais je n’aurai jamais dû réfléchir comme ça. Parce que même si j’ai aimé certaines choses dans la pop, mon adn c’est la chanson française. Je m’étais glissé dans quelque chose que je n’aimais pas. Il s’est passé quelque chose, mais ce n’était pas moi. Aujourd’hui je serai trop malheureuse, tout serait faux. 

Qu’est-ce que tu trouves transgressif toi ? 

Oh, c’est dur. Qu’est ce que tu répondrais toi à cette question ? 

Les gens qui assument un truc qui leur ressemble vraiment. Qui font ce qu’ils sont précisément, c’est transgressif je trouve. 

J’ai pas d’idée précise, parce que j’ai l’impression que ce qui est un problème pour les uns  ne l’est pas pour les autres. Il y a des jeunes qui souffrent encore beaucoup de ne pas faire leur coming-out et d’autres qui sont plus heureux parce que maintenant il y a le mariage pour tous. Je pense à quelqu’un comme Yseult, qui parle de son corps, qui sauve la vie de beaucoup de jeunes femmes je pense. Et en même temps on vit dans un monde qui petit à petit lui permet de faire ça. 

J’ai l’impression qu’être une femme dans la musique, c’est transgressif. À la fois, encore, et à la fois, de moins en moins, et sur certains trucs encore beaucoup. 

Ça dépend beaucoup de la personne, de sa façon d’être, du milieu dans lequel elle évolue. Milieu familial, professionnel… C’est un truc assez intime. 

On va terminer cette interview par une question rituelle : Qu’est-ce que ça t’évoque, la Première Pluie ?

Ça m’évoque la fête. Ma dernière chanson du coup. J’ai une espèce de fascination pour la pluie. J’adore la pluie, je trouve ça très beau. Il y a un moment de la journée que j’adore, c’est quand il ne fait pas trop froid, que tu marches dans la rue et qu’il se met à bruiner un petit peu, des toutes petites gouttes. J’adore cette sensation. Ça m’évoque ça la première pluie.


Interview réalisée par Arthur Guillaumot