La légende le consacre comme le premier poète maudit, bien avant les poètes de la fin du XIXème siècle ou Marceline Desbordes-Valmore que nous évoquions la dernière fois. François Villon a marqué la poésie et l’imaginaire collectif, tant par son oeuvre que par sa biographie. Il parsème ses poèmes d’éléments intimes, évoquant ses braquages et ses déboires, dans une langue datée, mais avec un oeil moderne et punk.

Il y a dynamité la fin du Moyen-Âge. Il naît en 1431, ça on le sait, en revanche on présume qu’il meurt en 1463, date à laquelle il cesse d’écrire. Banni de Paris pour 10 ans, vient d’échapper à une condamnation à mort après un réglement de compte. Oui, François Villon est un ouf, un gangster, un vrai. Et tout aurait pu s’arrêter bien plus tôt pour lui…

Il est un étudiant ténébreux et indiscipliné au début de sa vingtaine, et à 24 ans, en 1455, il tue tout simplement un prêtre. Il fuit Paris et se cache pendant 7 mois avant d’être gracié. L’année qui suit, il cambriole le collège de Navarre, à Paris, pour des pièces d’or. Il fuit alors à Angers, prétextant vouloir échapper à une maîtresse, mais un complice le dénonce. Il est contraint pendant 6 ans à l’errance, loin de Paris, le temps que la justice oublie l’affaire. Au début de l’année 1458, il arrive alors à la cour du duc d’Orléans à Blois, il met moins d’un an pour se mettre le duc à dos. 

Francois_Villon_1489
Portrait présumé de François Villon dans la plus ancienne édition de ses œuvres

Il tente alors de reprendre contact avec d’anciens amis et mécènes, sans succès. On retrouve sa trace à l’été 1461 : il est en prison. Quelques mois plus tard, avec l’avènement du nouveau roi de France Louis XI, il  sort de prison. (C’est un coup de chance, comme avec une carte chance au Monopoly : Un nouveau roi monte sur le trône, sortez de prison.) Il rejoint alors Paris, estimant que la justice aura oublié ses méfaits. Mais pas du tout, il doit se cacher. 

C’est à cette époque fin 1461, qu’il écrit son oeuvre maitresse : Le Testament. Une vingtaines de poèmes autonomes. Une poésie qui témoigne de l’ironie constante de son auteur. Ne possédant rien, il fait des legs imaginaires et comiques à ses ennemis. Une poésie qui revient sur les années qui viennent de se dérouler et sur les différents évènements qui les émaillèrent. François Villon se dépeint seul, pauvre et déjà vieux. Il réfléchit sur la vie et sur la mort.

« Synon aux traitres chiens mastins
Qui m’ont fait ronger dures crostes, (croûtes)
[…] Je feisse pour eulx pez et roctes…
[…] C’on leur froisse les quinze costes
De groz mailletz, fors et massiz »

Extrait du Testament, François Villon

En 1462, il est incarcéré pour un vol, puis remis en liberté de justesse, avant d’être à nouveau impliqué dans une rixe. À cause de son passé de délinquant, il est condamné à la pendaison. Attendant de savoir s’il va vraiment être pendu, il compose deux de ses oeuvres les plus connus. D’abord, ce qu’on appelle le quatrain : 

« Je suis François, dont il me poise
Né de Paris emprès Pontoise
Et de la corde d’une toise
Saura mon col que mon cul poise »

Le Quatrain, en vieux français

« Je suis François, cela me pèse
Né à Paris près de Pontoise
Et de la corde d’une toise
Mon cou saura c’que mon cul pèse »

Et en français moderne

Dans sa geôle, il compose également son classique ultime, La ballade des pendus. Comme une bonne partie de son oeuvre, ce poème se place directement sous le soleil noir de la mort. Plus que jamais proche d’elle, il ironise à la fois et se sent définitivement mortel, en témoigne la dimension organique du texte. 

« La pluie nous a lessivés et lavés
Et le soleil desséchés et noircis;
Pies, corbeaux nous ont les yeux crevés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
De ci de là, comme le vent varie,
À son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que (des) dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre! »

Extrait de La ballade des pendus, en français moderne

François Villon ne mourra pas pendu, il est une nouvelle fois gracié, mais condamné à 10 ans d’exil. Il ne triomphera pas de cette nouvelle errance et ses mots ne transperceront plus les disgrâces. On perd sa trace l’année suivante, en 1463, définitivement. Et pour celui qui a inlassablement raconté ses galères tout au long de son existence, c’est signe de fin. Dès lors, sa légende se façonne. Brigand poète, on lui donne un verbe qui en dit long : villoner : « tromper, faire une mauvaise action ». 

Il est passé par les siècles, le temps lui donnent de plus en plus d’importance jusqu’au 19ème, et la reconnaissance ultime des poètes du siècle. Il devient une figure tutélaire pour les poètes voyous et les rimeurs de la mort. (Baudelaire, Nerval, Verlaine, Rimbaud, etc) et finira au 20ème, par marquer Georges Pompidou ou Bob Dylan. La classe. Plus que François Fillon, non ?


Arthur Guillaumot / Illustration de couverture : Vincent van Gogh, Crâne de squelette fumant une cigarette, 1885-1886.