< Tous les articles Interviews Musique Clou : « La simplicité, ce n’est pas forcément la facilité » / Interview Par Arthur Guillaumot 8 juillet 2020 Depuis notre discussion, il y a eu l’été tumulte et les soirs de fêtes, les chutes bitumes et les piqûres de guêpes, le goût de la lutte et le jus des pastèques. Justement, des grands soir et des soleils rouges, c’est ce qu’il y a sur Orages, le premier album de Clou. Depuis, la sortie de cet album, et encore avant, depuis notre discussion ? Que des belles choses. La dernière en date ? Clou est nommée au Victoires de la Musique, dans la catégorie révélation féminine. Orages est un album sensible, qui se pave de fleurs, sous la voix de Clou, qui danse en équilibre sur les merveilles, un album qui dit bien la beauté fulgurante et éphémère des moments. Discussion et passion. Ecoutez ici Orages, le premier album de Clou. Découvrez ici le clip de Jusqu’ici tout va bien, paru le 19 janvier 2021 : Ça n’a pas été trop compliqué de décaler la sortie de ce premier album, Orages, qui sortira le 18 septembre et de choisir de ne dévoiler que quelques titres ? C’est une illusion. On pense que tout est planifié et en fait rien ne se passe jamais comme prévu. C’est comme la vie. C’est une petite leçon pour apprendre à planifier un peu, mais ne pas trop anticiper. Finalement, ça a ramené de la spontanéité. Oui, complètement. Et puis c’était une période tellement étrange. Finalement, c’était aussi une bonne période pour sortir quelques chansons, faire une musique pour accompagner les gens chez eux. Est-ce que cette temporalité bouleversée, dont on parle, ça participe à ton rapport au temps ? L’ep qui vient de paraître et ton premier album, qui paraîtra donc le 18 septembre, ils sont le fruit d’un long cheminement. C’est à la fois volontaire et à la fois malgré-moi. C’est un peu les deux. Il y a une envie de bien faire les choses. Ce n’est pas une envie de perfection, mais une envie de faire des belles choses et de prendre le temps de les faire. Et puis il y a aussi une envie d’accélérer pour voir ce que ça va donner, comment les gens vont le prendre. Mais ça ne marche pas comme ça, il faut prendre le temps de se présenter et ne pas tout dévoiler. Donc prendre le temps, ça permet de susciter l’envie et la curiosité, et moi ça me permet d’être patiente avec mon travail et avec moi-même par la même occasion. « La musique, c’est parce que tu en fais un peu tous les jours que tu vas aller au delà ce que tu sais faire d’habitude. » Et ce temps, il te permet aussi d’en apprendre plus sur toi aussi j’imagine, justement, qu’est-ce que tu as appris sur toi, et sur ta musique ces dernières années ? Oh oui j’en apprends tout le temps sur moi. Déjà la patience, qui n’est pas du tout dans mon caractère et qu’il faut apprendre avec ce genre de métier. Et aussi que la musique est comme un muscle. Moins tu en fais, moins tu es bon. Je parle comme un entraîneur de foot, mais c’est ça. La musique, c’est parce que tu en fais un peu tous les jours que tu vas aller au delà ce que tu sais faire d’habitude. Et la régularité entraîne la cohérence, qui est nécessaire sur un album non ? Oui c’est vrai. Et puis petit à petit on s’approche de quelque chose qui nous ressemble de plus en plus. Et puis on apprend à se détacher de l’envie de plaire. Au début, avec mes premières chansons, je suis tombée dans ce piège. Evidemment, j’ai toujours envie de plaire, je ne suis pas un robot, mais ce n’est plus mon moteur. Et puis j’imagine qu’il y a deux façons d’avoir envie de plaire. Celle où on répond à des codes, on voit ce qui marche et on a envie de faire pareil, et il y a aussi une envie de plaire en proposant quelque chose de nouveau et d’intime, qui est plus saine. Oui, sans doute. Après, moi, j’ai toujours l’impression que si c’est trop moi, ça ne peut pas fonctionner. Pourquoi ? C’est un truc d’égo. On ne s’aime pas particulièrement. Moi j’ai mis des années avant de me trouver “pas trop mal”. Donc, dire “Je vais aller sur scène devant tout le monde et parler de moi”, c’est un peu étrange. Et finalement, en travaillant en studio, je me suis rendu compte que les chansons qui avaient le plus de couleurs et le plus d’intérêt, c’est celles qui parlaient le plus de ce que je connaissais. Parce que j’avais sans doute des mots plus justes, plus acérés, plus cashs aussi. D’ailleurs, j’écris de manière de plus en plus directe. Avec de plus en plus de “Je” et de “Tu”. Avec le temps, on se rend compte que la simplicité ultime c’est une forme aboutie de raffinement ? Alors, ça c’est très joliment dit. J’aurai bien aimé sortir cette phrase. Mais c’est ça, c’est se laisser envelopper par le temps, par les années, et accepter que ça soit un joli manteau, que l’on porte bien, quelle que soit la saison. « Je me suis rendu compte que la simplicité, ce n’est pas forcément la facilité. » Il y a une phrase de Jack Kerouac qui me vient en tête à ce propos : “Un jour je trouverai les mots justes, et ils seront simples.” C’est peut-être une signature des jeunes années de gonfler les textes et de trop les parfumer, et avec le temps, on se déshabille et on va vers cet intime-universel, qui est sincère et qui parle mieux. Je suis très d’accord. C’est très beau. C’est drôle j’en parlais récemment. Je me suis rendu compte que la simplicité, c’est pas forcément la facilité. Il faut apprendre à éliminer le superflu. C’est comme enlever un bijou alors que t’es sapée comme jamais. Que tu vas aller à ta soirée, et que tu penses que tu es parfaite. Tu enlèves le petit truc en trop. C’est Coco Chanel qui le dit bien mieux que moi. Elle dit qu’avant de sortir, si vous voulez être sur/e d’être bien et à l’aise, enlevez un accessoire. Ah c’est une bonne méthode. Moi je pense que j’en profiterai pour enlever mes chaussures. (Rires) Et pour marcher pieds nus dans Paris ? Mais oui, je crois qu’on en fait trop sur les chaussures alors que tout le monde a des chaussettes très chouettes. C’est vrai ! Mais ça tu sais c’est très anglais de montrer ses chaussettes, c’est pas très français. On est plutôt pantalon de couleur, en France. On est sans doute les leaders mondiaux dans ce domaine. C’est vrai ! D’ailleurs j’ai l’impression que c’est l’une des dernières choses qui réunit la droite et la gauche. On ne peut pas deviner la tendance politique de quelqu’un qui porte un pantalon de couleur. Alors que ça fonctionne avec tout le reste. D’ailleurs, il y a quelques jours, Edouard Philippe (il était encore Premier Ministre au moment de l’interview, ndlr) porte un pantalon jaune. Un chino jaune. Et là, on sait qu’on est en France. Je pense à la réunion où il a été décidé qu’il porterait ce pantalon. Avec plein de gens très qualifiés en communication pour trancher sur la couleur du pantalon. Oh oui. Mais en même temps tu vois ça influe beaucoup. On le voit en passant devant le kiosque, on en parle. Le pantalon d’Edouard Philippe est politique. Mais tout est politique. Comme dit Edouard Louis, et je suis assez d’accord avec ça. Je crois qu’on peut souvent être d’accord avec Edouard Louis. Oui. On l’aime. Ce qu’il dit est profondément bouleversant et profondément politique. Je sors de ses livres changée, je ne suis plus la même, j’ai appris quelque chose sur la société. Et je ne suis pas forcément d’accord avec tout ce qu’il dit, mais ça me fait toujours réfléchir. C’est rare un auteur comme ça. Lui, auteur d’aujourd’hui, il nous questionne. En plus il a couplé le romanesque et la sociologie, j’imagine qu’une partie de son lectorat s’est intéressé à la discipline après la lecture de ses livres. Oui. Et puis c’est une science sociale qu’on effleure au lycée, sans s’y plonger, mais qu’on aime simplifier dans les journaux. Et c’est vrai que c’est intéressant qu’il la mêle à la fiction et surtout à l’auto-fiction. Parce que c’est souvent son expérience. C’est très intime. Oui l’intime encore une fois qui devient une matière d’étude. C’est mon analyse, mais je crois qu’il fait de l’auto-documentaire. Avec de la sociologie, de l’histoire, de la politique et un peu de romanesque, parce qu’on sent l’envie d’être un personnage de roman. Mais ça aussi c’est très français ! Ah c’est très français. C’est pour ça qu’on est bien en France. Photo : Marta Bevacqua Tu aimerais être un personnage de roman, toi ? Evidemment, ça serait formidable. Mais je crois que le lecteur serait un peu déçu. C’est très cliché, mais quand j’étais ado, j’ai adoré Jane Eyre, de Charlotte Brontë. Très longtemps, je me suis identifiée à ce personnage. Et encore aujourd’hui. Je crois que c’est le roman que j’ai le plus relu. Il a changé ta vie ? Je ne sais pas s’il a changé ma vie. Je crois que tous les romans y participent d’une certaine manière. Disons qu’il ne m’a pas fait prendre de décisions radicales. C’est marrant je n’ai jamais réfléchi à ça. Ce qui la porte, elle, c’est sa passion, pour son travail, et pour cet homme, qui n’est pas de son milieu social. Et elle va casser tous les codes pour sa passion. En ça, très modestement, j’espère que je suis dans ses traces. La passion, est-ce qu’elle passe par la voix ? C’est drôle, parce que la voix ne peut pas mentir. Tu auras beau essayer de camoufler ton angoisse, ça va se sentir dans ta voix à un moment donné. Même si tu as toutes les techniques pour respirer lentement, ou pour voiler le tremblement. Les émotions sont toujours trahies. Mais une voix, ça se travaille. J’en suis persuadée, c’est tellement propre à soi, on peut la travailler et trouver son identité. Je pense à Bertrand Belin, qui a une voix tellement particulière. C’est une belle voix, mais pas au sens classique. C’est quelque chose qui s’apprivoise. Est-ce que ça a été difficile de faire une sélection de quelques titres, pour les donner à écouter avant l’album ? Non. Ce n’est pas compliqué. J’ai choisi les titres avec ma maison de disque. Eux avaient envie de mettre en avant ces titres-là. J’ai fait confiance. Et puis ta maison de disques, c’est Tôt ou tard, tu pouvais faire confiance… Oh oui, on est entre de bonnes mains. Ils me demandent toujours mon avis. On s’écoute. Et puis c’est mon premier album. Je vais pas commencer à faire comme si j’avais un avis objectif sur tout. C’est une maison de disques curieuse, on peut le dire, une maison de disques précieuse. Oui. Ils prennent des risques. Ils signent des artistes qui viennent d’horizons très différents et ils donnent une vraie place à la chanson française. « J’ai vraiment envie qu’on me comprenne. Je veux que ma musique soit accessible, pas de snobisme dans ma musique. C’est une intention. J’ai écrit comme je parle. » Qu’est ce que tu as tenté, qu’est-ce que tu as fait pour la première fois avec ces chansons ? J’ai tenté de ne pas m’enfermer dans de la chanson. Mais comme c’est ce qui me structure et ce que j’écoute tout le temps, ça reste de la chanson. J’ai essayé de m’affranchir des codes, quand même. Par exemple, j’aime quand la musique est aussi importante que les paroles. Alors, il y a certaines chansons où le texte est plus abstrait. Où le texte est plus au service de la musique que l’inverse. Parfois, c’est très pop, très dansant, pour contraster avec un texte plus lourd, introspectif ou chargé. Est-ce que tu fais confiance à tes premières inspirations, ou est-ce que tu reviens beaucoup sur ton travail ? Non, je retouche très peu. Je suis plus dans la productivité. C’est affreux. J’écris très vite la chanson définitive. Je ne change que quelques mots, en écoutant les conseils. Notamment ceux de Dan Levy en studio. Quand il me disait qu’on ne comprenait pas quelque chose, ça me posait un problème, parce que j’ai vraiment envie qu’on me comprenne. Je veux que ma musique soit accessible, pas de snobisme dans ma musique. C’est une intention. J’écris comme je parle. Et puis les mots compliqués, parfois, c’est une façon de se protéger, pour faire comme si le problème venait de ceux qui ne comprennent pas les mots. Tout à fait. Et je pense que le fait d’écrire très vite, sur un temps court, ça te force à égaler, à simplifier, à aller droit au but. Ça ne veut pas dire que tout est limpide. Tu vois sur ma chanson Comment, les paroles sont un petit peu abstraites. Il y a des moments où je raconte un rêve. Mais ce qui compte pour moi, c’est qu’on puisse au moins saisir l’image. Photo : Marta Bevacqua Qu’est-ce qui peut justifier qu’une chanson ne soit finalement pas sur l’un de tes projets ? Je pense que ce sont les chansons où je ne sais pas très bien ce que j’ai envie de dire. Tu as une belle mélodie, un thème. Mais tout n’est pas encore bien défini. Soit parce que tu n’as pas encore tout compris. Soit parce que finalement tu ne connais pas si bien que ça le sujet. Et puis parfois le sujet n’est pas si intéressant. Et bien-sûr, il y a des fois où je n’y arrive pas. Il y a des sujets comme ça. Je tourne autour longtemps, mais je n’arrive pas à terminer. Donc en fait si je comprends bien, les morceaux ne sont pas jetés, ils vont dans un dossier, en attendant… Tu rigoles, c’est pas un dossier, c’est un tableau excel. (Rires) J’en ai beaucoup oui. J’ai des cahiers partout. Depuis des années. De temps en temps je ressors des choses. Mais globalement si je ne garde pas, c’est que ce n’était pas gardable. Ou alors tu prends des notes, pour le moment où tu auras plus de recul sur la situation, et où il te sera plus facile d’écrire sur le sujet Oui, c’est très possible que ça soit aussi un peu ça. Ecrire sur les choses qu’on est en train de vivre, ça demande tellement de lucidité et de recul… Par exemple Comme au cinéma, c’est une situation que je vis tout le temps. C’était clair pour moi. C’est encore cette idée de la passion qui guide la vie. J’ai hâte d’entendre l’album. Mais tu as eu raison, les gens vont pouvoir patienter tout l’été avec cet ep, et ils auront l’eau à la bouche à la rentrée. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y aura encore des chansons françaises, non pas qui ressemblent à Comme au cinéma, mais dans le même esprit. Inscrites dans le piano. Et puis il y a aussi d’autres chansons, où j’avais envie de pouvoir danser dessus. Qu’est-ce que tu trouves transgressif, aujourd’hui, dans la vie, dans la société, dans l’art ? Oh. Tellement de choses. Déjà je pense que la société française est profondément transgressive. C’est la France des photocopies, et on passe notre temps à rouspéter et à faire le contraire de ce qu’on nous dit de faire. Ça je trouve ça rock et transgressif. C’est vrai qu’à l’échelle mondiale, la France est rock Bien-sûr. Après on regarde ça avec un prisme français, et parisien, parisien comme adjectif. On est très heureux d’avoir cette image. On est des romantiques gastronomes transgressifs. C’est l’image qu’on a, même si en vrai, c’est pas vraiment ça. Même les gilets jaunes, je trouve ça transgressif. Il y a plein de choses moins intéressantes, cette persévérance est transgressive. L’esprit français, rarement content, qui va manifester, je l’aime énormément. Je trouve aussi que globalement, toutes les personnes qui libèrent la parole sont transgressives. Et que c’est ça le plus important. Prendre la parole, et libérer la parole. J’ai l’impression qu’il y a des écrivains comme Edouard Louis, qui sont transgressifs, et qu’il reste aussi des personnes transgressives dans la musique. La culture reste un espace de transgression. Ultime question, je m’en remets tout entier à ta poésie, qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie, Clou ? La Première Pluie, c’est très joli. Ça me fait penser à une chanson de Paul Simon, qui s’appelle Kathy’s song. C’est une vieille chanson, qu’il a écrit à Londres. Il parle de la pluie. Il dit qu’il entend le crépitement de la pluie. C’est une chanson sur l’amour éloigné. Moi, c’est la chanson de rupture de mon premier amour. Je me collais à ma vitre, et dès qu’il pleuvait, je mettais cette chanson. Premier amour, première pluie, première chanson beaucoup trop écoutée. Mais je ne connais toujours pas les paroles par coeur. Normal, tu pleurais. C’est possible. Il y a eu des larmes. Mais tu sais, je me suis forcée à pleurer aussi. Il y a des chansons que tu mets, et tu sais que tu vas pleurer. Tu pousses un peu le truc. Ça fait du bien. C’est moins marrant, mais ça me fait aussi penser aux orages en Méditerranée au mois d’août. C’est mon anniversaire en août, et presque tous les 26 août de mes étés de petite fille, il pleuvait. C’était génial, presque un gag, avec mes copines on sortait les k-ways tous les 26 août. Anniversaire à l’intérieur. Ah non ! Dehors sous la pluie. Ah, eh bah ça c’est transgressif. Aller sous la pluie c’est transgressif. Aller sous la pluie avec le k-way magique. Je faisais croire aux autres que ça me permettait de voler. Interview : Arthur Guillaumot / Photos : Marta Bevacqua Orages, le premier album de Clou est sorti le 18 septembre. Sa musique paraît chez Tôt ou tard. 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