Vous pouvez écouter Interrompue par la pluie, dans l’averse ici, sur Spotify, ou sur Deezer, ou encore sur Apple Podcasts, et sur toutes les plateformes. Retrouvez-là à 24min45.

Montpellier, le 14 mai 2020 

C’est notre histoire qui s’est déconfinée. Et le temps. Toujours ce putain de temps, que je finis par aborer tout autant que je l’aime. J’aurai tellement préféré que tu m’écrives pas, putain. À chaque fois que tu parles, je réponds. Quand tu sonnes, comme une conne, j’ouvre. Quand tu appelles, je décroche, et quand tu aimes… j’aime. Il aura fallu deux mots pour que j’accoure. 

Rejoins. Tiret. Moi. 

Et j’arrive. 

Plus vite encore que Johnny allume le feu, que Bonnie aime Clyde, que Harry rencontre Sally, que Woody sauve Buzz, ou encore qu’un réalisateur qui viole ses actrices soit récompensé par l’industrie cinématographique. Enfin bref : aucun duo n’est plus iconique que le nôtre à cet instant précis. Et de cette façon, je saute à pieds joints dans notre passé commun. 

Je replonge dans tes yeux. Dans nos petits matins blêmes innocemment remplis de caresses. Dans nos rires à nous. Dans tes bras. Dans nos bras. Je reviens me lover dans la moiteur de tes paumes. Je prends ton nom et je refais notre histoire, et le monde avec. Je monte dans cette voiture pour prendre le chemin de mes erreurs. Celles que je chéris tant. Je mets le contact entre les clés, toi, moi et tout ce qui peut nous lier. 

La pluie commence à tomber. Je me dis que le ciel aussi sait ce qui va se passer. Il a pris les devants, en cas de larmes, urgentes. 

Dans un épisode des Simpson, Nelson confesse à Bart qu’il aime venir pleurer dans la mer, pour que ses larmes ne soient qu’un mouvement naturel de l’eau. Et Nelson, c’est typiquement la caillera de ouf dans les Simpson. Tu vois ? Donc je me dis que si même lui raisonne avec autant de justesse, bah c’est qu’on aime tous en fait. Enfin, c’est ce que je me dis. 

Alors je prédis que mes larmes de passion se noieront sous ta pluie. Je démarre. Et par la bascule entre l’embrayage et l’accélérateur, je sens mon cœur qui pousse la première, puis la deuxième. Et j’arriverai à toi en cinquième mon amour ! 

Bon pour le permis, on repassera, je sais pas du tout comment j’ai fait pour l’avoir. Je te jure, c’est vrai, quand je l’ai passé j’avais encore de l’alcool dans le sang, j’avais fait une soirée la veille. Et j’ai pris un rond-point en quatrième le jour J. Mais en fait c’est parce que j’ai fait rire l’examinateur. 

  • Où-est-ce que vous êtes née ? Il m’a demandé. 
  • Schiltigheim, j’ai dit. 
  • Ah c’est pas en France. 
  • Alors, en fait, on me dit ça depuis que je suis née, et il s’avère que Siiiiii, si. Schiltigheim, c’est en France. Enfin en Alsace. À côté de l’Allemagne. Mais c’est pas l’Allemagne. 
  • Et comment ça s’écrit ? Il m’a demandé. 
  • Comme ça se prononce. 
  • C’est-à-dire ? 
  • C’est-à-dire mal. Je sais juste que ça commence par SCH, comme le rappeur. 

Je crois qu’il n’avait pas la ref, mais il a rigolé quand-même, pour faire genre qu’il était un peu… jeune. Bref. 

Emma, putain, profite de la mélodie actuelle dans ta tête. C’est dans ces instants que tu te sens vivre. Exister. Vibrer. Cette grosse machine mécanique s’apparente de plus en plus à mon corps. Je ne fais qu’un dans ce siège seconde main couleur caca d’oie.

La pluie s’accélère. Et je conduis. Mais ce n’est pas la route que je vois. Déjà parce que la dernière fois que j’ai lavé mon pare-brise, c’est quand j’étais dans une relation amoureuse saine et non-toxique. Donc autant dire que ma 206 voit autant le car-wash que moi mon esthéticienne. Mais bref. 

Alors, je roule. 

Je roule, comme les OCB de Roméo. 

Je roule comme l’écume quand il fait pas beau. 

Je glisse comme aquaplaning vers les abysses. 

Je m’enfonce dans les buildings. 

La pluie ne tombe plus. Elle saute. Elle fonce, elle se jette sur moi. Elle essaie de m’empêcher… 

Et puis, par un dernier orage, je cède. Sous un nuage, je redeviens raide. J’arrête. La voiture et l’histoire. J’arrête. L’aventure et ce soir. 

Frein à main, SMS. 

“ C’est pas une bonne idée.” 

Demi-tour retour au can cheese et série télé. 

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Emma Bojan / Interrompue par la pluie / Illustration : Marvin Gomis

Concept créé en mode Yes life avec par Emma Bojan et Arthur Guillaumot.

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Interrompue par la pluie est une chronique proposée par Emma Bojan, dans l’averse, notre podcast bi-hebdo.