Destin, Mr Giscard, parce que la musique finit toujours par passer, comme l’eau, du Pho ? Ça tombe bien, le vrai, c’est ce qui reste, à la fin. Sensibilité, un premier ep, qui dévale et rit, ou plutôt qui dit Valéry. Les tourments d’un enfant du siècle, sur des mélodies précieuses, diamants intimes, qui claquent et restent en bouche. Miam, grande discussion.

Sensibilité, le premier ep de Mr Giscard est sorti vendredi 14 mai. Vous pouvez l’écouter ici.

Arthur : Ça arrive que toi-même parfois tu t’étonnes du cheminement de création de tes morceaux ? 

Mr Giscard : Oui, ça arrive vraiment. Et parfois, à force de l’écouter, je ne sais même plus si j’aime le morceau. Au niveau des rythmes, j’essaie de faire en sorte que rien ne soit jamais ennuyant. Je suis gêné de faire écouter ma musique, j’ai peur. Je trouve que tout est long, j’essaie de faire des ruptures. Et surtout, de faire danser. Mais est-ce que je fais vraiment des titres dansants ? 

Est-ce que t’es d’accord pour dire que c’est une forme de politesse ? Les alliages entre les rythmes, les textes, forment un ensemble hyper large, pour que les gens ne regrettent de t’écouter.

Sûrement. C’est intéressant. C’est comme de la bouffe en fait. Il faut doser pour ne pas rendre les choses écoeurantes. Je travaille sur les équilibres oui, notamment sur la structure. Souvent les gens qui font de la musique, les types comme moi envoient des moments planants. Mais si tu es auditeur et que tu as commencé à t’ambiancer, tu peux être coupé. Moi je respecte les dynamiques. 

Et le chant ? 

Honnêtement ? Moi, ça me coûte de chanter. Tu sais, à la base, je suis beatmaker. J’en avais marre de travailler pour d’autres, ça me frustrait. J’avais en tête d’autres mélodies que celles qu’on me demandait de faire. Un jour j’ai décidé d’arrêter d’attendre pour faire ce que j’aime. Ensuite, je me dis : Quitte à écrire, autant écrire des trucs sincères. J’ai besoin de me reconnaître dans ce que je fais, sinon je peux pas. 

Tu parlais d’une crispation au moment de faire écouter ta musique, c’est encore le cas ? 

C’était au début. Quand j’ai commencé à chanter et que je postais ça sur Soundcloud. Il faut assumer de chanter, et puis en plus c’est en français, dont il faut assumer les paroles. Mais quand tu fais écouter tes sons à tes amis, et qu’ils finissent pas valider, tu peux aller où tu veux. C’est un blindage. Mais maintenant que j’ai fait des morceaux qui ont plu à plein de gens, j’ai peur de ne plus jamais réussir à faire des sons aussi biens. Peur de ne plus avoir le fluide. Parce que la vie change. 

Et la trouille du début c’est une forme d’excitation qu’on ne retrouve jamais non ? 

Oui. Tu vois, je n’ai jamais autant perfectionniste et obsessionnel qu’au début. J’écoutais le son 8 000 fois. Je triturais le moindre détail. J’attendais la perfection.

Moi je respecte les dynamiques.

Qu’est-ce qui a été le plus dur pour créer Sensibilité ? 

Il y a des trucs qui étaient prêts depuis des années. J’ai eu du mal avec ça. Phô et H&M sortent de mon ordinateur, et c’est bon, ils passent en radio, tout va bien. Je ne comprenais pas qu’on attende autant. Cette période a été éprouvante. J’avais trop hâte que ça sorte. Mais je pense que l’univers est bien fait. Si c’était sorti plus tôt, peut-être que j’aurai été coupé dans mon élan par le covid et les confinements. 

Et puis, là tu as des clips fous. 

Je suis très impliqué là-dedans. Je me suis beaucoup concentré là-dessus pendant cette période. Et c’est vrai que ça a payé. C’est une énergie. Même quand sur le deuxième clip, on avait moins de budget, j’ai appelé Rod Paradot (César du meilleur espoir masculin en 2016, qui était déjà au casting de Pho, le premier clip de Mr Giscard, ndlr.) et Jade Legrand. Et même de l’autre côté de la caméra, on fait ça entre potes. Je m’éclate. D’ailleurs, la suite n’a rien à voir. 

En quoi tu crois dans la musique toi ? Qu’est-ce qui a fait que tu as tenu ? 

Je ne me suis jamais dit que c’était ma voie toute tracée. Dans ma famille, la musique, ça ne pouvait pas être un plan de carrière. J’ai tenu grâce à la passion. Depuis que je suis enfant, toutes mes thunes vont dans la musique. Vraiment. Et je n’avais pas beaucoup de thunes, donc ça a pris du temps d’avoir du matos. Et même aujourd’hui, je n’ai pas un matos extraordinaire. Mais ça fait partie de l’histoire. Se dire qu’avec pas grande chose, tu peux faire des morceaux qui passent sur Nova. C’était un rêve de môme pour moi. C’est le côté cool de cette époque. 

1000 fois, j’ai failli arrêter. 

Ce qui a fait que ça a tenu, c’est que c’était plus fort que moi. Plusieurs, je me suis dit que j’allais arrêter la musique. Ça prend beaucoup de temps, beaucoup d’argent, et en plus, je suis mauvais. J’ai connu les moments où tu fais écouter les sons à tes potes dans la voiture… et il y a un long silence. (rires)

Mais c’est la vie. Après, j’ai aussi des potes à qui j’ai fait écouter Pho en avant première et qui ne réagissaient pas. C’était particulier aussi pour eux de me découvrir sous cet angle. 

Mais oui, j’ai failli arrêter plein de fois, même quand je faisais des prods, que je n’arrivais pas à placer, ou que je ne trouvais pas mon style. 

Sauf que la musique, c’est mon truc. Et même si je n’avais pas signé, finalement j’aurai continué. Tu sais, moi, tout m’emmerde. Peu de choses m’amusent, et la musique en fait partie. 

Photo : Shelby Duncan

Tu fais de la musique pour qui ? 

À la base, je fais de la musique pour moi. Je fais la musique que j’aimerai écouter dans mon MP3. C’est peut-être malhonnête, parce que si je la diffuse, c’est aussi parce que j’ai envie que ça soit écouté et que les gens kiffent. Le meilleur, c’est quand tu fais un truc que tu aimes, dont tu es fier, et que les gens l’aiment aussi et se reconnaissent. Là, tu as tout gagné. À certains moments, je faisais de la musique pour impressionner mes potes, j’avoue. Mais maintenant, c’est un vrai rêve, c’est pour faire danser des gens

Est-ce que tu as des talismans ? Quelque chose que tu voulais faire apparaître absolument sur ce premier ep ? 

Non pas forcément. Je sais que là ça change. Au début, quand je faisais mes premiers sons, il y avait un truc à la Hamza. Ma vie ressemblait à la sienne et ma musique aussi. Les soirées, les rencontres. Puis la vie passe, les galères et tout. Maintenant, je suis plus dans un truc où mon instabilité émotionnelle prend le dessus. Les angoisses, les moments badants, ma vie intérieure. Il y aussi l’évolution de mon rapport aux femmes, à la famille, aux amis. J’avoue que ce n’est rien de très original.  

c’est un vrai rêve, c’est pour faire danser des gens.

Et la musique, c’est un espace pour le dire ?

C’est parfois compliqué de réussir à le dire. Moi je fais de la musique pour les mélodies, le texte est une autre lecture. 

C’est la réflexion que je me faisais en écoutant le projet. On sent que le texte passe en deuxième, qu’il peut-être modifié pour mieux coller au rythme, quitte à revoir toute la structure. 

Tu as très bien capté le truc. Chez un gars comme Lomepal, tu sens que c’est le texte qui compte. Je suis plus dans la dynamique d’Hamza que dans celle de Lomepal on va dire. La mélodie avant tout. Mais ça peut être très frustrant, quand tu as envie de dire des choses. Tu trouves une grande punchline, ou tu veux faire le mec qui se livre, mais c’est  impossible parce que ça ne sonne pas. Il faut trouver l’équilibre entre dire des trucs forts, et en même temps les faire sonner. J’avoue que je privilégie le fait que ça sonne. 

Sauf que la vraie vie… ce n’est pas stylé.

On parlait de la dimension de pudeur, surtout dans la mesure où à la base tu ne prévoyais même pas d’incarner tes morceaux. Est-ce qu’il a fallu du temps pour donner des choses aussi intimes que tes relations personnelles, ou tes angoisses ? 

Oui. Tu vois, maintenant que je sais que je suis écouté, c’est vrai que ça va être de plus en plus dur. Même mes parents peuvent écouter. C’est vrai que c’est dur depuis le début, mais je dis des choses sincères… Je mâchais beaucoup mes mots à l’époque, presque dans le but qu’on ne comprenne pas. Par pudeur tu as raison. Je dis des choses qui ne me font pas forcément briller. Je dis les choses que tu dis d’habitude à ton meilleur pote, mais pas pour donner une bonne image de toi. Sauf que la vraie vie… ce n’est pas stylé. Le moment de malaise en lendemain de cuite, quand tu n’as pas envie que la personne reste par exemple. Mais encore une fois, ce qui compte c’est la mélodie. On parle des paroles, mais c’est un accident. 

Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ? 

Un truc super apaisant. Je sais que petit, j’adorais regarder la pluie. Ce truc des enfants qui arrivent à s’amuser avec un rien, et qui pensent comprendre l’univers. Ils posent comme des vieux sages en regardant la pluie, et ils se sentent bien. Tu sais en Guyane, il y avait la saison des pluies. C’était un moment de paix, où je regardais la pluie tomber, sous une taule, en short et en tongs, et je n’avais pas froid. J’avais l’impression de comprendre l’univers.

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Arthur Guillaumot / photos : Shelby Duncan

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