< Tous les articles Interviews Musique Nikola : « Faire du bien avec le douloureux » / Interview Par Arthur Guillaumot 15 décembre 2021 Nikola est tout neuf mais semble fabriqué avec les mêmes matériaux que les poètes, les Rimbaud, les Ferré. Au Poésie Football club, il y a aussi de Maïakovski chez lui. Son premier ep est sorti au début du mois, Une saison en enfance est une histoire de cheminement et de spontanéité. Si vous l’avez déjà vu sur scène alors vous savez. Grande discussion avec lui, mercredi 8 décembre, alors qu’il jouait en première partie de Poupie à L’autre Canal. Soulagé de voir sortir ce premier ep, de le sentir exister auprès des gens ? Grave. Ça fait longtemps que je bosse dessus tu sais. C’est important d’avoir un projet qui soit disponible en entier pour les gens. Surtout après les différentes phases, les premiers morceaux, les scènes, et même The Artist sur France 2 récemment, non ? Oui, parce que mes morceaux se relient tous en plus. Ils ont un thème commun, qui n’était pas clair je pense quand 2-3 morceaux seulement étaient disponibles. Le fait de les avoir les 6 réunis sous la même enseigne, ça impose le sujet de l’enfance. On comprend de quoi parle le projet. Il y a quelque chose de plus qu’avec des chansons indépendantes. Tu as fait tous les morceaux en même temps, pour trouver cette cohérence ? J’ai composé les morceaux à des moments très différents. Par exemple, Au bout de ma rue, elle date de quand j’ai quitté Besançon, quand j’avais 17 ans. Ça fait longtemps que je la traîne. Mais j’ai tout arrangé et mis dans le concept de l’ep en même temps. J’ai bossé les 6 chansons ensemble. J’ai fait toutes les prods en une semaine. Tous les enregistrements datent de la même journée. Je voulais que le son soit cohérent et qu’il soit le même sur tout l’ep. J’ai cherché ce son pendant longtemps, une fois que je l’avais trouvé, il fallait que je le fixe. Je pense que c’est intéressant de parler de l’enfant qu’on est pour se présenter comme l’adulte qu’on a envie d’être. Et que ça colle avec l’idée générale, on peut dire que c’est un ep d’apprentissage ? Tu parles beaucoup de l’enfance et des premières émotions. Oui. C’est initiatique. Je pense que c’est intéressant de parler de l’enfant qu’on est pour se présenter comme l’adulte qu’on a envie d’être. En fait je crois que quand on grandit, c’est les trucs qu’on a vécu enfant qui font qu’on devient l’adulte qu’il devient. Quand j’étais gamin, je voyais les adultes comme un truc à part. Dans un monde auquel je ne prétendais pas et que je ne pensais pas atteindre. En grandissant, j’ai compris que je devenais progressivement adulte. Tu te considères adulte maintenant ? Je me dis que j’essaye de l’être, en gardant près de moi le gosse que j’étais. Qu’est-ce que tu as compris sur toi en faisant cet ep ? J’ai compris que les traumatismes que tu vis enfant, tu ne peux jamais les régler. Les plaies d’enfance ne se referment pas. Il faut apprendre à vivre avec et à les gérer. Photo : Eve Devulder Là t’es sur le chemin de la paix ou il y a encore du sel quand tu reviens dessus, notamment sur scène ? Il y a encore du sel, mais je pense qu’il y en aura toujours. Cet ep m’a permis de le tourner d’une manière positive. Les choses ne sont pas tout le temps chouettes, mais ça fait du bien de le savoir et de le comprendre. De savoir où j’en suis maintenant et d’en faire quelque chose de bien. Faire le bien, à moi et à d’autres, qui se reconnaissent, c’est la consécration. C’est cathartique. Faire du bien avec le douloureux. Tu te sens plus fort ? Oui, grave. Je me sens plus en adéquation avec moi-même. “Faire du bien avec le douloureux.” Quand on fait un premier ep aussi sincère, aussi brut, quand on y arrive dès le premier projet, comment on se projette dans la suite ? Je sais que je vais toujours raconter ce qui se passe dans mon quotidien, parce qu’on évolue en permanence dans la vie. On ne s’arrête jamais de découvrir, c’est ça que j’ai envie de suivre dans mes projets. Je pense qu’on pourra voir et entendre des étapes de vie. Mais c’est vrai que je me suis posé cette question. Une saison en enfance résume 21 ans de vie Oui parce que quand on fait un premier projet on a une matière longue, dans laquelle on pioche pour les suivants ou l’idée c’est de vivre suffisamment de nouvelles choses ? Oui y revient, ne serait-ce que parce que de toute façon on ne peut pas résumer tout ce temps en 6 chansons. Je pense que c’est aussi le regard qui évolue, même si les thèmes se recoupent. Qu’est-ce que la scène t’apporte ? Tu comprends des choses sur tes chansons au moment de les jouer sur scène ? Il y a des chansons que je n’avais pas comprises avant de les chanter sur scène. Au bout de ma rue, que j’ai écris à 17 ans quand j’ai quitté Besançon, j’ai compris l’année dernière qu’elle parlait de ça. Pourtant c’était clair, mais je pensais que j’avais un petit blocage. Je suis beaucoup dans l’inconscient quand j’écris. Des mots s’imposent à moi et j’essaie de comprendre ensuite pourquoi. C’est Magnifique, pareil, je ne savais pas de quoi elle parlait avant de comprendre qu’elle racontait quelque chose de mon rapport à mon métier-passion. Et puis les gens ont des interprétations à eux, qui me permettent aussi de faire évoluer mon regard. En fonction de comment mes chansons touchent les gens, je comprends d’autres choses. “J’ai commencé la musique pour contrer l’ennui, puis c’est devenu indispensable.” Une bonne chanson, c’est une chanson que les gens s’approprient ? Oui, je pense. Si les gens ne s’approprient pas une chanson, s’ils n’ont pas l’impression que ça leur parle directement à eux, je trouve que c’est une chanson qui ne remplit pas son rôle. Tu fais de la musique pour qui, ou pour quoi toi, à la base ? Je pense que je fais de la chanson pour moi à la base. Pour pas trop me faire chier. Pour contrer l’ennui. Pour réussir à faire quelque de mes aprems, de mes dimanches, de mes soirées. Petit à petit c’est devenu comme une addiction. Je me suis rendu compte que je faisais ça tout le temps. C’était à la fois une passion, un plaisir, et à la fois j’avais l’impression d’apprendre quand-même des trucs. Même si ce n’était pas toujours évolué quand j’avais 11, 12 ans, j’avais l’impression d’apprendre des choses de moi-même et de faire quelque chose de sérieux. Même avant de faire écouter mes chansons, j’avais l’impression qu’il y avait un vrai parcours humain, dans le fait d’écrire une chanson ou de créer un projet. Je me pose beaucoup de questions, même sur tout ce qui entoure le projet, c’est ce qui me passionne aussi. C’est là qu’intervient la figure tutélaire de Rimbaud ? On vient d’un endroit un peu paumé, on essaie de tuer l’ennui, on teste des choses et on se laisse porter par une énergie plus grande ? Il fallait un truc pour combler l’ennui, mais aussi pour me sentir utile. C’est vite devenu central. Je cherchais une place dans le monde et dans la société. Depuis gamin, j’avais l’impression que la vie de chacun devait avoir un sens. Qu’on avait tous un destin, un rôle à jouer. Dans la sphère privée ou publique d’ailleurs. La musique a à la fois comblée la problématique de l’ennui, mais aussi celle de “qui je suis, à quoi je sers ?”. Le temps passe, et maintenant que je commence à jouer mes chansons sur scène, j’ai l’impression de servir à quelque chose et ça fait vraiment du bien. L’énergie prime sur le reste. C’est le chemin de la paix, les concerts, l’existence du projet. Parce que tu aurais très bien pu faire de la musique sans continuer, sans trouver cette place, tu l’envisageais ça ? Je ne me suis jamais trop posé ces questions-là. Ça n’a jamais été l’optique d’un métier. Ça me faisait juste du bien. Au lycée quand on m’a demandé ce que je voulais faire, je me suis dit que j’avais déjà un bac + 10 dans ça, alors pourquoi faire autre chose ? Ça me fait du bien, ça me donne envie de me lever le matin, alors pourquoi essayer de faire autre chose ? J’aurais pu faire autre chose, mais la vie a fait que la musique a concentré toute mon attention et toute mon énergie. J’ai grandi, en jouant de la musique. Le cerveau se sculpte. Ta manière de penser et de réfléchir passe par cette construction. J’aurais pu faire autre chose, mais ça aurait été dommage. Pour mon parcours, pour mon avancée. Ça aurait été une marche en moins. Quand tu étais au lycée, tu arrivais à dire aux autres que tu avais envie de faire de la musique ? Oui ! Ça n’a jamais été un problème. Je disais que j’avais envie de faire de la musique, puisque c’est ce que je faisais déjà tous les jours. L’idée c’était : Si j’arrive à gagner ma vie en faisant ce qui me fait du bien, alors j’ai tout gagné tu vois. On a essayé de me décourager un peu dans la sphère scolaire en me disant que c’était illusoire. Mais une prof d’histoire m’avait pris très au sérieux, ça fait du bien. J’avais besoin de l’écriture et de l’interprétation. On sent que l’écriture est le centre du projet, ça aurait pu se faire sans musique, juste autour de l’écriture, finalement ? Je pense que si demain, tu me demandes de choisir entre la musique et l’écriture, je vais choisir l’écriture. Parce que c’est de là que tout part. Je me demande quelle musique choisir en fonction de ce que je viens d’écrire. Une fois que tu as qui tu es devant les yeux, tu te demandes qui tu as envie d’être. Quand tu écris, tu fais confiance au premier ou tu fais partie de l’équipe qui retouche beaucoup ? J’ai une grande confiance dans le premier jet. Que ça soit dans le texte ou la musique, il y a toute l’énergie que tu mets dedans. L’énergie prime sur le reste. Sur la manière dont c’est enregistré, les mots qui ne vont pas, les éventuelles fausses notes, les fautes de langue. Quand j’étais gosse, le dernier morceau de l’ep, c’est vraiment la représentation parfaite de ça, parce c’est un morceau qui n’était pas censé être dans le projet. C’est une impro totale, que je n’ai pas retouchée. D’habitude je fais des impros et je retouche le texte après. Je retouche, je rabote, je pose, j’attends. Mais à la base, mes chansons ressemblent souvent à Quand j’étais gosse, dans la forme. Là je trouvais l’énergie folle. La voix c’est que des fausses notes, il y a des tournures qui ne vont pas, mais l’énergie est là à mon avis. Même si tu ne comprends pas ce que je dis, je suis persuadé que tu peux ressentir quelque chose. Tout tourne autour de l’énergie. Photo : Eve Devulder J’allais te demander ce que tu avais osé faire sur cet ep que tu n’avais pas imaginé, mais en fait, Quand j’étais gosse et son mode d’emploi, c’est déjà un début de réponse. Je pense que la base de tout mon projet, pour moi, mais c’est aussi un peu la promesse que je fais aux autres, c’est que tout est sincère. Il n’y a pas de mensonges, pas d’artifices. Je ne suis pas là pour enjoliver, alors je ne m’interdis rien quand je fais de la musique. Si je sors quelque chose de moi, c’est que c’est vrai. Et ce qui sort naturellement a forcément plus de valeur que quand je me prends la tête longtemps sur les mots à utiliser. La sincérité pour moi elle ne se réfléchit pas dans un premier jet. Même si les choses demandent parfois d’être retravaillée. Comme je disais tout à l’heure, une fois que tu as qui tu es devant les yeux, tu te demandes qui tu as envie d’être. La base et c’est une des matrices de ton projet, c’est la spontanéité en fait ? Oui. Je pense qu’aujourd’hui, tout est très accessible. Les choses sont directes. Tu écoutes un artiste parce que tu aimes sa musique et sa personnalité. C’est un choix que tu fais. Je me dis souvent qu’il faut que je me comporte dans la musique comme je me comporte avec mes potes. J’ai envie que les gens qui m’écoutent soient mes potes. Qu’ils m’écoutent tous les jours comme on parle à ses potes. Depuis que je suis gamin, j’écoute des artistes tous les jours et j’ai l’impression de les connaître. Il n’y a plus de distance. Si la vie c’était un lycée et que tu pouvais choisir des potes artistes à retrouver tous les jours, ça serait qui ? Oxmo, ça serait mon pote. Léo Ferré, ça serait mon méga pote. C’est évidemment impossible, mais je crois qu’un de mes rêves les plus forts, ça serait de me poser une aprem avec Léo Ferré pour discuter. Tu vois. C’est des gens sans limites. Je suis fan de cette démarche. La plupart de nos barrières ne servent à rien. Et c’est quand-même plus excitant de sortir des morceaux qui te ressemblent, plutôt que de la tiédeur sans risques. Oui et puis tu as vraiment envie de le défendre. Parfois les gens n’aiment pas et tant mieux. Je déteste l’équilibre où tout le monde aime juste un peu. Je préfère qu’on me dise “J’ai détesté”. Si tu détestes, c’est que j’ai réussi quelque chose, ça t’a brusqué, je le prends de la même manière que quand on me dit que c’était incroyable. J’ai eu des retours comme ça sur quelques concerts à l’époque. Au Printemps de Bourges, j’ai terminé le concert avec À l’eau. On m’a pas mal fait le retour après “Ton concert, c’était pas ouf, à la fin, tu nous a laissé dans le vide”. C’est une chanson hyper intense, je suis parti de la scène en chialant à moitié et il y a des gens qui m’ont dit qu’ils n’avaient pas aimé parce que c’était trop dur. J’ai beaucoup aimé cette critique. Ça veut dire que cette personne vivait quelque chose de super intense. Ça m’a beaucoup fait réfléchir à ma responsabilité d’artiste. Est-ce que j’ai envie que les gens soient comme ça en sortant ? C’est pour ça que j’ai mis Quand j’étais gosse à la fin de l’ep, quelque part c’est la chanson la plus lumineuse. Elle est presque comique. Tu vois que je trébuche. Il y a des phrases qui font sourire. Comme c’est la dernière chanson de l’ep, après toute l’intensité. Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ? Je sais que je suis né à Besançon, à Chamars, à la clinique. Ma mère me rappelle toujours que quand je suis né il pleuvait. Une tempête, un orage, tout s’envolait dans tous les sens, c’était le bordel. Elle me raconte ça comme un truc un peu prophétique. C’est devenu important dans mon existence. Je pense que c’est ma première pluie. Celle qui a défini plein de choses. J’aime beaucoup, on me l’avait jamais faite celle-là. Ça ferait une bonne chanson. Ah nan maintenant je veux l’entendre, tu dois la faire. ___ Arthur Guillaumot / Photos : Eve Devulder Entretien réalisé à L’Autre Canal à Nancy, Nikola jouait en première partie de Poupie. La discussion est également disponible sur Splash, le blog de L’Autre Canal. Vous pouvez retrouver Nikola sur ses réseaux sociaux : YouTube / Instagram / Facebook À lire aussi Interviews Musique Léon Phal : « La scène est un espace de travail et de jeu » / Interview 11 Oct 2024 Le saxophoniste Léon Phal est en ce moment le nom le plus alléchant de la nouvelle scène nu jazz. Avec ses compères Zacharie Ksyk à la trompette, Gauthier Toux aux claviers, Rémi Bouyssière à la contrebasse et Arthur Alard à la batterie, ils défendent un jazz infusé de sonorités multiples et dansantes. 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