Adapter un roman de 700 pages au théâtre est un pari osé, surtout lorsqu’il est signé Balzac, le seigneur du réalisme et de la description. La metteuse en scène Pauline Bayle a choisi de le prendre à contre-pied. C’est sur une scène nue de décors, entourée par le public et avec seulement 5 comédien/nes pour interpréter les 18 rôles qu’elle nous présente ses Illusions Perdues. On a découvert la pièce au théâtre du NEST, à Thionville.

Illusions Perdues, un des romans phares de Balzac, présente l’histoire de Lucien de Rubempré, un poète de province qui vient à Paris en recherche de gloire littéraire au début du XIXe siècle, alors que la royauté vient de se remettre en place. Confronté aux cercles d’influence de la capitale, il oscille entre les intellectuels, les journalistes ou les aristocrates et tente de s’y faire un nom tout en gardant ses valeurs morales et son amour de l’art.

Il fallait trouver comment le monter, ce roman monstre, et comment le rendre digeste pour le public. Les solutions de Pauline Bayle en la matière sont fortes de sens. Elle n’essaie pas de nous transporter au début de la Révolution Industrielle, de nous montrer le début d’un capitalisme qui se joue de la noblesse. Elle monte Illusions Perdues car ses thèmes font encore écho deux siècles après : l’arrivisme, le pouvoir des médias, l’art face à l’argent, l’hypocrisie, la frontière entre province et Paris, les désillusions, etc. Son choix de rendre la scène vide et de ne pas prendre de costumes d’époque permet de rendre l’histoire actuelle sans la défigurer.

Simon Gosselin

Chez elle, c’est une évidence d’adapter Balzac au théâtre. Ses personnages sont remplis de contradictions, ce qui leur donne une force théâtrale naturelle et les rend intemporels. On s’imagine sur scène les Lucien de Rubempré et les Etienne Lousteau de 2022, en étudiant/e des grandes écoles et en entrepreneur/se en vogue.

Grâce à la proposition sans artifices, les comédien/nes n’ont rien à quoi s’accrocher sur scène. Seules leurs émotions font vivre le texte. Cette mise en scène sert à creuser encore et encore pour trouver les sentiments les plus justes des personnages. Portée par l’intense interprétation de ses 5 comédien/nes, la pièce de Pauline Bayle atteint son objectif. Cependant, sur 2h30 de spectacle, et face à un texte qui reste lourd, certains moments perdent en magnitude et la mise en scène semble parfois tourner en rond face à un public en 360°. Heureusement, cette baisse de régime ne dure pas et laisse place à des moments de grâce, comme le baptême journalistique de Lucien et la danse qui en suit. La metteuse en scène a le sens du rythme et ne permet jamais de s’assoupir, quelle que soit la qualité des sièges.

Simon Gosselin

Un rythme aidé par les nombreux changements de rôles, formule que la metteuse en scène maitrise parfaitement après l’avoir déjà utilisée pour son adaptation de l’Illiade et de l’Odyssée. Mis à part le rôle de Lucien qui est tenu par la même actrice, les 4 autres comédien/nes se partagent 17 personnages et leur justesse impressionne. La structuration du récit permet de ne jamais nous perdre et de nous tenir concentrés. Ce partage ne rallonge pas les transitions, au contraire il permet d’enchainer entre les différents cercles que fréquente Lucien et de partager sa frénésie quotidienne, passant d’une minute à l’autre d’une rencontre avec une marquise à une répétition de sa bien-aimée actrice.

Simon Gosselin

Cela peut paraitre paradoxal, mais la mise en scène de Pauline Bayle, avec une scène vide et seulement 5 comédien/nes, fonctionne particulièrement bien pour adapter Balzac. Elle rend le roman actuel sans le caricaturer car elle s’appuie sur ses thèmes qui résonnent toujours. Actrices et acteurs livrent une puissante performance et nous font (re)découvrir les Illusions Perdues avec des yeux nouveaux.

En ajoutant le film de Xavier Giannoli sorti en 2021, le roman de Balzac a fait naître deux adaptations qui se complètent et qui nous donnent, ici en province, l’envie de rire de cette capitale théâtrale, foyer des faux-semblants et scène principale de la comédie humaine, depuis plus de deux siècles.

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Jeu : Charlotte Van Bervesselès, Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Alex Fondja, Anissa Daaou
Mise en scène : Pauline Bayle
Compagnie À Tire-d’aile
Texte :  Honoré de Balzac / poèmes de John Keats et Émile Verhaeren
Assistance à la mise en scène : Isabelle Antoine
Scénographie : Pauline Bayle et Fanny Laplane
Lumières : Pascal Noël
Régie générale / lumière : Jérôme Delporte et David Olszewski
Régie plateau : Ingrid Chevalier, Lucas Frankias et Juergen Hirsch
Durée : 2h30min
À partir de 15 ans

Plus d’informations sur le spectacle ici.

Photos de Simon Gosselin.

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Josh