L’Opéra National de Lorraine célèbre l’arrivée du printemps avec Iphigénie en Tauride, du 15 au 21 mars. Dans la tragédie lyrique de Christoph Willibald Gluck, la fille d’Agamemnon n’est pas tuée par son père, mais devient prêtresse de Diane* en Tauride, l’actuelle Crimée, comme le veut la face B du mythe antique. Sauf que cette face B n’est pas de tout repos, comme on le verra pendant les 2h20 de représentation.

Jean Giraudoux, qui a écrit La guerre de Troie n’aura pas lieu, n’était pas un météorologue antique, mais il avait presque raison. En effet, Paris a chopé et enlevé Hélène, la plus belle femme du monde. Son mari, Ménélas, est dégouté, alors avec son frère le roi des Grecs Agamemnon, ils réunissent une armée d’Avengers pour punir Paris, tout en faisant un peu de shopping à Troie. Problème, les héros grecs attendent à Aulis avec leurs bateaux pour prendre la mer mais le vent ne se lève pas. Pour patienter, les Grecs chassent avec à leur tête Agamemnon le débile qui prétend qu’il chasse mieux que Diane, la déesse de la chasse. Bref du mansplaining avant l’heure. 

Sauf que Diane ne va pas se laisser moquer par le roi grec. Elle obtient que le vent ne se lève vraiment pas sans un grand sacrifice que le devin Calchas révèle aux Grecs : Iphigénie, la fille du roi doit mourir. Il hésite un peu mais Agamemnon fait appeler sa fille en prétendant qu’Achille veut l’épouser. Là, les versions divergent. Dans une part des versions, Iphigénie meurt vraiment. Dans les autres, au dernier moment Diane la remplace par une biche qui trompe les Grecs et envoie la fille du roi devenir sa prêtresse en Tauride. Une façon de l’éloigner de sa famille de zinzin, les fameux Atrides, frappés de malédiction. 

En effet, après la guerre de Troie*, où son armée a fini par triompher après 10 ans de lutte grâce à la ruse d’Ulysse, Agamemnon rentre au bercail, où l’attend sa femme Clytemnestre. Mais tout a changé et deux couples se font face : Cassandre, la fille de Priam, au bras du roi grec tandis qu’Egisthe, son demi-frère*, est au bras de Clytemnestre. Selon le poète grec Pindare, Clytemnestre tue Agamemnon dans son bain, pour venger la disparition / mort d’Iphigénie, et aussi parce qu’il a ramené Cassandre à la maison, qu’elle va tuer également. Oreste, le fils d’Agamemnon et Clytemnestre, frère cadet d’Iphigénie et Electre et éventuellement de Chrysothémis est envoyé par sa nourrice, ou par Electre, chez le roi Strophios où il traîne avec son cousin Pylade. 

Au bout d’un moment, les deux cousins se rendent à Delphes, la chicha des grecs, pour savoir ce qu’ils doivent faire. Apollon leur souffle d’aller tuer Egisthe et Clytemnestre, ce qu’ils font. Les autres dieux sont dégoûtés par le geste et envoient à Oreste les Erinyes*. Devenu un peu fou, sur les conseils du dieu archer, il arrive à Athènes, où l’Aréopage, l’assemblée citoyenne, l’absout de ses meurtres sur intervention d’Athéna. Oreste retourne à Delphes où Apollon, via la Pythie*, lui fait savoir qu’il sera guéri définitivement en volant la statue d’Artémis en Tauride. C’est bon, vous avez capté le motif ?

Iphigénie pendant ce temps est prêtresse de Diane en Tauride, l’actuelle Crimée. Elle a une mission très précise : elle doit tuer les étrangers qui débarquent. Oreste et Pylade arrivent dans le coin, et le reste je ne peux pas le dire sinon c’est du spoil. Et je n’ai pas envie d’être poursuivi par l’âme de Christoph Willibald Gluck qui est mort en 1787 mais que je crains à cause de son nom bizarre et rigolo et pour son origine bavaroise. Gluck a fait le tour de l’Europe pour mieux comprendre sa discipline, au point de la réformer, dans une chamaillerie qui oppose entre 1775 et 1779 les gluckistes qui défendent l’opéra français et les piscinistes* qui prennent le parti de la musique italienne. Justement, entre 1774 et 1779, Gluck est à Paris, où il crée en 1774 Iphigénie en Aulide — la partie avant la Tauride, où la fille d’Agamemnon meurt bien tuée par son père. En 1779, il crée Iphigénie en Tauride, qui rencontre le succès. Willibald n’était pas un rigolo, il a laissé 93 œuvres. 

Iphigénie en Tauride est une révolution dans la tragédie lyrique qui démode les français Lully et Rameau. La musique allemande qui rencontre la langue française, imaginez. Au 19ème, les romantiques ne s’y tromperont pas, en rendant hommage à Gluck et en particulier à Iphigénie en Tauride. Berlioz, qui avait prévu d’être catcheur pète un câble : “Le jour où, après une anxieuse attente, il me fut enfin permis d’entendre Iphigénie en Tauride, je jurai, en sortant de l’Opéra, que malgré père, mère, oncles, tantes, grands-parents et amis, je serais musicien.” 

Bref, venez pour suivre l’histoire d’Iphigénie en Tauride où les filouteries d’un allemand dont le prénom est Willibald. Une dose d’antiquité à l’Opéra, ça fait toujours du bien, 2h20 d’une histoire méconnue mais passionnante, carte postale de nos moments sombres, mais éclosion des espoirs printaniers, à vous de juger du 15 au 21 mars à l’Opéra National de Lorraine.

Représentations le mercredi 15 mars à 20h, le vendredi 17 mars à 20h, le dimanche 19 mars à 15h et le mardi 21 mars à 20h. Places à partir de 5 euros. Jeu concours pour gagner 2 places en catégorie A d’une valeur de 75 euros chacune sur notre compte instagram. Spectacle en français, surtitré, avec le choeur magnifique de l’Opéra National de Lorraine.

Toutes les infos sont ici.

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Arthur Guillaumot / Couverture : Benjamin West, Pylade, Oreste en victimes pour Iphigénie, 1766