Il y a eu un long silence, après Beauseigne, son premier album, paru à l’automne 2020. Zed Yun Pavarotti vit alors près de l’océan, et n’a plus le droit de sortir de la musique, comme il nous l’explique dans l’entretien. Pendant cette période, il termine de muter, apprend la guitare pour de bon, devient un « vrai chanteur », lui qui n’a jamais été un rappeur mais admet avoir fait du rap. Bref, on avait plein de choses à se dire pour la sortie d’Encore son nouvel album.

Il y a eu combien de couches sur cet album, Encore, combien de phases ? 

Rien de ce qui est sur cet album n’est très vieux. J’ai commencé à faire des premières versions il y a deux ans et demi, au moment où j’ai terminé Beauseigne. J’avais terminé une version, je voulais sortir très vite après Beauseigne, parce que je voulais en finir avec cette image de rappeur, j’avais besoin de passer rapidement à autre chose. il s’avère que j’ai eu un problème contractuel, contre lequel je me suis battu pendant un an et demi, pendant lesquels j’ai arrêté l’album. Je l’ai repris et tout s’est fait sur les 8 derniers mois. Je n’ai rien gardé d’avant et dieu merci, je n’étais pas prêt, ça n’aurait pas été bien. 

Tu as fait quoi pendant le temps où tu ne pouvais plus travailler sur cet album ?

Je n’ai jamais arrêté d’y penser. J’en ai profité pour apprendre à mieux chanter, à mieux jouer de la guitare. J’étais à l’école en fait. Et j’ai eu tout le temps pour y penser. 

Et tu n’avais pas le droit de sortir de la musique, pendant cette période de bataille ? 

Non, je ne pouvais rien faire. Même pas des sessions lives de mes morceaux. Je ne pouvais rien faire, j’étais mort. 

Donc Encore est un album enregistré en peu de temps, et qui sort dans la foulée de sa création, parce que 8 mois c’est particulièrement court comme délai. Donc cette fois-ci, ta musique colle vraiment à ce que tu veux incarner ? 

Oui, vraiment. Surtout que les étapes de transformation de ce style de musique sont tellement énormes que les morceaux ne sont plus du tout les mêmes avant et après le mix. En réalité j’ai découvert mon album il y a deux mois seulement. C’est très agréable parce que moi aussi je suis encore dans la phase où je le découvre.  

Surtout que tu montes sur scène ces jours-ci pour l’accompagner dans sa sortie. 

Oui, la scène c’est encore une autre façon de le découvrir. Ça génère une émulation. Avec le rap c’est chiant, t’es devant un ordi, il y a juste un kick, ça me prend des heures. tu changes de reverb, tu mets des effets de voix, mais en fait… c’est une arnaque cette histoire. 

je n’ai jamais été rappeur, mais j’ai fait du rap, et je ne m’en suis pas trop mal sorti, j’ai vendu 2-3 albums

Donc tu n’es plus un rappeur ? 

Non, je ne suis plus un rappeur. 

J’aime bien ce truc, parce que je crois que je ne t’ai jamais considéré comme un rappeur. 

Ok. 

Je vois les gens continuer de projeter ces attentes sur toi. Mais tu crois que tu as été un vrai rappeur ? Ça a toujours été plus que ça. 

J’ai fait du rap, c’est sûr. Être rappeur, c’est un sport à part entière. J’ai pratiqué le sport sans être sportif. C’était de la récréation pour moi. J’ai toujours voulu faire des chansons, mais il fallait que je fasse un peu de fric et la porte d’entrée du rap était grande ouverte, donc j’ai foncé. 

Oui mais être un rappeur, et faire du rap, c’est différent non ? 

Oui, totalement. C’est une culture. Que je n’avais pas, que je n’ai jamais eue en fait. Sur le langage, le mode de vie, les vêtements, les activités. Je n’étais pas du tout dans cette culture. Je n’aime ni les grillz ni les Balenciaga. J’ai toujours eu un mode de vie assez simple. Donc en fait, je n’ai jamais été rappeur, mais j’ai fait du rap, et je ne m’en suis pas trop mal sorti, j’ai vendu 2-3 albums. 

C’est très à l’anglaise, en plus, de se réinventer d’un album à l’autre, il y a ce truc là quand même chez toi non ?

Oui. Tu sais, faire de la musique comme celle que je fais maintenant, c’est vraiment très difficile. Il fallait que je me confronte et que j’apprenne plein de choses. C’est une question d’énergie. Maintenant, pour écrire, j’ai besoin de vraiment connaître la musique. Ça a tout changé, j’ai découvert un monde que je ne connaissais pas et les possibilités sont infinies. Regarde, la science de la rythmique ça se termine assez vite mais la théorie rythmique, la théorie musicale, c’est pratiquement infini. 

Tu arrives à être sûr que le prochain album sera dans la veine de celui-là et que ça ne sera pas un album électro ? 

Non je ne peux pas dire. J’ai des pistes et c’est pas con ce que tu dis. Ça ne sera pas forcément électro, mais j’aimerai bien faire du rock-club en fait. De la musique de club mais avec du rock. Dans la veine de Justice, avec des instruments. J’ai l’impression que ça n’existe pas trop. Je ne sais pas encore. 

De toutes façons, je pense que tu ne feras jamais deux fois le même projet. 

Non, ça c’est impossible. 

Je n’ai jamais écouté Beauseigne après sa sortie. 

J’ai l’impression que les gens qui se prennent Encore, sont globalement les mêmes que ceux qui se prenaient Beauseigne. Tu le vois ça ? 

Je pense que Beauseigne avait fait un premier vrai tri. Je vois toujours des gens qui disent qu’ils sont déçus et que maintenant ils passent leur chemin. C’est la vie, ça veut dire qu’ils ont écouté tout ce que j’ai fait avant, c’est déjà beaucoup. 

Tu feras un jour partie des artistes qui suppriment leurs anciens projets ? 

Non. Moralement c’est compliqué. Je ne peux pas m’effacer. J’ai été convaincu à un moment donné. Il y a des choses bien, des choses qui me restent et me servent aujourd’hui. Maintenant ça appartient aux autres plus qu’à moi. Ça m’a aidé, je ne pourrai pas produire cet album sans les morceaux du passé, qui ont changé ma vie. Je n’ai jamais écouté Beauseigne après sa sortie. 

T’as du mal avec ça. 

Je te dis, il y a une histoire de temporalité aussi, quand Beauseigne est sorti je n’en pouvais plus, je ne l’aimais plus, je le connaissais trop. 

Qu’est-ce que tu n’aurais jamais osé faire avant de faire cet album ? 

Apprendre à chanter. Je pensais que je n’allais jamais savoir chanter de ma vie. Quand tu composes à la guitare, ce que tu joues doit être juste, donc ça éduque l’oreille. C’est quand même bien de savoir chanter. 

Ça a changé ta façon d’écrire ? 

Oui bien sûr. Au point que j’ai décidé d’apprendre la théorie aussi. Ça devient vite obsessionnel. Ça a ouvert un monde que j’ignorais, c’est le paradis. 

Donc là tu vas sortir de la musique tout le temps ?

Je vais continuer à en écrire, je ne vais jamais arrêter. Pourquoi ne pas avoir un projet à côté, comme Damon Albarn. 

Tu regardes toujours autant de l’autre côté de la manche ? 

Encore. J’ai découvert un mec qui s’appelle Dylan John Thomas là. Il y a Wet Leg. Fontaines D.C., j’avoue que j’ai pris une sacrée tarte.

Ça marcherait mieux pour toi en Angleterre ? 

J’aurai plus de succès, vu mon profil, c’est sûr et certain. Regarde Slowthai, c’est pas très éloigné. Musicalement je pense même que j’ai pris plus de risques que lui. Son dernier album j’avoue même que je suis un peu déçu. C’est en demi-teinte, les producteurs ont fait un travail de monstres et lui je le trouve un peu décevant. 

T’aimes bien quand ça se mouille quand même. 

Oui, il faut y aller à fond.  

Comme Liam Gallagher, on en est où avec lui ? 

Comme d’hab, j’attends qu’il reforme Oasis. Nan, il sort des bons morceaux. Il vieillit bien. C’est possible de bien vieillir en étant un connard comme ça donc c’est cool. 

Qu’est-ce que tu as fait pour la première fois avec ce disque ? 

Faire confiance à des gens autant que je me fais confiance. 

Ça vient de l’énergie du groupe ? 

Oui carrément. 

Ça appartient plus au rock qu’au rap d’ailleurs, l’énergie collective, là où le rap est très incarné en un seul nom. Maintenant tes musiciens font plus que jamais partie de ton nom. 

C’est impossible d’être seul dans ce registre là. Un seul cerveau ne suffit pas. Il faut du style, il faut de l’amour, il faut plein de trucs. Zed Yun Pavarotti, c’est devenu un groupe dont je suis le leader. 

Tu as déjà pensé à changer de nom de scène ?

Non. Jamais. Déjà je le trouve bien, ensuite ça aurait été idiot de ma part de faire ça. 

Tu écris en étant entouré au seul ? 

J’écris seul. 

Papier ou téléphone ?

Bah j’écris de tête maintenant. Parce que mes chansons ne sont pas très longues. Quand il y a plus de volume, je note, mais sinon j’improvise et j’essaie de retenir. Si j’arrive à le retenir, ça veut dire que ça marche. In amour, c’est un morceau écrit de tête. 

Qu’est-ce que tu écoutais au moment de la création d’Encore ? 

J’ai beaucoup écouté les Zombies. Je trouvais que c’était une bonne leçon de songwriting, sur les chutes inattendues. Les Kings aussi. En vrai, que du rock anglais entre les années 50 et début 70. 

Et visuellement ? 

Je ne regarde que des comédies romantiques, en boucle sur les deux dernières années. Nothign Hill, About time, Love Actually… Mariage Story. 

C’est un album d’amour ?

Il faut croire. C’est un album de fête. Il n’y a pas de fête sans désir et sans amour. Les gens se réunissent généralement dans l’espoir de ne pas repartir seuls. Mais c’est l’amour amical aussi, l’amour de manière générale, les gens qui s’aiment et la fête. 

Qu’est ce que tu n’as pas encore réussi à raconter sur une chanson ? 

Il y aura des morceaux plus durs pour moi. Pour le moment, je n’ai pas envie de faire autre chose que des chansons positives et qui font du bien. Mais à un moment je ferai un album très très triste. Pour le moment je ne suis pas prêt. 

Remonter sur scène, ça a été la rédemption pour moi.

Tu deales facilement avec le fait de faire de la musique joyeuse ? 

Il faut croire. Je ne pensais pas, je pensais que j’étais condamné à être un espèce de Lil Peep dans la tête des gens. 

Faire de la musique joyeuse, ça s’apprend ? 

Oui. Déjà parce que je ne connaissais pas la différence entre un mode majeur et un mode mineur. Et puis je n’avais vraiment pas envie de faire des trucs darks. La seule guitare-voix du projet, Julia, c’est une chanson plutôt heureuse. 

Tu aimes tous les morceaux de cet album ? 

Oui. Ça aussi, ça ne m’était jamais arrivé. C’est une histoire de compromis. J’ai parfois tenu compte des avis extérieurs. Mais ça m’a été utile. Lalaland, moi, je ne l’aurai pas mis. Je ne l’aimais pas et je ne l’aime toujours pas. On m’a expliqué qu’il fallait le mettre, je l’ai mis, ça a marché, voilà. Sur French Cash, c’était Septembre… Même sort. 

Et là, lequel a failli sauter, qu’on sache lequel va être un single ? 

Non là je les aime tous ! Sur un album de 11 titres, tu as moins de coups dans la gachette, je ne pouvais pas me planter ni partir dans tous les sens. Je devrais dire merci, j’ai un peu hésité. Mais c’était plus stylistiquement. 

Bon bah… J’imagine que là on est à 7 millions de streams. 

Rires

Nan mais c’est un album linéaire, qu’il faudrait écouter en entier, parce qu’il contient toutes les étapes et les énergies d’une fête. 

L’idéal ça serait qu’on le passe en entier en soirée. 

Je n’ai pas de plan de secours.

Et la scène, c’est comment ? J’ai trouvé ça hyper logique que tu fasses les petites salles là, en mode bar, à l’anglaise encore. 

Je voulais même des trucs plus trashs que ça, je voulais vraiment des lieux hyper absurdes. Jouer dans des lieux où personne ne joue. Finalement on a fait des salles très différentes, qui racontent des histoires. Ça a été la rédemption pour moi. J’étais tellement mal dans ma vie avant, je suis monté sur scène c’était fini, c’était réglé. Je te jure je suis sorti de scène la première fois quand j’ai recommencé là… tout avait changé. C’était vrai aussi pour les musiciens, c’était important que ça se passe bien collectivement. 

Tu as eu peur, pour la sortie de cet album ?  

Je n’ai pas de problème avec le fait de connaître l’échec en théorie. Mais mon cerveau est incapable de synthétiser ma vie si ça ne marche pas. J’espère ne jamais vivre ça. Je n’ai pas de plan de secours. Il faut que ça marche. Je veux faire de la musique encore longtemps. 

Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie, en 2023 ? 

Avant la sortie d’Encore, j’ai fait 3 dates. Le 4 (Supersonic, Paris), le 5 (Gare des Mines, Paris), le 6 (Pamela Club, Paris) et mon album sortait à minuit le soir de la troisième. Il faisait très beau jusqu’à la sortie de l’album. Et le 7 il pleuvait. C’est un bon présage j’espère. 

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Interview : Arthur Guillaumot / Photos : Zoé Joubert

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