Comment trouver le temps de lire ? L’époque graille chaque seconde disponible. Le temps de lecture fond en même temps que la banquise. On en discutait avec François Bégaudeau, qui a signé un roman très bref, L’amour. La solution très simple a notamment été de lancer notre propre prix littéraire. Dès lors, il était obligatoire de lire un max. Et ça valait le coup. 2023 était l’année idéale pour se débarrasser des totems, et des formats.

1. Neige Sinno – Triste Tigre 

FR – 17/08 – Récit – 288 pages – 20.00€ – P.O.L 

Goncourt de cœur, ce texte sublime est le plus récompensé de l’année 2023. Et s’il a manqué le sacre le plus important de l’édition française, c’est parce que des vieillards ventripotents comme Tahar Ben Jelloun, lequel disait dans L’Express, était gêné de projeter sous les sapins de Noël un texte sur l’inceste. Ce récit est primordial, dépouillé, osseux mais jamais courbé. Ce texte est à la Littérature ce qu’Anatomie d’une chute a été au cinéma. L’incontournable dont tout le monde avait besoin.

2. OtTessa Moshfegh – LapVona 

USA – 23/08 – Roman – 324 pages – 22.00€ – Fayard 

C’est ma grosse découverte de l’année en matière de littérature contemporaine. J’étais jusqu’alors passé à côté, alors qu’elle a publié des gros bangers comme Mon année de repos et de détente, son deuxième roman, paru en 2019, ou Nostalgie d’un autre monde, recueil de nouvelles paru en 2020 (oui je me suis rattrapé). Lapnova rompt totalement avec les habitudes de Moshfegh, qui plante son roman dans un moyen-âge éventuel pour interroger d’une nouvelle façon l’absurdité de la condition humaine. Comme elle sort un texte par an, elle devrait être dans tous mes prochains top.

3. Geoffroy de Lagasnerie – 3, une aspiration au dehors 

FR – 08/03 – Essai – 202 pages – 21.50€ – Flammarion 

Si vous avez entendu parler de cet essai brillant, peut-être que vous avez aussi entendu les présentateurs de la matinale de France Inter cracher leur café à l’écoute des idées défendues ici par Geoffroy de Lagasnerie. En effet, dans ce texte, on pense l’époque à rebours : la famille n’est plus obligatoirement le modèle à suivre. Les cycles qu’on suit ne sont pas indiscutables. Tout peut être remis en cause. L’auteur le présente à raison comme un manuel de vie anti-institutionnelle, pour lutter contre les orientations traditionnelles de l’existence.

4. Lydie Salvayre – Irréfutable essai de successologie 

FR – 06/01 – Essai – 176 pages – 17.50€ – Seuil 

Paru au tout début de l’année, justement en pleine rentrée littéraire de janvier, cet essai est un joli pied de nez au milieu des écrivain.es qui se prennent pour des grandes statues, et celles et ceux qui rêvent d’en être. Lydie Salvayre se propose d’expliquer précisément tout ce qu’il faut faire pour parvenir à ses fins en Littérature. C’est drôle et juste.

5. Eléonor de Duve – Donato 

BEL – 31/08 – Roman – 216 pages – 21.00€ – Editions Corti 

Ce premier roman signé Eléonor de Duve a reçu notre premier prix littéraire Première Pluie du meilleur premier roman. Pour cette raison, il était évident qu’il figure dans ce top de fin d’année. Mais aussi parce que ce roman, qui suit la trajectoire d’un homme Donato, comme l’enquête intime de sa petite fille Clio, des collines des Pouilles, jusque dans les mines belges, est bouleversant, autant par son style que par sa précision.

6. Panayotis Pascot – La prochaine fois que tu mordras la poussière

FR – 23/08 – Récit – 240 pages – 19.50€ – Stock 

Même Panayotis doit être surpris du succès de son premier livre. Succès totalement mérité, pour ce texte sensible et profond, porté par une génération qui n’a pas forcément l’habitude qu’on trouve les mots justes pour lui parler. Panayotis s’est livré, et ça a marché, comme une confidence universelle.

7. François Bégaudeau – L’amour 

FR – 17/08 – Roman – 96 pages – 14.50€ – Verticales 

Il plaît beaucoup ou crispe tout autant ce texte très court, qui se propose de décrire l’amour tel que vécu, sans fioritures, entre Jeanne et Jacques pendant les 50 ans de leur relation. Le temps passe sur les deux protagonistes, il y a des marques et des repères. La simplicité précise employée par François Bégaudeau est foudroyante.

Lisez ici notre discussion avec François Bégeaudeau

8. Raphaël Haroche – Avalanche 

FR – 12/01 – Roman – 224 pages – 18.50€ – Gallimard 

Parus ces dernières années, chez le même éditeur, les deux recueils de nouvelles du chanteur étaient deux merveilles de style. La grâce s’est penchée sur Raphaël, qui peut vraisemblablement employer le médium qu’il veut pour communiquer la beauté sensible des choses, des relations, des histoires et des gens. Quand il écrit on croit à tout.

9. Joséphine Tassy – L’indésir 

FR – 17/08 – Roman – 400 pages – 20.90€ – L’Iconoclaste 

Si la maison Iconoclaste a été gâtée du Goncourt cette année pour Veiller sur elle, de Jean-Baptiste Andréa, la pépite était ailleurs à mon sens. Dans un premier roman, celui de Joséphine Tassy, qui explore un concept en même temps qu’une histoire : l’indésir qui lui colle à la peau. De la mort de la mère, la narratrice fait une enquête sous forme de puzzle aussi absurde qu’intense.

10. Clément Camar Mercier – Le roman de Jeanne et Nathan 

FR – 23/08 – Roman – 352 pages – 22.50€ – Actes Sud 

Pas si étonnant qu’un spécialiste du théâtre élisabéthain, de Shakespeare en particulier, soit l’auteur d’un texte aussi moderne et minutieux. Dans le roman de Jeanne et Nathan, Jeanne actrice porno super célèbre et Nathan, prof de cinéma américain super blasé se croisent dans les lignes artificielles de la drogue et de ses réalités parallèles. Ce roman est de notre temps, jus de l’époque, et de la substance acide de nos rêves brisés.


Des mentions pour des premiers textes évidemment, Vierge de Constance Rutherford chez Harper Collins, Adieu Tanger de Salma El Moumni chez Grasset, Orchidéiste de Vidya Narine aux Avrils, Tumeur ou Tutu de Léna Ghar, prodigieux dans la forme chez Verticales ou encore Eunice de Lisette Lombé au Seuil. L’occasion aussi de citer Western de Maria Pourchet chez Stock ou Les alchimies de Sarah Chiche au Seuil, Que notre joie demeure de Kévin Lambert au Nouvel Attila, et La nuit imaginaire de Hugo Lindenberg chez Flammarion. Je veux aussi citer ici L’enfant dans le taxi de Sylvain Prudhomme aux Editions de Minuit et Les conditions idéales de Mokhtar Amoudi chez Gallimard. Oui, si vous observez bien, je me suis plus intéressé à la rentrée d’automne. Promis, on parle de celle de janvier 2024 très vite. + achetez des chez libraires indés !

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Arthur Guillaumot