Photographies, le deuxième album d’Alice et Moi est sorti en novembre 2023. Le travail de l’auteure compositrice et interprète est toujours traversé par un rapport complexe à l’image, où l’équilibre est une quête permanente, faite de compromis sensuels et d’arrangements envoûtants. On a discuté avec elle avant son concert à L’Autre Canal. 

On avait discuté en 2021, pour Drama, et pour Filme-moi. J’ai l’impression que Photographies, ton deuxième album, est un tout petit peu plus tourné vers le passé et vers la possibilité de partir. Ne serait-ce que parce que la photo convoque le souvenir figé, là où le film convoque le mouvement. C’est juste ?

C’est hyper vrai. C’est trop cool que tu me dises ça, parce que je ne m’en étais peut-être pas rendu compte, mais quand tu le dis c’est assez clair. 

Je pense à des chansons comme Je m’en vais, mais aussi comme Ça me va

Complètement. Dans Je m’en vais, je dis que “j’ai brûlé les photos-souvenirs du passé”. C’est la chanson de la fin, où je dis que je m’en vais et que j’accepte de laisser le passé derrière moi. Mais tout l’album, d’une certaine façon, je regarde derrière. Pour apprendre à vivre avec le passé. 

Ce que j’ai sur le cœur, je l’accepte toujours grâce à la musique. 

Ça donne aussi le sentiment que tu es en paix avec ce que tu es et ce que tu as. 

Oui, je pense qu’il y a un entre-deux. Il y a une sorte de dualité, comme d’hab, entre le fait qu’il y a ce côté nostalgique en moi. Sur Caramel, j’imagine me souvenir d’un baiser amoureux qui me ferait l’effet d’un caramel pour me rappeler le passé. Et en même temps dans les sons, notamment avec la puissance des arrangements, il y a cette idée entraînante du lâcher prise. Même sur Photographies, quand je me demande pourquoi je ne me trouve pas jolie. Je danse sur les pourquoi. La musique aide à avancer et à aller mieux. Ce que j’ai sur le cœur, je l’accepte toujours grâce à la musique. 

Ça commence toujours avec un peu de mélancolie alors ? 

Oui. Malgré moi hein ! C’est ça Alice et Moi. 

Alice et Moi, c’est aussi l’idée d’être traversée d’images. Ce n’est jamais trop ? 

Je vois toujours les choses des deux côtés. À la fois j’adore et à la fois je déteste. J’ai toujours eu du mal à choisir mon camp. Parfois les réseaux sociaux, les vidéos, l’image, c’est ce qui permet de se faire connaître et une photo peut permettre d’immortaliser un beau souvenir. Et en même temps, parfois je zoome sur des photos où je me trouve horrible, et j’ai peur que les photos me rattrapent ou que les souvenirs me hantent. Toujours l’entre-deux. 

Même si je jetais tout dans l’océan, je continuerai de me faire des films.

D’ailleurs c’est quand-même ton téléphone que tu prévois de jeter en premier sur Je m’en vais. C’est pas du tout anecdotique. 

Oui, c’est vrai que je dis ça. “J’ai jeté mon téléphone dans l’océan à jamais”. 

Est-ce que tu penses que ton travail a vocation à être porté par la thématique de l’image à jamais ou alors tu pourrais faire la paix ? 

Je crois que j’aimerai bien. Mais je crois qu’avec ou sans téléphone ou caméra, je me fais des films et des photos dans ma tête. Donc même si je jetais tout dans l’océan, je continuerais de me faire des films. La fille qui se fait des films dans sa chambre, j’ai de la tendresse pour elle parce que c’est celle que j’étais quand j’étais petite, timide et rêveuse, et en même temps, il faut parfois qu’elle laisse les films pour vivre pour de vrai. Donc c’est un équilibre à trouver. 

Et tu as fait la paix avec ton image ? 

C’est une grande question. C’est fou comme à la fois on peut trouver du réconfort dans des photos de nous où on se trouve bien et celle d’après on se trouve horrible. J’ai quand-même beaucoup travaillé sur ça. Ça m’a aidé de discuter avec des réalisatrices ou des photographes. Je mets au féminin, parce que c’était souvent avec des femmes. Elles m’expliquaient qu’il ne faut pas voir une photo comme ce que les gens perçoivent de nous. Figés. On est en mouvement. Dans un sens comme dans un autre, une photo est un reflet. Ce n’est pas la réalité. Donc quand je me trouve bien je suis contente et quand ça ne va pas, j’essaie de me souvenir que c’est une ombre, et pas vraiment la réalité. 

On voulait montrer des facettes très différentes. 

Sur cet album, tu as travaillé à la composition uniquement avec Dani Terreur, qu’est-ce que a apporté, d’être uniquement dans un dialogue ? 

J’ai adoré ça. Le fait qu’on soit que tous les deux, à la fois dans la co-compo et les arrangements. Il y avait une sorte de liberté et de complicité. Il m’accompagne sur scène, donc il anticipait la meilleure façon d’accompagner ma voix. On a beaucoup pensé à la scène. C’était un lâcher prise total. On a fait une résidence en Normandie, où j’ai pu écrire tous les jours. J’ai des photos mentales des moments de déclics où les chansons nous emmenaient quelque part. Je pense qu’on était tous les deux emportés par cette énergie, qui n’a jamais été rompue. Et ça s’est fait assez vite en plus. 

Vos parcours se traversent depuis très longtemps, donc il semblait être le partenaire idéal pour composer, et en en même temps, il faut continuer de se surprendre. 

Exactement. C’est ce qu’on a essayé de faire. Notamment dans les styles. Tu vois Poison, qui est un peu plus dark et qui est arrivée vers la fin. J’avais envie de cette énergie plus abyssale. On voulait montrer des facettes très différentes. 

J’espère un jour me sentir un peu plus star.

Qu’est-ce que tu n’as pas encore réussi à faire ?

Il y a un truc simple, mais je ne suis pas sûr d’y arriver un jour : me sentir star. Ça peut paraître bizarre dit comme ça. Ça fait partie de ma spontanéité, et je me sens naturellement proche de tout le monde. Mais de temps en temps, j’aimerai avoir cette confiance en moi. Je pensais naïvement que ça viendrait après quelques albums.

Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ? 

Déjà, je l’avais déjà dit dans le passé : je trouve ça très joli. J’aurai pu appeler une chanson « première pluie ». Ça m’évoque l’espoir et la libération. Je vois une nuit d’été, où il a fait chaud, il pleut et enfin les corps se rapprochent, les gens s’avouent qu’ils s’aiment, ils se libèrent, dansent et ont confiance en eux. 

C’est un clip d’Alice et Moi en fait ! 

Je te dis que je me fais des films dans la tête tout le temps !

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Interview : Arthur Guillaumot // Photo de Une : Ella Hermë