< Tous les articles critique Théâtre Lieux communs de Baptiste Amann — Festival d’Avignon Par Joshua Thomassin 12 juillet 2024 Lieux communs était une entreprise redoutable : sur fond d’une affaire criminelle liant une grande famille d’extrême droite, l’activisme antiraciste et les violences faites aux femmes, Baptiste Amann dépeint notre société sous ses contradictions les plus sensibles. Face à notre implacable besoin de vérité, la violence nait-elle de nos tiraillements, de ce qu’on ne peut résoudre ? « Pour un coeur en guerre, toute tentative de paix est une entreprise de colonisation » Charlotte, assistante communication dans la pièce Pour Lieux communs, Baptiste Amann créé un fait divers fictif. On est en 2007, Issa Comparé est accusé d’avoir assassiné Martine Russolier, fille d’un homme politique d’extrême droite. Il clame son innocence puis finit par avouer et est condamné. Presque 20 ans plus tard, il continue de purger sa peine lorsque l’affaire retrouve la Une des journaux : Caroline Menon-Bertheux, la directrice d’un théâtre public, met en scène les poésies d’Issa Comparé, écrites en prison. Ce qui déclenche une vague de protestations et d’actions des mouvements féministes. Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon L’irrésolu Comment mener l’intersectionnalité des luttes ? Peut-on mettre en scène les textes d’un criminel ? L’art est-il forcément politique ? Peut-on tout représenter ? La violence peut-elle être légitime ? Ou même nécessaire ? Les questions posées par Lieux communs sont denses, trop pour posséder une réponse unique, une simple vérité. Comme face aux grandes affaires criminelles qui tiennent en haleine tout un peuple, on veut pourtant savoir, coûte que coûte. L’irrésolu est au centre de nos existences : c’est la passion motrice de nos désirs, de nos angoisses, de notre dramaturgie personnelle. Quoi de plus logique alors que d’utiliser le thriller pour tenter d’apporter des réponses, même aux questions les plus existentielles. Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Être ou ne pas être Disait Hamlet sous la langue de Shakespeare. La phrase prend sens petit à petit dans la pièce, elle agit sur les personnages comme elle agit sur nous. N’y a-t-il que 2 solutions à l’épreuve qu’on nous impose ? Être : avoir « réussi », grâce à l’argent et un emploi désirable. Ne pas être : ne rien posséder, ni succès, ni liasse de billets. Le personnage de Caroline le résume par « une distinction politique entre l’existence et l’inexistence« . Pour Issa Comparé, tout s’y joue. Son père lui reprochait sa faiblesse, et le frappait pour l’endurcir. Être un homme, être violent. Baptiste Amann identifie deux virilismes, qui alimentent la pièce comme le monde patriarcal : un « virilisme de conquête » et un « virilisme de défense« . Le premier applique la loi du plus fort, « c’est le système colonial, le patriarcat, c’est la finance : tous ces espaces où l’homme de pouvoir exerce sa domination et sa force dans l’extension de sa juridiction« , le deuxième est une réponse à la lutte à mort qui s’opère, « dont le dessein est de masquer toute vulnérabilité au prétexte qu’elle contiendrait un risque trop élevé d’anéantissement« . C’est ce qui a finalement poussé Issa Comparé à tuer son père, lui-même soumis entre deux types de virilisme, l’un subi au travail, l’autre provoqué de la plus odieuse manière à la maison. Nous ne saurons jamais si ces structures patriarcales l’ont aussi poussé à tuer Martine Russolier. Nous savons juste que la même pièce continue d’osciller entre ces deux faces, et qu’elle est encore trop dure, trop prégnante pour être écrasée. Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon La violence comme revanche Qu’est-il alors possible d’opposer face à ces constructions sociales ? De la violence ? Forcément il y en aura. Pour Farah Comparé, soeur d’Issa, c’est clair : « Pour s’en affranchir, nous devons engendrer notre propre violence« . S’appuyant notamment sur les travaux d’Elsa Dorlin dans Se défendre, la violence peut aussi être un principe émancipateur, subi mais nécessaire. La violence est une réaction, un produit social répondant à son propre écho. Il n’est pas ici question de dire qu’elle est la seule manière de s’affranchir, mais qu’elle permet de renverser les systèmes de domination, l’être ou ne pas être. Il est aussi possible de s’opposer par des identités multiples, contradictoires, sensibles. Le brio de l’écriture de Baptiste Amann réside dans son approche des contradictions. Face à la recherche de nouvelles identités trop longtemps bafouées, de nouveaux communs trop longtemps réservés, il y a forcément des fissures, des erreurs, des visions qui s’opposent. Comme celle de Charlotte, jeune assistante communication, face à celle d’Indra, réalisatrice renommée. L’auteur se contente de les exposer avec justesse, sans les décrédibiliser, assurant la légitimité de chacune d’elle. Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Quand une directrice de théâtre décide de mettre en scène les poèmes écrits en prison par l’assassin racisé (et jugé après des aveux obtenus sous la torture) d’une femme d’extrême droite, il ne peut pas y avoir qu’une réponse, qu’un écho commun. On peut être légitime à dénoncer le féminicide de plus et à manifester contre l’exposition de ces textes dans l’espace public. Et on peut aussi l’être à considérer que le coupable n’est toujours que présumé et que son lynchage médiatique a participé au mythe du « violeur noir » et à l’humanisation de l’extrême droite, qui utilise dans ses armes la défense des femmes comme instrument raciste. » Lieux communs n’apportera pas la vérité recherchée, il la questionne encore et toujours. Baptiste Amann se joue de nous et cache ses indices, il distille les bribes de sa partition sans jamais nous perdre. Les différents tableaux : coulisses d’un théâtre, garde à vue, atelier de restauration de tableaux, émission télé, tous passionnent, tous tiennent l’intrigue avec chacun leur fil, leur dose de comique, d’inattendu, de violence, et tous se rejoignent, inlassablement, vers ces innombrables questions. Lieux Communs est une fresque sociale intense, multiple et précise. Chaque situation de la pièce est prétexte à une longue dissertation de philo. Mais contrairement à d’autres, la densité du texte n’empêche pas le rythme de s’imposer, au contraire, elle le nourrit. __ Durée : 2h30 Avec Océane Caïraty, Alexandra Castellon, Charlotte Issaly, Sidney Ali Mehelleb, Caroline Menon-Bertheux, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Pascal Sangla Texte et mise en scène Baptiste AmannScénographie et lumière Florent JacobSon Léon BlommeCostumes Estelle Couturier-Chatellain, Marine PeyraudCollaboration artistique Amélie Énon Assistanat à la mise en scène Balthazar Monge, Max UnbekandtRégie générale Philippe Couturier Régie plateau François Duguest Régie lumière Clarisse Bernez-Cambot Labarta Régie son Léon Blomme Production Morgan Helou Administration Elisa Miffurc Tournée : 24 septembre au 10 octobre 2024 : Montreuil – Théâtre Public de Montreuil 16 et 17 octobre 2024 : Marseille – Le Zef 27 au 29 novembre 2024 : Béthune – La Comédie de Béthune 05 au 08 février 2025 : Bordeaux – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine 13 et 14 février 2025 : Limoges – Théâtre de l’Union 18 au 21 février 2025 : Saint-Etienne – La Comédie de Saint-Etienne __ Texte : Joshua Thomassin Photos : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon À lire aussi critique Théâtre Le temps des fins de Guillaume Cayet — Critique 04 Déc 2024 Le temps des fins est une pièce qui ne traite pas de la fin des temps mais de la fin de l’infini. 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Antigone est la fille d’Œdipe et Jocaste. Ses deux À la loupeCartes postalesDossiersHoroscopeInterviewsPlaylists