< Tous les articles critique Théâtre Quichotte de Gwenaël Morin — Festival d’Avignon Par Joshua Thomassin 20 juillet 2024 Il arrive des spectacles où la déception l’emporte sur l’amour que l’on porte à un·e artiste. Le théâtre de Gwenaël Morin a beau être l’un des plus intéressants du siècle, il n’a pas réussi à surmonter Don Quichotte. Jeanne Balibar et Marie-Noëlle y sont magiques, mais elles manquent cruellement de soutien. Chronique d’un metteur en scène perdu face à l’immensité de son personnage. Gwenaël Morin a choisi de commencer au début de Don Quichotte, et de s’arrêter « là où on sera arrivés au moment de présenter le spectacle« . Marie-Noëlle s’avance alors et lit ses fiches. Elle fait office de narratrice pour nous aider à appréhender le récit. Mais contrairement à la mise en scène du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare l’année dernière, où était disposé un tableau récapitulant les personnages et les actes, on se perd dans les explications et on n’y retient rien d’opérant. Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Jeanne Balibar débarque et la lumière fût, on y aurait cru. Accompagnée de deux acolytes qui multiplieront les rôles, les scènes se déploient, sans tenir sur de véritables situations. Le metteur en scène plus directement : « la situation c’est la pièce en elle-même« . Mais on ne parvient pas à rentrer dedans. Il utilise plusieurs formes, du burlesque au silence, de l’interaction avec le public aux tirades expédiées. Tout s’enchaîne dans un faux rythme répété, qui ne permet pas d’y imaginer de la vie, qui ne nous permet pas d’y croire. Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon À l’intérieur, on trouve tout de même quelques moments géniaux : la première fois que Marie-Noëlle lâche ses fiches pour devenir notre traductrice des actions délirantes de Quichotte, enfin on est pris, on a un endroit d’accroche. Sauf que la proposition s’épuise et disparait aussi vite que venue. En fin d’aventure, on nous fait faire la danse des moulins et la magie opère. On devient l’imagination de Quichotte, on le regarde dans le blanc des yeux et on y ressent ses contradictions. Mais de la même manière, l’opération est isolée. L’autodafé de la bibliothèque de Quichotte aurait aussi pu être un climax, mais on se perd dans une liste de références littéraires cryptiques, sauvée seulement par la verve de Marie-Noëlle. Du reste, beaucoup de temps longs et un rapport scène-public qui n’arrive pas à rester ténu. Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Gwenaël Morin a toujours pratiqué du théâtre à vue. Tout se dévoile devant le spectateur, on ne se cache pas pour se changer ou pour prendre un autre rôle. Il bannit les artifices et ne montre que les corps se confrontant au texte. Au Quichotte de Jeanne Balibar, il donne un esprit enfantin, presque clownesque, que l’actrice interprète à merveille. Mais l’innocence de l’enfance soumise au destin de Quichotte ne prend pas plus d’espace qu’une intention, elle ne parvient pas à trouver de force. Au centre de l’histoire de Don Quichotte, il y a la notion de « croire sans voir« . C’est tout le sens du théâtre de Gwenaël Morin. Sauf qu’ici, on ne nous a laissé croire à rien, certain·es ont pouffé de rire, d’autres sont resté·es ébahi·es. Les idées se sont succédées, plus ou moins bonnes, mais aucune structure, aucun rythme n’a soutenu notre attention. On a été forcé·es d’y rester extérieur·es. Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Quichotte était peut-être trop proche de Morin. Ils se ressemblent peut-être trop pour s’assembler. C’est comme si le personnage avait mis en scène sa propre histoire : il s’est perdu au fil de son imagination. La chevalerie errante est devenu un théâtre errant. Qui, contrairement à l’accoutumée, n’a pas réussi à se définir de but. Démonter les remparts pour finir le pont, le projet sur 4 ans qui lie Gwenaël Morin au Festival d’Avignon, l’invite à mettre en jeu chaque année un texte de la langue invitée. Pourquoi ce projet ne s’est pas directement lié à l’âme du Théâtre Permanent ? Créé par Gwenaël Morin aux Laboratoires d’Aubervilliers, il a pour but de répéter, jouer et transmettre en continu. Peut-être que ce Quichotte, en répétition constante, avec un accès gratuit pour tous·tes, serait une meilleure manière de démonter les remparts. Peut-être que ce jardin de la Maison Jean Vilar, dont les gradins sont remplis à au moins 80% de cheveux gris n’est pas lieu approprié pour construire un pont, en tout cas de cette manière. Le théâtre de Gwenaël Morin doit être défendu car il est d’intérêt public : il a brillé sur Le Songe, il a chuté sur Quichotte. Peut-être doit-il être pensé différemment pour qu’il continue sa mission première : rendre accessible par la scène, par la puissance des corps et des voix, les textes du répertoire. À l’année prochaine, on attend une revanche. __ Durée : 1h45 Avec Jeanne Balibar, Thierry Dupont, Marie-Noëlle, Léo MartinTexte d’après Miguel de Cervantes Adaptation, mise en scène et scénographie Gwenaël MorinLumière Philippe GladieuxAssistanat à la mise en scène Léo MartinTravail vocal Myriam DjemourCostumes Elsa DepardieuRégie générale et lumière Loïc EvenRégie plateau Jules Guittier Tournée : 18 au 21 septembre 2024 : Annecy – Bonlieu 26 septembre au 12 octobre 2024 : Paris – La Villette 15 au 18 octobre 2024 : Bordeaux – Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine 07 et 08 novembre 2024 : Chambéry – Espace Malraux 14 et 15 novembre 2024 : Martigues – Les Salins 20 au 23 novembre 2024 : Genève🇨🇭 – Théâtre Saint-Gervais 26 au 28 novembre 2024 : Mulhouse – La Filature Mars 2025 : Lausanne🇨🇭 – Théâtre Vidy-Lausanne 18 au 22 mars 2025 : Toulouse – Théâtre Sorano 25 et 26 mars 2025 : La Rochelle – La Coursive 29 et 30 avril 2025 : Aix-en-Provence – Théâtre du Bois de l’Aune __ Texte : Joshua Thomassin Photos : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon À lire aussi critique Théâtre Le temps des fins de Guillaume Cayet — Critique 04 Déc 2024 Le temps des fins est une pièce qui ne traite pas de la fin des temps mais de la fin de l’infini. 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