Le Festival d’Avignon a fermé ses portes ce 21 juillet. Il est temps de dresser le bilan.

35 spectacles dans le IN, 1666 dans le OFF, dans une période resserrée et avancée pour ne pas empiéter sur les JO. Un contexte forcément modifié par les échéances électorales (entre-deux-tours pendant la première semaine du Festival), qui ont fait trotter dans toutes les têtes la question du devenir du spectacle vivant, et de la Culture. La terrible vague n’a pas encore eu lieu. Si la direction que prend le Festival depuis la prise de fonction de Tiago Rodrigues l’année dernière est celle qu’il faillait emprunter, le combat reste actuel pour déconstruire l’entre-soi théâtral, tant dans l’accessibilité que dans les choix de programmation.

Quelques artistes sortent du lot, en particulier Caroline Guiela Nguyen et Lorraine de Sagazan. Ces artistes-actrices-autrices-metteuses en scène-etc créent ce qu’il fait de mieux sur les planches. Les images qu’ont laissé Lacrima et Léviathan resteront vivaces et continueront d’être discutées ces prochaines années.

La langue espagnole était invitée, c’était l’occasion de découvrir de nouvelles voix. De Tiziano Cruz, sa parade festive et son manifeste antiraciste, à Lola Arias et son vibrant Los días afuera, en passant par la créativité sans limite de Baro d’evel dans Qui som ?, la sensibilité numérique de Malicho Vaca Valenzuela dans Reminiscencia et la réinvention de La Mouette par Chela De Ferrari.

Pour nous c’était 2 semaines, une vingtaine de spectacles, une cinquantaine d’heures de sommeil entre la préparation du prochain magazine. Vous voulez un bilan, savoir ce qui a été grandiose ou à ne plus faire ? La réponse est ici. On a établi une note de recommandation, de 0 à 5 🗝️.

LACRIMA — Caroline Guiela Nguyen 🗝️🗝️🗝️🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

La directrice du Théâtre National de Strasbourg est vraiment la boss de ce jeu. Avec Lacrima elle a écrit et mis en scène la pièce la plus intelligente que j’ai vu depuis longtemps. J’y suis allé en pensant que j’avais un problème avec les pièces longues mais j’en suis sorti en ayant eu l’impression que ce coup de génie avait duré le temps d’un claquement de doigts. Pourtant, sous nos yeux défilent des drames et des vies en même temps qu’une robe se créée. Avec l’habileté d’une série ou d’un superbe roman, Lacrima entremêle des destins qui se répondent et s’augmentent les uns les autres. C’est d’une beauté précise, celle d’une maison de haute couture parisienne, celle des dentellières d’Alençon, celle du brodeur de Mumbai. AG

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Léviathan — Lorraine de Sagazan 🗝️🗝️🗝️🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Il n’y a rien à redire sur le spectacle de Lorraine de Sagazan, tant dans sa plastique fabuleuse que dans l’acuité de son propos. Avec Guillaume Poix à l’écriture, elle dissèque le système judiciaire français, y expose ses contradictions et son inhumanité, puis propose des alternatives. C’est efficace et précis. Ses comédien·nes sont exceptionnel·les, et face à la stupéfaction de quelques membres du public en fin de spectacle, elle montre toute la nécessité de repenser la justice punitive. JT

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Lieux communs — Baptiste Amann 🗝️🗝️🗝️🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Lieux communs est au croisement parfait : il s’engage dans des questionnements complexes et passionnants, qu’il récite dans une dramaturgie haletante en empruntant les codes du thriller. Une crise politique se déclenche d’un fait qui aurait pu être divers, dont les remous sont toujours actifs 20 ans après : un homme noir a été accusé et jugé coupable d’avoir tué la fille d’un homme politique d’extrême droite, et aujourd’hui une metteuse en scène adapte au théâtre ses poésies écrites en prison. On suit le passé et le présent de cette histoire, et on ne baisse pas les yeux pendant 2h30, concentrés sur l’habileté du texte et le rythme mené comme un orchestre. JT

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Final cut — Myriam Saduis 🗝️🗝️🗝️🗝️🗝️

Marie-Françoise Plissart

Sur le point de me dire “un seul en scène de plus” dans la mare d’acteur.ices en solitaire qui peuplait le festival d’Avignon cette année, quand Final cut me met une droite dans le visage. Plus qu’un récit autobiographique, une plongée dans l’histoire, la vraie, celle tûe des manuels scolaires. La violence de la décolonisation tunisienne, tranche en son milieu la famille de Myriam Saduis qui s’évertue à comprendre, douloureusement, son passé. Entre cours d’histoire et autopsychanalyse, la comédienne à la voix rauque se livre, fragile et forte, drôle et touchante. CB

La vie secrète des vieux — Mohamed El Khatib 🗝️🗝️🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Mohamed El Khatib a une vision du théâtre très claire : faire monter le public qu’il veut voir dans la salle — mais qui ne vient pas au théâtre — directement sur scène. Cette fois, il a choisi les vieux, et il avait envie de leur faire parler de leurs désirs et de leur rapport à la sexualité. Sur le plateau, ces vieux ne bougent pas beaucoup mais se livrent dans un concours d’anecdotes entrecoupé de souvenirs collectifs. C’est revigorant, ça aborde la mort sans complexe, et ça se laisse aller à l’intime avec une humanité complice. JT

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Qui som ? — Baro d’evel 🗝️🗝️🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

La compagnie Baro d’evel a fait de sa subversion une force de création, et ils viennent de conquérir Avignon. Qui som ? a provoqué un vent de fraicheur dans la capitale du théâtre, en croisant les disciplines dans un festin burlesque. Des chutes, du plastique, des vagues, de la danse, des clowns, une fanfare, un chien, de la poterie, du rire, un père Noël, encore un chien, de la vie, des barbes, des chauves, de la casse, et un peu d’espoir. Repas gagnant. JT

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Si Vénus avait su — Sigrid Carré-Lecoindre & Margaux Eskenazi 🗝️🗝️🗝️🗝️

Loïc Nys

“Ça faisait longtemps que je n’avais pas été touché, je veux dire, vraiment touché.” Sur les traces des métiers méconnus de la socio-esthétique, le duo d’acteur·ices de Si Vénus avait su se niche au creux de l’intimité des corps. Corps âgés, cicatriciels, gros, malades ou encore morts, cette pièce est une caresse, un câlin collectif, un hommage à celles et ceux qui souffrent et celles et ceux qui ont dédié leur vie à en prendre soin. La pièce prend la forme d’une émission télévisée aux présentateurs déjantés, des prestations musicales aux accents de cabaret s’y succèdent. Mais derrière cette fête, une sensibilité, une poussière sur la cornée. CB

La gaviota — Chela De Ferrari 🗝️🗝️🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Chela De Ferrari adapte La Mouette de Tchekhov dans une version réinventée par le handicap de ses interprètes non ou malvoyants. Le texte de l’auteur russe trouve une nouvelle identité, touche le sublime avec précision, d’une manière plus intime qu’à l’accoutumée. La pièce ne perd rien de son comique et de sa fraicheur, et cela fait toujours un bien fou de l’entendre. JT

DÄMON El funeral de Bergman — Angélica Liddell 🗝️🗝️🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Les gens partent d’abord par grappes éparses, puis presque continuellement à certains moments. La cour d’honneur pour Angélica Liddell, en ouverture du festival, voilà un pari audacieux. Je ne sais toujours pas si j’ai aimé le spectacle, mais on sort forcément frappé, d’un tel règlement de compte avec le temps — entendez tout ce qui constitue l’époque et tout ce qui file chaque jour. Avec son hommage au cinéaste suédois Ingmar Bergman, qui avait écrit ses propres funérailles, la chorégraphe espagnole est à la hauteur du moment qui lui est confié. Comme toujours provocante et singulière, elle s’empare de son espace pour en faire un haut lieux de la poésie arrogante, celle qui se bat en duel avec la tiédeur, avec la critique et avec le temps. La présence sur scène des vrai·es comédiens et comédiennes qui ont travaillé avec Ingmar Bergman il y a des décennies rassure sur l’issue de la vie, et rappelle la dimension organique de l’existence. AG

Reminiscencia — Malicho Vaca Valenzuela 🗝️🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Un spectacle en visio, où l’artiste chilien revisite son confinement au travers de ses souvenirs numériques. D’une carte interactive on découvre les détours de son quartier de Santiago, des anecdotes familiales aux instants charnières du pays. Il souhaitait filmer ses grands-parents et raconter leur histoire, il a trouvé la forme pour le faire. Son empathie nous emporte, et on serait prêt à l’écouter des heures cliquer sur son ordi. JT

Soliloquio — Tiziano Cruz 🗝️🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

L’artiste argentin fait du théâtre pour la libération de son corps et de celui de tous les peuples autochtones victimes de discriminations racistes par les descendant·es des colons. Dans Soliloquio, il débute par une déambulation dans Avignon, pour célébrer l’instant, danser pour l’espoir et envoyer une avalanche de joie, mais aussi pour y lire son manifeste. De retour en salle, il questionne la place de l’art et sa place en tant qu’artiste. Il le fait avec une acuité indiscutable : on reste assis et on profite de pouvoir l’écouter. JT

Wayqeycuna — Tiziano Cruz 🗝️🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Issu de la même trilogie que le précédent, Tiziano Cruz se lie au public à son histoire intime, celle de la mort de sa soeur, de sa « trahison » aux siens, parti d’abord pour l’Europe et délaissant sa culture. L’importance qu’il y a retrouvé après son retour au pays galvanise, et permet de faire entendre les voix des peuples oubliés, dont les luttes ne nous parviennent pas. C’est un spectacle nécessaire, au sens premier du terme. JT

Zaï zaï zaï zaï — Paul Moulin 🗝️🗝️🗝️

François Goize

L’inventivité est dans sa forme le plus comique et la BD de Fabcaro épouse le plateau avec un plaisir espiègle. Dans une mise en scène radiophonique, les comédien·nes enchaînent les rôles à un rythme effréné, celui d’une cavale burlesque où tout semble s’empirer. Toutes les idées font mouche et les fabrications à vue — du jeu comme des bruitages — nous embarquent dans cette course poursuite jouissive. C’est efficace et ça fait ressortir avec le sourire, et des fois on ne demande rien de plus. JT

Avignon, une école — Fanny de Chaillé 🗝️🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Fanny De Chaillé a invité les élèves de l’école de théâtre de Lausanne à raconter Avignon. Une tâche monumentale prise avec une énergie à toute épreuve. Lancé à 23h59, le spectacle tient en haleine seulement grâce au relais continu d’une présence intense sur le plateau. Ces jeunes comédien·nes ne peuvent laisser indifférent·es, ils jouent chaque minute sur scène comme leur dernière occasion. Et il fallait bien ça pour tenir éveillé dans ce récit diffus mais instructif et moderne sur le théâtre à Avignon, de Jean Vilar à Rébecca Chaillon. JT

Poil de carotte, Poil de carotte — Flavien Bellec & Etienne Blanc 🗝️🗝️🗝️

DR

Du bouquin original de Jules Renard, les auteurs de Poil de carotte, Poil de carotte n’ont gardé que l’humiliation. On assiste au lynchage publique du personnage de Solal, intermittent du spectacle, par Flavien, metteur en scène prétentieux et narcissique. S’il semble s’y jouer la satire d’un théâtre contemporain qui se prend trop au sérieux, la violence de la raillerie frise le harcèlement moral. C’est une pièce à punchlines, mordante et cynique. Le public est partagé entre malaise et fou rire coupable. La mise en scène est ridiculement minimaliste, au point où ça en est drôle, l’impression d’une fenêtre ouverte sur le délire d’une bande de potes. Sympa. CB

Hécube, pas Hécube — Tiago Rodrigues 🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Le directeur du festival est un homme occupé. Le temps a dû lui manquer pour aller au bout de son ambition, quand on sait de quoi il est capable. Beaucoup de frustration, l’espace sublime de la carrière de Boulbon est si mal utilisé… Heureusement, les actrices et les acteurs de la Comédie française, notamment Loïc Corbery, sont faciles dans ce texte parfois naïf. Pourquoi Hécube ? La tragédie d’Euripide n’a presque rien à faire là, traversée par le texte de Tiago Rodrigues. Hécube a perdu 19 enfants (!) dans la guerre de Troie, là où Nadia, la comédienne interprétée par Elsa Lepoivre en appelle à la Justice parce que son fils autiste est victime de maltraitance. La lecture contemporaine du mythe antique ridiculise la taille du drame moderne dont est victime le personnage. AG

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Liberté Cathédrale — Boris Charmatz 🗝️🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Une grande troupe de danse s’est mise à courir sur un terrain de foot en criant et le spectacle a débuté. D’abord dubitatif, les variations dans la partition de chacun·e des danseur·euses permettent d’éclairer l’oeil qui se perd. On passe un bon moment mais on a du mal à repartir subjugué. Parfois très prenant mais trop souvent en suspens, on aurait aimé y rester au moins 30 minutes de moins. JT

Quichotte — Gwenaël Morin 🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Gwenaël Morin s’est loupé, Quichotte lui ressemblait trop pour réussir à l’adapter au théâtre en aussi peu de temps. Sa façon de faire du théâtre reste une bénédiction, mais encore faut-il qu’elle trouve son rythme. Ici elle nous prend puis nous perd, nous fait espérer l’éclat mais reste poussive. Comme une constante répétition, on ressent trop un spectacle qui se construit sous nos yeux pour nous laisser passionner par la folie de Quichotte. Triste. JT

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Terminal (L’État du Monde) — Inês Barahona & Miguel Fragata 🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Un texte bien naïf pour conter le dérèglement climatique. Dans une fable difficilement passionnante, on peine à rester éveillé. Le spectacle est sauvé par la beauté des racines jonchant le sol du cloitre des Célestins, mais rien ne nous porte au dessus. Les comédien·nes ont beau se démener, ce texte n’a pas assez d’impact pour rendre le spectacle entrainant. C’est comme s’il restait dans une constante surface dont on voudrait sortir, et c’est très désagréable à regarder. JT

Forever Immersion dans Café Müller de Pina Bausch — Boris Charmatz 🗝️

Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Je ne connaissais rien à la danse ni à Pina Bausch, et après avoir participé à Forever, je ne veux plus remettre les pieds dans un spectacle dansé dans les 5 prochaines années. L’installation des chaises était délicate, trouvait une certaine beauté, puis on entre dans un délire où seul·es les initié·es semblent invité·es. L’impression de s’en vouloir de ne pas comprendre, puis la certitude que l’accessibilité de la proposition n’est pas une donnée qui pèse dans la création. JT

Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux — Krzysztof Warlikowski 🗝️

Magda Hueckel / Festival d’Avignon

4h gâchées dans la Cour d’honneur. Un beau dispositif, bravo, mais un spectacle d’une inutilité aberrante. On ne souhaite pas connaître l’histoire d’Elizabeth Costello de cette manière, dans une mise en scène statique qui ne s’intéresse réellement qu’au texte, flot continu de débat philosophico-littéraire, qui ne passionne personne sauf celui qui l’écrit et ses quelques fanatiques. Tout sauf le théâtre qu’on souhaite célébrer à Avignon. JT

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Arthur Guillaumot, Carol Burel & Joshua Thomassin, pour la 78ème édition du Festival d’Avignon IN et la 58ème édition du Festival OFF Avignon.

Photos à la Une : La nuit d’Avignon, soirée d’union et de mobilisation contre l’extrême droite. Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon